Éole au secours de la Planète

Les quais de la Seine à Rouen accueillent pour dix jours une trentaine de navires à voiles, modernes et anciens, attirant des centaines de milliers de visiteurs.

On peut débattre de l’organisation de cette manifestation, de son empreinte écologique et de la forme commerciale de plus en plus prononcée qui la caractérise, mais le vieil écologiste normand et cantilien que je suis ressent une affection particulière pour cet événement. Je suis assez âgé pour me rappeler de la première édition des « voiles de la liberté », en 1989, bicentenaire de la Révolution française, et de la célébration des valeurs qui l’accompagnait. Je me souviens aussi du choc visuel que représentait aux yeux de l’adolescent que j’étais alors la présence de ces bateaux magnifiques dont le nombre générait l’incroyable féerie.

Aujourd’hui encore, le caractère populaire et convivial - incontestable - mais aussi le symbole que représente la présence de ces voiliers au moment où le débat de l’impact environnemental du transport maritime conserve une véritable force.

C’est donc l’occasion de parler de navigation : comme l’a rappelé la COP27, le fret maritime représente à lui seul 3 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre et 16 % des émissions mondiales de dioxyde de soufre (SO2). Il constitue également une source majeure de pollution aux hydrocarbures, de bruit pour les animaux marins, sans compter la dissémination d’espèces invasives.

Il est aussi le vecteur d’une mondialisation de l’économie avec ses milliards de tonnes de marchandises parcourant des milliers de kilomètres pour alimenter notre soif de consommation.

Le transport maritime apporte une contribution majeure à la délocalisation de l’économie en permettant de produire à l’autre bout du monde nos biens manufacturés.

Mais on oublie souvent les impacts locaux désastreux pour l’environnement du transport de marchandises.

Tout d’abord l’impact sur la biodiversité. Le grand port maritime Haropa (Le Havre, Rouen, Paris) a une longue tradition d’extension sur des réserves naturelles de la Seine-Maritime. Il a également porté de nombreux projets aux effets environnementaux dévastateurs pour des avantages économiques plus que douteux : arasement du chenal (dont les contreparties prévues, comme le classement des boucles de la Seine, n’ont jamais été respectées), projet de chatière, plateforme multimodale du Havre, terminal méthanier flottant, projet de méga sucrerie sur le port de Rouen, etc.

A ceci s’ajoute la pollution représentée par la noria de camions qui transportent environ 85 % des marchandises à destination ou en provenance du port contre environ 50 % pour les ports du Nord de l’Europe (Belgique, Hollande).

On voit bien qu’en dépit des promesses et bonnes intentions avancées, les ports normands demeurent des machines à générer du trafic poids lourds.

Pour y remédier il faut arrêter de se cacher derrière des opérations de greenwashing et sortir du dogme de l’inexorable croissance du trafic maritime.

L’urgence est à la relocalisation de l’économie notamment en s’appuyant sur la politique européenne qui prévoit la mise en place d’une taxe carbone aux frontières dans le cadre du paquet législatif Fit for 55.

Le nouveau MACF (Mécanisme d’Ajustement Carbone aux Frontières) est une avancée utile mais qui manque encore d’ambition.

Sous pression des lobbys et au blocage des député•es de droite et au Conseil (c’est à dire les Etats), le système des quotas gratuits a été maintenu pendant encore de nombreuses années, réduisant considérablement la portée du dispositif. Par ailleurs, le montant de cette fiscalité demeure trop modeste pour inciter réellement à un changement structurel des pratiques.

Dans l’attente de la relocalisation d’une économie plus sobre, et compte tenu du fait qu’il subsistera toujours des échanges internationaux, il faut mettre en place une réglementation contraignante sur le transport maritime.

Il y a trop de navires poubelles qui circulent en toute impunité sur les mers et même quand ils n’en sont pas, ils continuent de bénéficier d’avantages qui les dispensent largement de répondre à des normes environnementales que d’autres secteurs doivent respecter. Ce droit à polluer ne concerne pas que le transport de marchandises mais touche également les croisières, fluviales ou maritimes, qui font tourner sans vergogne leur moteurs diesels en pleines villes, parfois soumises à des Zones à Faibles Émissions (ZFE). Il est scandaleux d’imposer à nos concitoyen•nes des contraintes et de laisser en toute impunité les croisiéristes continuer à polluer les centres urbains.

Une première étape a été franchie avec l’adoption d’un nouveau règlement de l’UE, le FuelEU Maritime. Il prévoit de réduire dès 2025 de 2 % l’intensité des gaz à effet de serre jusqu’à atteindre -80 % en 2050. C’est une premier pas mais je me méfie des engagements modestes à court terme et ambitieux à long terme. L’accélération du dérèglement climatique nous commande d’agir sans tarder.

Au-delà de l’évolution de la réglementation et de son contrôle effectif, il faut vraiment remettre en question la technologie de propulsion de nos navires basée sur les énergies fossiles. En outre, l’électrification n’est qu’un pis-aller qui n’est pas sans poser de problèmes en matière de GES et de pollution à l’échelle globale si l’électricité est produite à partir d’énergies fossiles ou nucléaire. 

Par ailleurs, les besoins électriques que cela génère peuvent poser des conflits d’usage au détriment des populations résidant à proximité des ports.

Si je suis parti de l’Armada pour écrire mon billet ce n’est pas sans raison.

Les dizaines de vieux voiliers qui ont fait halte sur les quais de Seine de Rouen doivent nourrir et susciter notre imagination. La propulsion par voile qui était devenue un temps désuète revient sur le devant de la scène.

Les prototypes de transports maritimes utilisant la voile se multiplient et les professionnels du secteur estiment que 10.000 cargos véliques (à voiles) pourraient entrer en service d’ici 2030 soit 10 % de la flotte mondiale ce qui pourrait permettre de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre de 30 à 50 %.

C’est dans cette direction qu’il faut à mon sens se diriger sans oublier que notre priorité doit être de réduire le volume mondial du commerce héritier de modèle « d’usine monde » qui a vu notre industrie se délocaliser principalement en Asie.

Pour la part incompressible de trafic qui restera suivons la solution préconisée pour nos consommations énergétiques en misant sur les ressources naturelles renouvelables, dans le cas du transport maritime le vent de notre bon vieil Éole.

C’est cette belle idée que nous rappelle les dizaines de vieux gréements qui font halte à Rouen du 8 au 18 juin à quelques encablures du grand port maritime.

Que la vision onirique qu’ils nous offrent nous inspirent.


Photo de couverture : Voilier Cargo Grain de Sail

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