Port du Havre : l’environnement ne peut être sacrifié à la soif de croissance d’HAROPA

HAROPA, l’instance qui regroupe les ports du Havre, de Rouen et de Paris, a annoncé qu’une enquête publique d’un mois pourrait être lancée en septembre 2022 pour la réalisation d’une « chatière ». La « chatière » consiste à créer un chenal protégé par une nouvelle digue pour permettre aux navires fluviaux qui empruntent le canal de Tancarville d'entrer dans Port 2000 en gardant le statut de navire fluvial.

La « chatière » consiste à créer un chenal protégé par une nouvelle digue © HAROPA

De prime abord on pourrait se dire qu’il est pertinent de chercher à développer le transport fluvial au détriment de la route.

En effet, la situation d’HAROPA est loin d’être exemplaire avec environ (85) % de ses conteneurs transportés par camion, très loin de ses concurrents du Nord de l’Europe.

Les solutions actuelles d’accès fluvial à Port 2000 © HAROPA

Cependant, on ne peut pas se contenter d’un raisonnement simpliste qui consisterait à accepter tout investissement contribuant à développer le fluvial sans se poser quelques questions au préalable.

HAROPA s’inscrit dans une logique de croissance du commerce international, tablant sur une progression comprise entre 25 et 38 % d’ici à 2040 selon le cabinet SETEC qui accompagne HAROPA.

On peut commencer par s’interroger sur la crédibilité de ces hypothèses de croissance du commerce international.

La pandémie de Covid et la guerre en Ukraine ont révélé l’extrême vulnérabilité à laquelle nous livre la mondialisation. Un consensus commence à émerger sur la nécessité de relocaliser notre industrie et de redevenir autonome à minima à l’échelle européenne. Bref, ce dont il s’agit, c’est de reprendre le contrôle sur ce dont dépend notre subsistance, et partant de là ce que l’on nomme pompeusement notre « souveraineté »…

Voilà pourquoi, le présupposé même qui guide HAROPA dans la justification de cet investissement me semble très hasardeux.

En admettant que ces prédictions soient crédibles, ce dont je doute, voulons-nous vraiment construire des infrastructures qui visent à accélérer la croissance du commerce international, le déménagement du monde et les délocalisations à répétition qu’il engendre ?

Qui plus est, ce projet sera financé à près de 89 % par de l’argent public dont près d’un cinquième (19,9%) par l’Union européenne (24,9 M€ dans le cadre de l’appel à projets pour le mécanisme d’interconnexion en Europe). Le coût global est estimé à 125 millions d’euros.

Je ne souhaite pas que des fonds publics et encore moins des fonds européens contribuent à financer un projet dont l’utilité environnementale n’est pas avérée et qui s’inscrit dans le modèle productiviste d’inexorable croissance du commerce international.

En faisant cela, nous donnons corps à la célèbre formule : « Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes. »

Car arrêtons-nous un instant sur les impacts environnementaux.

Le Port met en avant le nombre de camions qui serait évité. Il évoque le chiffre de 12 000 camions par an. C’est intéressant. Mais dans le même temps il développe sur le port de Rouen un projet de giga sucrerie qui générerait 100 000 camions par an pour le transport des betteraves. (👉 Lire l’article)

HAROPA met également en avant les 20 400 tonnes de CO2 évitées par an. En matière d’accélération du dérèglement climatique ce sont des gains à ne pas prendre à la légère. Cependant, son autorité de tutelle, l’État, dans le même temps, porte la réalisation d’un projet autoroutier à l’Est de Rouen qui doit générer 50 000 tonnes de C02 par an.

La réalité est que pour le Port, l’écologie a une fonction d’argument cosmétique pour habiller en vert des projets d’infrastructures qui en réalité ne font qu’accompagner, voir encouragent, le désastre en cours.

Des alternatives à la “chatière” (1/2) © CNDP

Car dans le même temps, le Port, a écarté les alternatives à la chatière d’optimisation des infrastructures existantes.

Le Port a notamment écarté l’optimisation du terminal multimodal au motif que la liaison avec le réseau ferroviaire n’est pas efficace. Mais qui a décidé d’implanter le terminal multimodal à cet emplacement trop loin des quais de déchargement des navires, malgré - déjà - les alertes et l’opposition des écologistes ? Le même port.

Des alternatives à la “chatière” (2/2) © CNDP

Comment peut-on fait confiance à un opérateur qui s’est trompé à ce point par le passé mais prétend décider à notre place en ne finançant que 11 % du projet ?

La garante du débat public, Marianne Azario, soulevait d’ailleurs plusieurs arguments intéressants en défaveur du projet. C’est un peu long, mais ils méritent d’être exposés pour la bonne compréhension des enjeux…

  • La chatière va profiter aux unités fluviales vieillissantes, le reste de la flotte a déjà une solution avec le terminal multimodal.

  • « Le projet va menacer l’équilibre économique du terminal multimodal » La suite m’appartient, cela veut donc dire concrètement qu’il va entraîner une diminution du trafic ferroviaire.

  • Au regard des aménagements antérieurs sur Port 2000 et de leurs conséquences sur l’artificialisation de l’embouchure de la Seine, ce projet présente un risque supplémentaire pour l’écosystème.

  • Le projet pourrait avoir, par l’impact des courants, des conséquences sur la plage écologique.

  • La réalisation de la chatière conduira à des dragages supplémentaires (3 millions de m³) dont les effets se cumuleront avec le volume dragué chaque année par le Port du Havre (150 000 m³ supplémentaires par an).

  • L’étude socio-économique n’intègre pas d’évaluation financière de la perte des services écosystémiques du point de vue de l’environnement.

Je n’ai retenu que quelques-uns des arguments en « contre ». Je me dois de préciser que la Garante a aussi fait valoir des arguments en « pour » et que de par sa fonction elle ne prend pas partie sur le dossier.

Cependant, je les trouve très éclairants sur le contexte dans lequel s’inscrit ce projet.

Parce que le Port a échoué dans le développement du ferroviaire, il nous propose aujourd’hui d’artificialiser un peu plus l’estuaire sans réellement regarder sérieusement les alternatives d’optimisation des voies existantes.

Il mobilise des moyens publics considérables, en invoquant la protection de l’environnement tout en soutenant ailleurs des projets très impactants pour l’environnement.

En fait, la seule logique du port est de tenter de gagner des parts de marché sur les ports du Nord de l’Europe et de concurrencer le projet de nouveau canal Seine-Nord, autre projet, pharaonique celui-ci, aussi inutile et coûteux que destructeur pour nos territoires…

Mais cette logique est obsolète car là où les ports de nos voisins belges et néerlandais ont fait de la maîtrise de l’occupation d’espace et du développement de leur hinterland leurs points forts, HAROPA a une stratégie archaïque de spéculation foncière et de développement en tache d’huile de ses installations. Cet étalement rend moins performant la gestion et le traitement des marchandises comparativement à ceux qu’il souhaite concurrencer.

En se posant de mauvaises questions et surtout en apportant de mauvaises réponses, année après année, le Port du Havre devient de moins en moins performant et compense son mal-équipement par un usage croissant de camions et d’espace.

Le projet de chatière n’est en aucun cas une solution à cet état de fait. Il s’agit au contraire d’un nouvel épisode dans la lente agonie productiviste d’un Port en déclin car toujours bloqué dans des logiques du siècle dernier.

L’Europe doit cesser de financer dans ces conditions HAROPA et l’État français doit revoir la gouvernance portuaire pour que l’intérêt public devienne leur seule ligne directrice et que son développement soit compatible avec les enjeux et les besoins du XXIe siècle.


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