Union de la gauche : David Cormand répond aux questions des lecteurs du « Monde »
Le mercredi 26 février, la cofondatrice de la Primaire populaire, Mathilde Imer, et le député européen écologiste David Cormand ont répondu aux questions des lecteurs du Monde sur l’union de la gauche, à la veille de l’ouverture du vote de la Primaire populaire et à moins de trois mois de l’élection présidentielle. Plus de 500 questions ont été recueillies sur le chat ! Le Monde a compilé les réponses à certaines d’entre elles dans un entretien, à retrouver en ligne.
Est-ce que les différents candidats de gauche entendent et comprennent réellement le souhait, le besoin, voire le désarroi de leurs électeurs qui souhaitent une union des gauches ?
David Cormand : J’ai envie de répondre de manière un peu cash. En fait, je ne sais pas ce que cela veut dire « l’union de la gauche ». Quelle gauche ? Le gouvernement Hollande ? Le Parti communiste ? Arnaud Montebourg ? Que reste-t-il de cette gauche ? En quoi est-elle encore en capacité d’éclairer les débats des temps qui viennent ?
Bien entendu, les citoyennes et citoyens qui ne supportent plus les discours – et les politiques – des droites, qu’elles soient néolibérales, conservatrices ou extrêmes, aspirent à une alternative. Mais je pense aussi – et surtout – qu’ils ont rompu avec ce qu’était la gauche traditionnelle de gouvernement, c’est-à-dire la social-démocratie. De mon point de vue, le défi est donc de répondre à cette injonction paradoxale : un changement de proposition politique qui rompt avec le cycle précédent et une capacité de rassemblement. Pour moi, la réponse à cette double attente, c’est, sur le fond, le renouveau que représente le projet écologiste et, sur la forme, une véritable clarté qui nous sort des petits arrangements mous qui ont anéanti ce qu’on appelait la gauche.
Quel bilan tirez-vous à ce stade de la Primaire populaire ? Se rapproche-t-on pour vous d’une candidature unique à gauche ? Au contraire, cette initiative ne va-t-elle pas faire émerger une candidature de plus, celle de Christiane Taubira, qui n’y aurait certainement pas été sans cette consultation ?
David Cormand : Quand des citoyennes et des citoyens s’emparent de la politique, c’est toujours positif. Donc merci aux initiatrices et initiateurs de la Primaire populaire du travail accompli. Leur initiative est un vrai succès. Une fois cela posé, la question, c’est : comment faire de l’espoir le carburant de la mobilisation ? Pour moi, la présidentielle est un temps de clarification, et contrairement à Macron en 2017, je pense qu’il faut éviter l’ambiguïté. C’est à mon avis la clarté qui devrait être le moteur de la victoire. Je pense qu’il faut éviter tout ce qui ressemble à de la tambouille.
Voilà pourquoi je me méfie et me défie des combinaisons autour de la Primaire populaire. Je crois à la sincérité de l’initiative, beaucoup moins à celle des barons noirs qui essayent de l’instrumentaliser. Depuis la fin du quinquennat Hollande, le PS est sans boussole stratégique réelle et s’accroche à tout ce qu’il peut pour assurer sa survie. Les animateurs de la Primaire populaire ne sont pas responsables de cela, mais bien malgré eux ils ont représenté une nouvelle bouée de sauvetage pour les sociaux-démocrates. Regardez les palinodies socialistes autour de la Primaire populaire : ils la transforment en énième congrès de règlement de comptes. C’est dommage.
De manière factuelle, on ne peut que noter que l’objet social initial de la Primaire populaire, qui consistait à remettre en question le poids des « ego », en avant le fond politique et à aboutir à une seule candidature a été rempli… A l’arrivée, on parvient à une plus grande personnalisation puisqu’on ne vote que là-dessus, le fond est mis de côté puisqu’il n’y a pas de débat et cela va déboucher potentiellement, voire probablement, sur une candidature supplémentaire. Mais bon, c’est comme ça. C’est la vie. Il faudra avoir la lucidité d’en faire le bilan à la fin de la séquence…
Les différences de programmes entre les candidats de gauche n’empêchent-elles pas finalement toute union ?
David Cormand : Je dirais « oui et non ». Oui, car pour réussir une union, il faut deux choses : une analyse et des propositions partagées et de la sincérité dans la volonté de s’unir. Sur le premier point, il y a des différences qui sont claires et connues. Ce n’est pas forcément grave, mais c’est une réalité. Et sans leadership politique et le vote des citoyennes et des citoyens, comment les trancher ? C’est à cela que servent les élections.
Sur la sincérité, ce serait vraiment être de mauvaise foi que de considérer qu’elle est au rendez-vous… Regardez par exemple comment Anne Hidalgo parle des écologistes… Tantôt nous sommes des sectaires suspects sur les sujets républicains, tantôt nous devrions nous unir… Les gens ne sont pas idiots. Ils voient bien la duplicité dans ces manières de faire. Il faut donc l’assumer. Cela ne veut pas dire qu’on ne peut pas se rassembler. Mais j’ai coutume de dire que, paradoxalement, c’est la clarté qui rassemble et l’ambiguïté qui divise.
Ma conviction est que nous sommes à la fin d’un cycle politique, avec l’effondrement de la social-démocratie, l’émergence des populismes, etc. Face à cela, il y a deux analyses : la première est de dire : il faut raccommoder la décomposition de la gauche traditionnelle en y incorporant un peu d’écologie, autour d’un plus petit dénominateur commun. C’est une logique d’accompagnement. Et il y a une logique de rupture : passer à autre chose grâce à l’écologie politique. Cette logique est celle de la transformation. Et c’est la nôtre.
Plusieurs candidats disent que la récurrence des appels à l’union concentre le débat sur les questions individuelles et empêche les candidats de discuter des idées. Pensez-vous que la Primaire Populaire a eu un effet collatéral en diminuant la portée de voix des candidats ?
David Cormand : Il serait injuste de faire peser sur l’initiative de la Primaire populaire l’ensemble des turpitudes du délitement et de la décomposition du camp de la gauche traditionnelle. Je pense que la primaire n’est certainement pas une cause de cette situation, mais elle en est, en revanche, l’un des symptômes…
Nourrir un discours dépressif, défaitiste, pour motiver son propos, a eu deux effets collatéraux. Le premier est que face aux droites, l’alternative est prisonnière pour l’instant d’une stratégie défensive. Or, pour gagner, il ne faut pas inspirer la lose. Il faut donner l’envie d’avoir envie, comme chantait Johnny Hallyday… Et par ailleurs, l’histoire de la gauche, c’est la conquête de droits, c’est la dynamique et la quête de victoires… La deuxième chose est que le discours à gauche est exclusivement tactique, électoraliste… Et pendant qu’on parle de ça, on ne parle pas de fond.
Les activistes de Sunrise aux Etats-Unis, le modèle de la Primaire populaire, ne faisaient pas campagne sur le thème de l’union mais sur des éléments programmatiques forts autour du climat et de la justice sociale qu’ils voulaient imposer dans la campagne des démocrates. C’est pour moi la plus importante limite de l’initiative…
Au-delà de la question du possible, l’union de la gauche est-elle souhaitable ? En cas de victoire, avoir un exécutif qui tire à hue et à dia, cela n’aboutirait-il pas à une paralysie du pays, ou à une cohabitation avec une droite dure ? Pourquoi la gauche ne profiterait-elle pas de ce trou d’air pour se refonder ?
David Cormand : Nous n’avons pas le temps d’attendre. Chaque jour qui passe, ce sont des destructions supplémentaires. Notre urgence, c’est de réparer ce qui peut l’être, protéger ce qui doit l’être et préparer l’avenir. C’est une feuille de route simple.
Mais une union factice, ce n’est pas gagner du temps. C’est en perdre. Il suffit de se rappeler le quinquennat Hollande. A l’époque, nous avons essayé. Nous avons même obtenu quelques avancées sur le plafonnement des loyers par exemple. Mais cela ne suffit pas.
Il faut donc lier deux exigences : ne pas remettre à plus tard ce que l’on peut faire maintenant, mais ne pas pour autant vendre des illusions en prétendant que « nous sommes d’accord sur l’essentiel », alors que c’est faux. Et surtout, il ne faut pas interdire aux électrices et aux électeurs de trancher ces questions.
Vous avez raison, nous avons besoin de renouvellement. Ma génération et la précédente, dans le camp de la « gauche », a été globalement nulle. Il y a un impératif que les générations plus jeunes prennent la main. Mais si cela pouvait être en évitant de faire les mêmes erreurs, ce serait mieux… De ce point de vue, les vieux cons dans mon genre ont peut-être deux trois trucs à transmettre… Pour conclure, construire l’union dans la clarté demande du temps et ne sera pas le résultat d’une « table rase ». Il faut comprendre ce qui ne marche pas pour faire en sorte que cela fonctionne.
Comme la gauche va perdre cette année, ne pourrait-on pas acter dès maintenant la mise en place d’un processus analogue à la Primaire populaire pour 2027, qui prenne le temps d’élaborer une plateforme programmatique commune et un mode de désignation du candidat ?
David Cormand : Je ne sais pas pour les autres, mais nous, on s’est préparé pour 2022. Parce qu’on ne veut pas que les fascistes gagnent, et qu’on ne veut pas non plus que Macron déroule sans limite son agenda pendant cinq ans de plus… Et bien sûr, on ne veut pas du retour de la droite traditionnelle au pouvoir. Donc on se bouge. On se bat. On propose pour gagner maintenant. Il ne faut pas penser que c’est en faisant une impasse qu’on ressort plus forts. Il faut se battre. Tout le temps. Ne rien lâcher.
Quand je me suis retrouvé secrétaire national des écologistes, on était morts. C’était dur. Et puis on s’est bagarré sur le fond. Le mouvement climat a émergé. La société civile écologiste s’est affirmée. On a réussi à se rassembler, à proposer. Et on a réussi aux élections européennes, on a gagné aux municipales. Ce que je retiens de ça, c’est qu’il ne faut pas attendre. Il ne faut pas croire que les gens ne sont pas prêts. Je pense qu’elles et ils le sont. Plus qu’on le croit. Donc il faut être encore une fois clairs sur ce qu’on propose et viser la victoire maintenant. Car l’écologie plus tard, c’est l’écologie trop tard…
L’entretien complet est à retrouver en ligne.