Nucléaire : « Cachez ces déchets que je ne saurais voir… »
Quand on n’arrive plus à gérer les déchets nucléaires il ne reste plus qu’à … les disséminer.
Le 5 mai 2022 je publiais un billet pour exprimer mon opposition à l’intention du Gouvernement de renforcer la capacité de stockage de la Hague en créant une nouvelle piscine d’un coût estimé à plus d’un milliard d’euros (1,25 pour être précis) avant dépassements budgétaires.
Occupé à prêcher sur les prétendues vérités chimériques du nucléaire : pour "sauver" le Climat, l’autonomie énergétique de la France ou encore sa compétitivité économique; les partisans du nucléaire escamotent, parmi d’autres, un « léger » détail… La filière produit beaucoup de déchets, des montagnes même de déchets, extrêmement dangereux pour de nombreuses générations et dont on ne sait pas quoi faire.
D’où le projet pharaonique d’enfouissement irréversible des déchets les plus dangereux à Bure.
Mais derrière l’arbre, déjà bien massif, de ces déchets de très haute activité se cache la forêts de déchets considérés comme moins problématiques mais néanmoins bien encombrants…
Pour ces derniers, le Gouvernement a décidé de remédier au problème de la manière suivante…
Puisqu’on produit des déchets, autant leur trouver une utilité tout en les déclassant. Pour cela, il suffit tout simplement de les intégrer dans le circuit de consommation. On pourra ainsi faire encore plus de "greenwashing" en faisant passer pour du recyclage une diffusion - après dilution - de ces déchets dans des matériaux de consommation courante
En matière de déchets, on distingue trois catégories : ceux à haute activité (ex: les produits de fission issus du retraitement du combustible nucléaire), ceux à moyenne activité (ex: filtres de centrale nucléaire) et enfin ceux dit « à faible activité » (bétons activés, résidus de traitement des eaux, vêtement etc.)
« L’avantage » d’avoir créé ces trois catégories est de donner l’impression que les déchets faiblement radioactifs ne sont pas si dangereux que ça. C’est « rassurant » et ça ouvre la porte à toutes les dérives.
Ainsi, le 15 février 2022 le Gouvernement a donc publié deux décrets permettant la « valorisation » des déchets de très faible activité (TFA). Pour être précis, les arrêtés du Gouvernement permettent de déroger à l’interdiction de valoriser les TFA, interdiction qui en leur temps avait été prises pour de bonnes raisons ...
Il est d’ailleurs à noter que ce principe de précaution de la législation française était une référence internationale en terme de sécurité des consommateurs. Par exemple, en Allemagne, la réintroduction de déchets issus de la production nucléaire est autorisée, ce qui est fréquemment contesté par les associations de consommateurs et plusieurs scientifiques.
Il faut dire que le volume de ces déchets radioactifs impressionne, on estime le volume de TFA dont il faut assurer la gestion à 2,5 millions de mètres cubes par an au niveau national, rien que ça !
Dans ces conditions on comprend mieux la volonté du Gouvernement de les faire disparaître par un tour de bonneteau avec en prime la possibilité de présenter ça comme une action vertueuse de valorisation en "économie circulaire". Au final, si on prend des TFA métalliques, une fois « valorisés », ils pourront rejoindre sous forme de lingots des filières conventionnelles, c’est à dire non nucléaires.
Le réseau « Sortir du Nucléaire » ne s’en est pas laissé compter et a attaqué les deux arrêtés.
Cependant le Conseil d’état a rejeté le 27 mars dernier les requêtes du Réseau Sortir du Nucléaire considérant que RSN n’est pas en mesure de démontrer que le recyclage de déchets TFA en « économie circulaire » (sic) constitue un risque de « dommage grave et irréversible pour l'environnement ou d'atteinte à l'environnement susceptible de nuire de manière grave à la santé qui justifierait, en l'espèce, l'application du principe de précaution ».
Je sais qu’on n'est pas sensé commenter une décision de justice, mais je suis consterné par l'argumentaire utilisé pour écarter le recours de RSN.
Il est parfaitement scandaleux de demander à une simple association d’apporter de telles preuves sur un sujet aussi complexe alors que l’État lui-même a échoué.
En matière de risques technologique, environnemental ou sanitaire, la charge de la preuve appartient à l’industrie de démontrer l’innocuité d’un process, et non pas aux citoyens de démontrer sa dangerosité.
En outre, que faut-il comprendre de la décision du Conseil d’état. Que des dommage « moyens » entraînant des nuisances « moyennes » à la santé sont tout à fait acceptables ?
Cette problématique de la dilution de matières dangereuses afin de maintenir leur présence en deçà de certains taux considérés comme dangereux ne prend généralement pas en compte les effets d’une exposition chronique et croisées à différentes sources de pollutions qui, une fois disséminées dans notre environnement, ne sont plus traçables et donc difficilement évitables.
Nous avons tous le droit de vivre dans un environnement sain, il est parfaitement scandaleux de courir le risque de voir notre santé se dégrader pour permettre à d’autre de réaliser du profit.
En outre, le raisonnement du Conseil d’État comporte une faille majeure : il part du principe que l’on peut faire confiance à la filière nucléaire.
Il a tort comme l’actualité nous l’a récemment démontrée.
En pleine débat sur la contre-réforme des retraites le Gouvernement a essayé en catimini de casser le thermomètre mettant fin à l’autonomie des instances de sûreté nucléaire en fusionnant l’IRSN et l’ASN. Heureusement la mobilisation de Parlementaires de tous bords a réussi à mettre en échec cette funeste stratégie : "quand je ne sais pas régler un problème je le faire disparaître sous un tapis".
Et grand bien leur en a pris si on prend en compte les révélations sur la corrosion très avancée dans le système de sécurité de Penly, 23 mm sur les 27 mm d’épaisseur soit 85,2 % de corrosion !
On comprend mieux pourquoi EDF a demandé à l’État de mettre fin à l’indépendance des instances de sûreté nucléaire.
On comprend mieux pourquoi les militant•es anti-nucléaire n’accordent plus aucun crédit aux déclarations de la filière et exigent l’application du principe de précaution.
Et on le comprend d’autant mieux dans une Région, la Normandie, où le Gouvernement prétend construire à marche forcée deux nouveaux réacteurs nucléaires juste à côté de ceux dont on vient de détecter les corrosions sus-citées dans les systèmes de sécurité.
Pour survivre, la filière nucléaire joue sur les ambiguïtés, se pare de vertus et d’avantages largement contestables, d’arguments d’autorité du type « même si on le voulait, on ne peut pas faire sans le nucléaire en France ». En matière de sécurité, elle tente de casser le thermomètre pour avancer à marche forcée. Et sur les déchets, c’est une stratégie de dissimulation soit par l’enterrement des produits les plus dangereux à l’abri de nos regards et de notre mémoire; soit par la dissémination dans notre environnement pour diluer les matières actives de manières à ce qu’elle restent sous les seuils actuels.
Sur les déchets comme sur les autres sujets qui la concerne, la filière nucléaire pratique les exercices dans lesquels elle excelle le mieux: l’opacité et la dissimulation