Budget et état de droit : un chantage inacceptable de la Hongrie et Pologne
Lors de la plénière de cette semaine, le Parlement européen devait voter le plan de relance suite à la pandémie de COVID et le cadre financier pluriannuel (le budget) pour la période allant de 2021 à 2027. Ça ne sera pas le cas. Explications.
Contexte
Une fois tous les sept ans, les pays de l’Union européenne adoptent un « cadre financier pluriannuel » (CFP). Ce dernier fixe les montants maximums que l’UE pourra dépenser chaque année pour financer ses grandes politiques (environnement, économie, frontières extérieures, etc.).
Parallèlement, chaque année, un budget européen est adopté par le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne. Il prévoit les dépenses et les recettes de l’Union européenne pour l’année à venir. Le budget 2021 a été adopté le 12 novembre 2020.
En préparant le cadre financier pluriannuel 2021-2027, la Commission européenne a proposé de renforcer le lien entre le financement octroyé par l’Union européenne et le respect de l’État de droit.
Le 3 mai 2018, elle a proposé un mécanisme pour introduire une conditionnalité sur l’État de droit dans les règles financières de l’Union européenne. Tout État membre qui ne respecterait pas l’État de droit pourrait voir les paiements européens suspendus.
En avril 2019, le Parlement européen a adopté une position sur cette conditionnalité qui a servi de base aux négociations avec le Conseil et la Commission.
Un accord entre les trois a été trouvé le 5 novembre 2020. Ce mécanisme fait donc partie du “paquet” législatif du budget 2021-2027, paquet qui contient le cadre financier pluriannuel, le mécanisme pour l’État de droit, mais aussi un plan de relance suite à la pandémie de coronavirus.
Le mécanisme pour le respect de l’État de droit
L’accord qui a été trouvé est moins ambitieux que les propositions qu’avaient faites la Commission et le Parlement, mais c’est un pas dans la bonne direction. Reste à voir comment ce mécanisme va être appliqué. La Commission aura-t-elle réellement la volonté politique d’activer le mécanisme et de sanctionner un État membre ? Le système de vote qui a été accepté par le Conseil va-t-il être suffisamment efficace pour que le mécanisme soit déclenché ?
Le mécanisme se concentre uniquement sur l’État de droit, alors que le Parlement demandait que la démocratie et les droits fondamentaux soient également pris en compte. Toutefois, il est précisé dans le texte que le respect des autres valeurs de l’Union européenne sera pris en compte également.
Pour que la procédure soit lancée, il faudra que l’État membre concerné remplisse deux conditions : l’É tat de droit n’est pas respecté et cela nuit ou risque de nuire à la bonne gestion des fonds européens.
Le texte donne une liste (non-exhaustive) d’exemples de violations de l’État de droit : porter atteinte à l’indépendance de la justice, ne pas empêcher et sanctionner des décisions arbitraires ou illégales prises par les autorités publiques, ne pas lutter contre les conflits d’intérêt, limiter les recours judiciaires, les enquêtes, les poursuites et les sanctions à l’égard des violations de l’État de droit, etc.
La procédure
Si les conditions sont réunies, la Commission avertira l’État membre concerné. Après deux séries de discussions entre la Commission et cet État membre (ce qui prend trois à cinq mois), la Commission présentera au Conseil une proposition de déclenchement du mécanisme. Proposition sur laquelle le Conseil devra se prononcer à la majorité qualifiée dans les trois mois. Si le Conseil ne met pas ce point à son ordre du jour, la Commission devra faire pression pour qu’il le fasse. Si le Conseil ne se prononce pas dans les trois mois, il y aura alors une carence.
Le Parlement avait proposé que la Commission soit aidée par un groupe de spécialistes pour observer les violations de l’État de droit. Cela n’a pas été retenu, mais la Commission pourra s’appuyer sur la Commission de Venise et sur l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne.
Si le mécanisme est mis en œuvre, l’État membre perdra ses financements européens. Pour autant, il devra continuer à verser les sommes prévues aux organisations nationales qui en bénéficient et prouver régulièrement qu’il le fait bien. Un outil sera mis en place pour que les bénéficiaires puissent alerter dans le cas contraire. La Commission pourra alors appliquer des règles financières spécifiques aux fonds concernés ou déclencher une procédure d’infraction.
Ce mécanisme entrera en vigueur le 1er janvier 2021 et un rapport sur son application devra être fait trois ans après.
Ce que cela change
Jusqu’ici, en cas de non-respect des valeurs de l’Union européenne, il n’existait qu’une seule procédure : la procédure d’infraction, définie dans l’article 7 du Traité sur l’Union européenne (TUE). Elle permet par exemple de suspendre le droit de vote d’un État membre ne respectant pas les valeurs fondatrices de l’UE.
Le problème : pour que le Conseil constate “l’existence d’une violation grave et persistante” dans un État membre, il faut un vote à l’unanimité, à l’exception de l’État concerné .
Les meilleurs exemples sont les procédures d’infraction contre la Pologne et la Hongrie. Elles ont été enclenchées respectivement le 20 décembre 2017 et le 12 septembre 2018. Certes, les auditions qui sont prévues par l’article 7 du TUE ont bien eu lieu, mais depuis, le processus est bloqué. Ni la Commission ni le Conseil ne font montre d’une grande envie de le faire avancer, même si la Hongrie sera, à nouveau, auditionnée le 8 décembre 2020.
Sans volonté politique de la part des autres États membres, la procédure d’infraction est donc totalement inopérante.
Un autre outil peut cependant être utilisé : la Commission européenne peut, après avoir donné à l’État membre concerné la possibilité de réagir aux griefs qui lui sont faits, saisir la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). Celle-ci devra établir si l’État membre concerné a bien manqué à ses obligations. Dans ce cas, l’État membre devra se conformer à l’arrêt de la CJUE sous peine d’amende. C’est une procédure qui, toutefois, peut être longue et ne permet pas de mettre une pression immédiate sur l’État concerné.
C’est la raison pour laquelle, malgré tous ses défauts, le mécanisme sur l’État de droit qui vient d’être négocié est plutôt une bonne nouvelle. S’il fonctionne, il pourra permettre de toucher les États membres là où ça fait mal, le porte-monnaie, sans pour autant impacter les bénéficiaires des aides européennes.
Au Conseil de prendre ses responsabilités
Le problème, c’est que des éléments du paquet budgétaire, dont fait partie ce nouveau mécanisme, nécessitent l’unanimité au Conseil. La Hongrie et la Pologne refusent de valider deux de ces éléments et bloquent donc tout le processus budgétaire, ainsi que le plan de relance !
C’est un problème parce que de nombreux pays sont en attente du plan de relance pour espérer commencer à sortir de la crise. On peut d’ailleurs s’étonner que les gouvernements hongrois et polonais préfèrent priver leur population de cet argent qui serait bienvenu plutôt que d’accepter un mécanisme sur l’État de droit. C’est d’autant plus surprenant qu’ils ne manquent jamais une occasion de répéter qu’il n’y a pas de problème d’État de droit dans leur pays.
De son côté, le Parlement européen a fait de nombreuses concessions pendant les négociations afin d’arriver à un mécanisme qui soit acceptable par toutes les parties. C’est donc au Conseil de prendre ses responsabilités et de faire en sorte que tous ses membres jouent le jeu.
Cette situation ne peut qu’inquiéter quant à la réaction que pourront avoir ces pays si ce mécanisme devait être utilisé. Lorsqu’il sera définitivement adopté, s’il l’est, il faudra que le Parlement fasse pression sur la Commission pour qu’elle agisse.
Lorsque les pays entrent dans l’Union européenne, ils en acceptent les valeurs et il n’est plus possible de supporter que certains d’entre eux puissent ne plus les respecter impunément.