Quand la Normandie manque d’eau

Le mois de février 2023 fait partie des mois de février les plus secs jamais observés depuis le début des enregistrements de cumuls pluviométriques.

La situation n’est pas spécifique à la Normandie puisque la France a connu une sécheresse hivernale exceptionnelle avec un triste record de 32 jours consécutifs sans pluie, qui vient aggraver une situation déjà catastrophique avec la sécheresse de 2022.

Les répercussions de ces sécheresses à répétition sont particulièrement visibles sur les débits des cours d’eau normands qui connaissent un étiage particulièrement bas pour une fin d’hiver avec des records battus en plusieurs points du territoire.

Cette sécheresse hivernale est d’autant plus inquiétante que les pluies de septembre à mars sont censées permettre aux nappes phréatiques et aux rivières de retrouver leurs niveaux habituels.

Face à cette crise, et à contre-courant — si j’ose dire — de ce qu’il faudrait faire, le lobby de l’eau instrumentalise la situation pour justifier le développement, ailleurs en France, de nouvelles « bassines » agricoles.

  • Les « bassines » sont des ouvrages de stockage d’eau de plusieurs centaines de milliers de m³ destinés à l’irrigation de cultures qui concernent une minorité d’agriculteurs.

  • Contrairement à ce que l’on pourrait spontanément penser, elles ne stockent pas l’eau de pluie ni de ruissellement (ce qui ne serait déjà pas sans poser problème en terme de perturbation du cycle de l’eau et privatisation de la « ressource »…) mais sont alimentées par des pompes qui vont chercher l’eau dans les nappes phréatiques.

  • Leur impact est donc catastrophique car elles viennent aggraver l’état des nappes phréatiques déjà affaiblies par les sécheresses successives tout en alimentant un gaspillage d’eau insupportable lié à l’évaporation de l’eau stockée en surface.

  • Ces « bassines » ne bénéficient qu’à moins de 5 % des agriculteurs, issus de l’agro-industrie. Il s’agit en général de produire du maïs destiné à l’élevage industriel bien connu pour son « respect » de la condition animale.

  • Le pire, c’est que ces « bassines » sont principalement financées par l’Agence de l’Eau dont l’essentiel des revenus est assuré par une taxe sur les factures d’eau… des particuliers.

Mesurons bien l’absurdité du système : alors que nos concitoyen.nes seront soumis à des mesures de restrictions d’eau en été, ce sont eux qui financeront des « méga-bassines » pour permettre à l’agro-industrie de continuer à produire sans contrainte ni respect pour l’environnement.

Le tout en fragilisant les débits des cours d’eau et la biodiversité qui subit déjà un effondrement sans précédent.

La circulation des eaux de surface et souterraines sont le sang et les veines qui irriguent la Terre. Faire obstacle à cette circulation, accaparer l’eau, la détourner et la confisquer de son cours, c’est ni plus ni moins tuer la circulation de la vie.

Il est urgent de mettre un terme à cette fuite en avant sur l’autel d’un modèle agricole punitif pour une majorité de paysans, pour l’environnement et pour l’intérêt général. 

Cette version réinventée du « quoi qu’il en coûte » se heurte aux limites physique de nos écosystèmes. Et la nature ne négocie pas. Elle vit, ou elle meurt.

A défaut d’une remise en question du modèle agro-industriel dominant, il est à craindre que la « verte Normandie » s’assèche en voyant se multiplier ces projets absurdes et écocides de « méga-bassines » dont elle est, pour le moment, préservée.

L’aveuglement techniciste qui consiste à croire que les difficultés structurelles que produisent nos modes de productions et de consommations à coût de technologies et d’investissement en faveur d’infrastructures destructrices conduit dans une impasse funeste.

La seule façon de surmonter la difficulté est d’accepter de changer de modèle économique et les comportements qu’il encourage :

  • Nous devons revenir à une agriculture paysanne à taille humaine, de proximité et tourner la page de l’agro-industrie ;

  • Notre modèle agricole doit se baser sur le vivant, et notamment les extraordinaires résultats de la permaculture ;

  • L’usage intensif de produits chimiques, poison pour l’environnement et notre santé, doit être banni ;

  • Enfin, nous devons adapter nos cultures en optant pour des essences compatibles avec le réchauffement climatique et beaucoup moins consommatrices d’eau.

Si nous refusons de prendre en compte ces réalités et nous obstinons à vouloir faire comme avant, alors nous allons, même en Normandie, au devant de graves pénuries d’eau qui — comme ailleurs dans le monde — mettront en cause l’habitabilité de notre territoire. 

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