Pour l’IVG. Contre les réactionnaires.
Été oblige, l'activité du Parlement européen va se suspendre. Cette note de blog sera donc la dernière avant quelques temps. Mais qui croit à la force des idées croit à la nécessité de leur partage. Je profite donc de cette interruption momentanée pour remercier celles et ceux qui lisent ce blog et enrichissent ma réflexion de leurs retours critiques.
Mon clavier sera certes en pause quelques semaines, mais je ne voulais cependant pas faire silence sans avoir écrit sur un sujet qui est l'un des plus déterminants de la période : une fois de plus, le droit à l'avortement est remis en question. Cette fois, c'est aux États-Unis d'Amérique que l'attaque a été portée. La Cour suprême américaine a une histoire propre, et la volonté de revenir sur le droit à l'avortement s'inscrit dans le contexte particulier de la bataille culturelle, politique et juridique menée de longue haleine par les conservateurs états-uniens qui entendent revenir sur des décennies d'acquis des mouvements pour les droits civiques et les libertés individuelles. Mais nous ne sommes pas dupes : nous savons que les droits des femmes sont menacés par une internationale réactionnaire, qui, sous des masques divers, porte un même projet de confiscation du sort des femmes par une domination d'acier. La place unique tenue par les USA dans l'imaginaire planétaire a donné une visibilité singulière à ces attaques insupportables.
D’ailleurs, il est important de noter que ce recul historique est rendu possible par une sorte de « coup d’état institutionnel » qui permet aux Républicains pourtant minoritaires en voix dans leur pays (y compris en 2016 lorsque Donald Trump a été élu) de faire la loi via la Cour suprême au sein de laquelle ils sont majoritaires grâce aux nominations effectuées par le président d’extrême-droite pourtant battu depuis. Allant plus loin encore, la Cour suprême est en train d’autoriser une organisation des circonscriptions électorales par les états qui reviendra à mettre en place dans les faits une forme de vote censitaire où les habitantes et les habitants des zones les plus pauvres seront dans l’incapacité de voter. Je fais ce lien car il faut bien comprendre que les régressions des droits fondamentaux, de nos libertés et au final de la démocratie cheminent ensemble. Elles participent d’un même imaginaire et d’une même vision politique qui n'est pas seulement rétrograde mais est d'essence totalitaire. Derrière la tentative de revenir sur le droit à l'avortement est présente la volonté d'établir un nouvel ordre moral pour régenter la société et mener une révolution restauratrice d'un monde d'avant supposé meilleur.
Raison pour laquelle les gazettes et les chaînes de la galaxie Bolloré d'habitude si promptes à dénoncer l'américanisation de notre pays en se répandant sur la prétendue importation en France des idées progressistes, féministes, antiracistes, dites « woke », semblent cette fois trouver des vertus à ce qui se passe outre-Atlantique. En réalité, c'est la convergence politico-intégriste de l’obscurantisme religieux et de la radicalité d’extrême-droite issue des Tea Party qui est en train de contaminer la France et l’Europe. Il suffit de voir le comportement au Parlement européen des députées et députés d’extrême-droite qui ont refusé de soutenir la demande du Parlement d’intégrer le droit à l’avortement dans la Charte des droits fondamentaux alors qu’elles et ils étaient présent·e·s dans l’hémicycle… La lâcheté les a conduits à se dissimuler en ne votant pas. Mais elle est bien là, l’armée des âmes grises, plus déterminée que jamais à mener son travail de sape.
Nous l'avons appris des mouvements et luttes féministes : qui entrave les droits d'une seule, menace le statut de toutes les femmes. Chaque recul est un coup de massue porté contre le fragile édifice construit par des années de mobilisations. Ce sont les femmes et personne d'autre, face aux adversités, aux résistances et à la violence, déployées à leur encontre, qui ont arraché leurs droits. Ce sont les femmes, et personne d'autre, qui font face à l'adversité constante. Et une fois de plus leur salut viendra d'abord d'elles-mêmes. Ceci écrit, les hommes ne sont pas dispensés de leur part du combat. L'avortement concerne au premier chef les femmes. Mais les laisser défendre seules un droit aussi fondamental et pourtant partout menacé serait une trahison. Elle se battent, et nous avons le devoir de les soutenir.
Je ne réclame aucune faveur pour les personnes de mon sexe, tout ce que je demande à nos frères, c’est qu’ils veuillent bien retirer leurs pieds de notre nuque.
Ainsi parlait au milieu du 19ème siècle, l'une des mères du féminisme, l'abolitionniste américaine Sarah Grimké. Cette phrase, précisément, était souvent citée par l’ancienne juge de la Cour suprême, décédée en 2020 : Ruth Bader Ginsburg. Son talent de juriste, sa vision d'humaniste, son intelligence si vive manquent à la lutte pour les droits humains. L’Histoire tient à peu de choses. Un seul être nous manque, et tout est fragilisé. La leçon est universelle.
Pour éviter que les vents mauvais n'emportent avec eux les droits des femmes, pour que la santé, la liberté, l'émancipation des femmes ne soient plus jamais à la merci des revirements politiques, les écologistes proposent donc depuis longtemps, avec d'autres, que le droit à l'avortement soit garanti par la Charte européenne des droits fondamentaux. Parce que croire que notre continent serait à l'abri du péril de la régression est une illusion. L’Union européenne doit tout faire pour garantir les droits des femmes en général, et la possibilité d'avorter en particulier. En la matière, il ne s'agit pas seulement d'afficher un catalogue de bonnes intentions, mais bel et bien de s'assurer de l'effectivité des droits des femmes. Ceux qui affirment que ces questions sont non essentielles et que d'autres priorités politiques doivent occuper l'agenda ou, pire, que nous pourrions troquer nos convictions sur ces sujets contre je ne sais quel arrangement boiteux, font fausse route. Premièrement parce que personne ne peut s'arroger le droit de décider à la place d'autrui ce qui est essentiel. Invisibiliser les enjeux, les reléguer au rang des questions diverses est une vieille technique des réactionnaires, utilisée à foison pour différer à jamais l'agenda du changement. Quand il s'agit de défendre les droits, ce n'est jamais le bon moment. On nous demande sans cesse d'attendre. Cette injonction s'adresse en particulier aux femmes, dont la patience devrait être sans limite. On leur demande, que dis-je, on les somme, d'attendre depuis toujours. Désormais, comme si ce n'était pas suffisant, on remet en cause ce qu'elles ont gagné.
« La belle affaire », diront certains. Cette indifférence n'est pas seulement immorale. Elle est aussi stratégiquement infondée. Car laisser détricoter les droits des femmes n'engendrera qu'une longue chaîne de reculs. Défendre le droit à l'avortement devrait couler de source. Mais pour qui n'aurait pas compris ce qui est en jeu, les luttes des femmes constituent les points de bascule de l'ordre social dans son ensemble. La condition féminine éclaire en effet les chemins à emprunter : soit on avance sous la bannière de l'égalité, soit on accepte un modèle social basé sur le poids des dominations. L'utérus des femmes, et leur corps tout entier, est d'abord leur affaire. Mais leur échine qu'on veut briser, en les asservissant et en décidant de leurs vies à leur place, engage davantage encore. C'est un enjeu de civilisation. Dans ce contexte de menaces et de régressions, l'Europe doit jouer un rôle majeur. Voila une raison supplémentaire, si besoin était, de défendre la clause de l'européenne la plus favorisée, chère à Gisèle Halimi. Cette clause consiste à s'inspirer des meilleures lois existant au sein de l’Union européenne dans tous les domaines de la vie des femmes, et à rendre cet ensemble de lois applicable à toutes les citoyennes européennes. Gisèle Halimi en a eu l’idée dès 1979. On parle, ces jours-ci, de la panthéoniser. Ce serait symboliquement superbe, et je soutiens les mobilisations en ce sens. Cependant, une autre manière de lui rendre hommage, c'est de tenir bon sous la pluie acide des crachats des réfractaires aux droits des femmes.
Nous ne devons pas céder à la petite musique chauvine qui consiste à dire que l’Europe n’a pas à sur-réagir à ce qu’il se passe aux États-Unis, comme si cela ne nous affectait pas. « Nous sommes ici chez nous, occupons-nous de nos affaires et arrêtons de nous mêler de ce qui ne nous regarde pas. » Cette rhétorique est habile et vise non seulement à banaliser l’attaque menée contre un droit fondamental dans une démocratie importante, mais elle vise aussi à préparer les esprits à accomplir les mêmes reculs ici. Ne nous y trompons pas, une même internationale réactionnaire et populiste est bel et bien à la manœuvre. Elle teste partout les limites de l'état de droit. Aux USA, elle a pris le visage du trumpisme, du mouvement QAnon, du Tea Party pour ne citer que quelques unes de ses expressions multiples. Elle a répandu ses métastases en Grande-Bretagne à l’occasion du référendum sur le Brexit, en chevauchant la colère populaire. Boris Johnson quitte le pouvoir mais après avoir défait le lien entre son pays et l'Europe, et approfondi la crise démocratique comme jamais. Je ne développe pas sur l'Est de l'Europe où nombre de régimes illibéraux sont désormais en place.
Chez nous, l'internationale réactionnaire est en train de s’ancrer de manière puissante avec le succès redoutable des candidatures d’extrême-droite aux dernières élections législatives. Le RN touche les dividendes de la banalisation. C’est en cela que le Parti présidentiel joue un jeu dangereux en pensant amadouer la réalité réactionnaire du Rassemblement national par un « Et en même temps » suicidaire. Je prétends défendre les droits des femmes, « et en même temps », je valorise l’extrême-droite en lui accordant un rôle institutionnel au bureau de l’Assemblée nationale. Je prétends la combattre « et en même temps » je la banalise en la mettant au même niveau que la France Insoumise qui n’a évidemment, de près ou de loin, rien à voir avec un parti politique aux ascendances nazies. La dialectique du « au cas par cas » portée par LREM est une déchéance insupportable. On ne combat pas l'extrême droite « au cas par cas ». On la combat sans exception, en général et en particulier… Sans répit ni repos.
Chaque concession faite aux réactionnaires en amènera d'autres. On pensera leur céder le petit doigt, et on y laissera l'âme. La bataille sur l'avortement est aussi une bataille pour la clarté. Ne faisons pas de l'avortement une affaire de partis, mais une affaire de principes et de valeurs. Loin des tentations solitaires de LREM sur le sujet, agissons de concert, sans triste opération de captation partidaire pour inscrire le droit des femmes à avorter dans la Constitution. Ce serait à la fois une grande avancée républicaine et démocratique, ainsi qu’un signal fort envoyé aux femmes du monde entier.