Déplacement en Guadeloupe : retour sur mes rencontres des acteurs et actrices de l’île


Un an après ma visite en Martinique, qui avait permis de travailler sur les problématiques économiques, sociales, mais aussi agricoles de l’île, j’ai souhaité me rendre en Guadeloupe, l’autre territoire dit (selon l’appellation officielle de l’Union européenne) « ultra-périphérique » français dans les Antilles. Ce second déplacement avait pour objectif de collecter plus d’informations sur la situation locale, à commencer par les problèmes majeurs - et liés - de la vie chère et de l’absence de souveraineté alimentaire.

La situation de l’agriculture guadeloupéenne ne m’était évidemment pas inconnue : basée en majeure partie sur l’exportation de la banane et du sucre de canne, c’est bien la persistance du modèle néo-colonial qui cause tant de difficultés au secteur. A commencer par la dépendance aux importations :  tous secteurs confondus, la Guadeloupe importe douze fois plus qu’elle n’exporte.

 

En finir avec les monopoles et l’économie néo-coloniale

Car derrière l’absence de souveraineté alimentaire se cache une réalité économique plus vaste : le poids des monopoles qui prospèrent sur une économie de rente, qui est le symptôme de la persistance d’une économie néo-coloniale. En Guadeloupe, la grande distribution est largement dominée par quelques groupes qui contrôlent les importations et ainsi fixent les prix. Ils contribuent donc à inhiber le développement de producteurs locaux et l’autonomie alimentaire du territoire afin de conserver leur main mise sur la chaîne d’approvisionnement des habitantes et des habitants.

Le groupe Hayot a d’ailleurs récemment fait l’objet de sévères critiques quant à ses pratiques oligopolistiques. J’ai à ce sujet interpellé la Commission européenne afin qu’elle mène une enquête.

Face à ces monopoles, les circuits courts peinent à se structurer. Même lorsque les agriculteurs parviennent à produire localement, écouler leur production à un prix compétitif reste un défi, car la distribution et la logistique sont souvent verrouillées par ces mêmes acteurs puissants. Le problème majeur du monde agricole est ici le même qu’en hexagone : les agriculteurs et agricultrices ne peuvent plus vivre de leur travail car la chaîne de valeurs est déséquilibrée à leur désavantage. Avec l’élément aggravant indiqué plus haut que constitue une économe post coloniale.

Pour ne rien arranger, les fonds européens eux aussi sont accaparés par un petit nombre de producteurs, le plus souvent de banane, laissant sur le carreau les agriculteurs dont la production sert réellement à nourrir les habitant·es. L’accès aux fonds européens est complexe et le retard de paiement des aides financières freine les projets agricoles : en effet, les subventions européennes ne sont que des remboursements, obligeant ainsi les agriculteurs et agricultrices à avancer les frais et attendre des mois, voire plus, le remboursement. 

Toutefois, certaines collectivités réussissent à s’organiser pour s’émanciper de la grande distribution. La Communauté d’Agglomération de Nord Grande-Terre, avec ses 5 communes et 60.000 habitant·es a fait le pari de redynamiser la culture de produits locaux, et non plus importés de l’Hexagone, en structurant de nouvelles filières d’approvisionnement pour sa cuisine centrale scolaire. Ils se heurtent aux industriels qui peuvent casser les prix en répondant aux appels d’offre, ce qui est un problème rencontré également sur le sol européen, et que j’aurai à cœur de résoudre lors de la réforme de la loi portant sur les Marchés publics.

En outre, le projet Lizin santral est adossé à un vaste programme d’éducation à l’alimentation pour les enfants, afin de lutter contre le gaspillage qui était deux fois plus important dès lors que des aliments locaux étaient servis ! Réapprendre le terroir et les plats traditionnels à base d’aliments non valorisés en Hexagone est donc vital pour l’île.

 

Des agriculteurs en recherche d’autonomie

L’urgence est donc de faciliter le développement d’une agriculture durable, l’installation de paysan·nes et de garantir leur autonomie alimentaire à ces territoires. En parcourant la route menant à Sainte-Rose, j’ai découvert l’exploitation de Boris Damase, le seul éleveur de poulets bio de l’île. Sur plusieurs hectares, ses animaux vivent en liberté, dans un modèle qui vise à réduire la dépendance aux importations et à rendre le bio plus accessible.

J’ai rencontré une association qui se bat pour redonner les outils aux populations pour reprendre en main leur alimentation. Promotion Santé Guadeloupe, rattachée à l’Agence Régionale de Santé, a par exemple créé le programme « JAFA » qui a pour but d’aller à la rencontre des Guadeloupéen·nes afin de leur transmettre les bonnes pratiques pour limiter au maximum l’exposition des populations à la chlordécone, ce poison dont l’Etat français a maintenu l’usage dans les Antilles pendant des décennies malgré son interdiction partout dans le monde à cause de sa dangerosité.

La création de jardins créoles est l’une des solutions mises en avant. Ce modèle ancestral d’agriculture mêlant fruits, légumes et plantes médicinales, permet encore aujourd’hui à certaines familles de produire une partie de leur alimentation. Le jardin créole est une évidence pour beaucoup d’habitant·es de l’île, mais il est nécessaire de l’adapter aux réalités sanitaires, notamment à la présence de la chlordécone. Car non seulement le modèle agricole basé sur la banane fragilise considérablement l’indépendance de l’île, mais en plus, l’utilisation massive de produits chimiques a pollué les sols, les eaux les êtres vivants qui se trouvent au contact de ces molécules pour des siècles. Il convient donc de développer des stratégies pour éviter leur transmission aux humains.

La pollution des cours d'eau a par ailleurs une conséquence directe sur un autre secteur économique de l'île : la pêche. En se déversant sur les côtes les eaux chargées en sédiments chlordéconés ont contaminé plusieurs espaces maritimes de l'île, et les poissons et êtres vivants qui s'y développent. La fermeture de plusieurs zones de pêche a donc un impact majeur sur les marges de manœuvre des pêcheurs, comme me l'a expliqué Charly Vincent, président du Comité Régional des Pêches.

 

  

Un environnement sous pression

Une problématique qui m’a été exposée lors de ce séjour est le développement pléthorique de la fourmi manioc sur l’île : problème environnemental car cette espèce n’est pas endémique, mais un problème de plus en plus important pour les agriculteurs et agricultrices tant cette fourmi fait des ravages dans les cultures. J’ai pu avoir le retour très concret de Sydney Henery, pépiniériste, témoin de la destruction de plants de melon à cause de ces fourmis. La biologiste Léonide Célini a tout fait pour développer un biocide naturel pour régler ce fléau, mais la start-up ayant développé le produit a fini par faire faillite et le biocide n’a, par conséquence, pas encore atteint les côtes guadeloupéennes

Face à ces menaces environnementales, des associations tentent de protéger les écosystèmes. Parmi elles, j’ai rencontré l’association KAP Natirel qui joue un rôle essentiel en Guadeloupe pour protéger les côtes et les animaux marins, en particulier les tortues marines.

Créée par des passionnés de la mer et des biologistes, cette association œuvre pour la protection de la biodiversité marine à travers plusieurs actions majeures :

●        Surveillance et préservation des zones marines sensibles : KAP Natirel travaille avec des scientifiques pour identifier les zones les plus touchées par la pollution au chlordécone et la surpêche. L’association milite pour la mise en place de zones protégées, où la pêche serait strictement régulée afin de permettre aux espèces de se régénérer.

●        Accompagnement des pêcheurs vers des pratiques durables : L’association collabore avec les professionnels de la pêche pour les sensibiliser à l’importance de quotas et de techniques respectueuses des habitats marins, comme l’utilisation de filets sélectifs pour éviter la capture de juvéniles ou d’espèces menacées.

●        Programmes de sensibilisation : KAP Natirel mène des actions éducatives auprès des écoles et des communautés locales pour expliquer l’impact des activités humaines sur l’environnement marin. Ces initiatives incluent des ateliers, des sorties pédagogiques et des événements de nettoyage des plages et des récifs.

●        Suivi des espèces en danger : En partenariat avec des chercheurs, l’association surveille l’évolution des populations de poissons et de crustacés, en mettant l’accent sur des espèces menacées comme certains mérous ou les oursins blancs, dont la disparition aurait un effet domino sur l’équilibre de l’écosystème marin.

Malgré ces efforts, KAP Natirel manque cruellement de financements pour mener à bien ses missions sur le long terme. L’association peine à obtenir des subventions publiques et doit compter sur le bénévolat et des partenariats limités avec d’autres ONG. Pourtant, son action est essentielle pour préserver la faune marine guadeloupéenne et assurer une pêche viable pour les générations futures.


Lutter contre le narcotrafic et l’insécurité

 

Le territoire guadeloupéen subit malheureusement aussi la pression du narcotrafic, tant il est proche d’îles comme la Dominique, devenu un véritable narco-État et dont 70% du PIB dépend de la fabrication de passeports… Avec l’augmentation du trafic maritime et le désarmement militaire des Antilles, la Guadeloupe ne peut que difficilement lutter contre ce crime organisé.

Face à cela, assurer la sécurité de la population est un enjeu majeur pour Harry Durimel, maire écologiste de Pointe-à-Pitre. J’ai pu échanger avec lui entre deux auditions à la Cour d’assise, lui qui continue à exercer son métier d’avocat, et est donc doublement confronté aux problèmes liés au trafic de drogue qui constitue de nombreuses affaires judiciaires. Il m’a expliqué le manque criant de policiers sur le terrain, et l’unique réponse apportée par le ministre de l’intérieur de l’époque, Gérald Darmanin : des caméras de vidéosurveillance. Pourtant des politiques de prévention auraient des effets bien plus intéressants, en commençant par avoir plus de policiers visibles, mais aussi en luttant à la racine contre la déscolarisation et la misère sociale, terreau fertile de la délinquance.

 

 

Vers un modèle plus résilient ?

Au fil des observations, une évidence s’est imposée : la Guadeloupe possède toutes les ressources pour garantir une alimentation plus locale, plus saine et plus accessible. Mais cela suppose des choix politiques et économiques ambitieux:

  1. Soutenir l’agriculture locale en facilitant l’accès aux financements et en protégeant les producteurs contre la concurrence déloyale des importations.

  2. Encourager les circuits courts et une distribution plus équitable pour en finir avec les monopoles.

  3. Renforcer la protection de l’environnement afin de garantir des sols et des eaux sains aux générations futures.

  4. Soutenir les initiatives écologiques locales, comme celles menées par KAP Natirel, en leur apportant des financements et un cadre législatif plus favorable, à rebours des décisions récentes du gouvernement.

Un grand merci tout particulier à

  • Christian Civilise, secrétaire du groupe local Les Écologistes de Guadeloupe

  • Alain Avril, Secrétaire régional Caraïbes - Écologie Les Verts

 

 

 
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