En guerre avec la protection de l’environnement, le gouvernement récidive au service d’une économie punitive

Le gouvernement s'est récemment félicité à grand renforts de communication du dispositif « Sites clefs en main » sensé résoudre les problèmes de foncier auquel seraient confrontés les industriels.

La Normandie est concernée par ces annonces puisque 6 sites ont été retenus :

  • Un projet dans le Calvados : Cagny (33 ha)

  • Cinq en Seine-Maritime : Gonfreville l'Orcher (54 ha), Grand-Couronne (75 ha), Oissel (41 ha), Ouadalle (60 ha) et Rogerville (50 ha).

Les 55 lauréats nationaux de l'appel à projet pourront bénéficier d'aides du Fonds Vert et de prêts de la Banque des Territoires (enveloppe de 450 millions d'euros).

Si sur le principe, je rejoins la nécessité de réindustrialiser la France pour éviter que les biens manufacturés dont nous avons un réel besoin soient fabriqués à l'autre bout du monde, je suis sceptique sur cette énième annonce du gouvernement.

Car au nom d’une prétendue compétitivité, le gouvernement choisit de liquider l’écologie et accessoirement notre sécurité face aux risques industriels et environnementaux.

Le Président de la Commission Nationale du Débat Publique, Marc Papinutti, a d’ailleurs publié au nom de la CNDP un communiqué de presse qui dénonce la volonté du Gouvernement de dispenser de débat public les projets industriels à venir.

Il conclut ce communiqué par la phrase suivante : « Aucune transition ne pourra être menée à bien sans l'implication des citoyennes et des citoyens dans les débats et dans les décisions qui les concernent. »

Le détricotage du droit de l’environnement sous couvert d’efficacité économique - en l’occurrence l'article R121-2 du Code de l’environnement - est un inquiétant signe des temps.

Il constitue désormais le nouveau credo du gouvernement français et des droites et extrême-droites européennes.

Dès lors, cette prétendue ambition industrielle ressemble de plus en plus à un « cheval de Troie » pour des projets industriels néfastes pour l'environnement et la sécurité des personnes.

Non content d’éjecter l’expertise et la concertation citoyenne pour évaluer un projet industriel, le gouvernement se vante d'avoir réduit le délai des démarches administratives pour aménager ces sites en les faisant passer de 17 mois à neuf mois en 2025…

Comment peut-on imaginer un instant que les choses seront examinées sérieusement avec deux fois moins de temps ?

Pourtant, les procédures administratives n'existent pas pour embêter les investisseurs économiques mais pour s'assurer que leurs projets sont conformes à l’intérêt général, et ne provoqueront pas des dégâts irrémédiables à l'environnement ou un risque industriel préjudiciable à la sécurité des riverain·es.

Derrière le discours volontariste, on voit bien la volonté du gouvernement de passer en force, à l'image de terminal méthanier dans le port du Havre qui a été implanté en urgence pour importer du gaz de schiste américain - voir russe (la France est la première importatrice de l’UE de GNL en provenance de Russie…) -  pour au final se rendre compte qu'on n'en avait pas besoin... 

Tout est résumé dans la déclaration du ministre Béchu : « Il s’agit d’une traduction concrète de l’écologie à la Française, pensée par le président de la République et mise en œuvre par le Gouvernement. »

Mais qu’est-ce que l'approche « à la française » vantée par Emmanuel Macron dans les faits ? C'est le nucléaire plutôt que les renouvelables, l'agriculture chimique plutôt que l'agriculture biologique, le soutien à la voiture électrique plutôt qu'aux transports collectifs, la défense des intérêts des industriels plutôt que la sécurité de nos concitoyen·es.

Et c’est surtout une économie de la rente, punitive, opportuniste et spéculative, maintenue à bout de bras grâce à des bonifications fiscales et budgétaires, plutôt qu’une économie réelle et innovante, intense en emplois.

Dit autrement, on est revenu (mais l’avions-nous quitté?) à « l’environnement, ça commence à bien faire » sarkozien avec son pendant macronien de « pause réglementaire », dont la petite musique se répand en France comme au Parlement européen.

Le gouvernement ne fait d'ailleurs même plus l'effort de cacher ses intentions régressives sur sa vision de l’écologie.

Ses stratèges, pendant la crise agricole, n’ont-ils pas assumé de reprendre les éléments de langage de l’extrême-droite, les jugeant « les plus efficaces » ?

Les défaites idéologiques précèdent toujours les défaites politiques.

Après en avoir repris les mots, ils en reprennent la doctrine.

Du Pacte Vert, le gouvernement embrasse désormais un pacte brun dont la « simplification réglementaire » en matière d’environnement signe l’aveu.

À titre d'illustration, le ministre ose proclamer que ce dispositif s'inscrit dans la politique de zéro artificialisation de l’État. Pourtant le même communiqué de presse indique que seuls 60% des projets, représentant au total 3.342 hectares, seront effectivement réalisés sur des friches.

Pourtant, les friches industrielles ne manquent pas... Après 40 ans de politiques de désindustrialisation menées en France à la fois par la droite et par la gauche, nous disposons de milliers d’hectares de friches dans notre pays.

Si une partie d’entre elles peuvent être transformées en parcs urbains ou en logements, la plus grande part peut être rendue à l’activité économique.

Il y aura donc 40% des projets industriels à venir qui se feront sur des espaces naturels ou agricoles. Comment peut-on se revendiquer d'une politique de zéro artificialisation lorsqu'on prévoit la destruction de 1.337 hectares ?

Cela dépasse l'entendement.

En outre, rien n'est indiqué sur la nature des entreprises qui pourraient être amenées à s'installer sur ces sites, comme si tout se valait.

Alors oui, le Gouvernement a dû préciser, après sa première communication officielle, que cela concernerait des entreprises de « l'industrie verte ».

La belle affaire.  

Mais c'est quoi de « l'industrie verte » ?

Quelques éléments d'appréciation.

Récemment une usine d'agro-carburants a pris feu dans le Port de Sète (Hérault). C'est de l'industrie verte les agro-carburants ?

La centrale biomasse de Gardanne dont l'autorisation a été annulée par le Conseil d'État le 27 mars 2023 pour ses incidences environnementales, devait brûler 850.000 tonnes de bois par an.

C'est vert ?

Que dire des projets de gigafactories qui puisent l'eau dont elles ont besoin dans les nappes phréatiques où plus localement du colossal entrepôt logistique prévu à Gennevilliers (GreenDock) qui va générer un flux quotidien de 2.000 véhicules en compromettant la Zone Natura 2000 de la pointe aval de L’Île-Saint-Denis située à 50 mètres ?

Allons-nous transformer des sites hier dédiés à la production en centres logistiques géants dont le rôle sera de réceptionner puis expédier des millions de tonnes de marchandises produites à l’autre bout du monde pour les livrer à domicile, anéantissant dans un même mouvement le travail des ouvrier·es et des commerçant·es ? 

Tout cela est-il labellisé « industrie verte » ?

Quel intérêt pour notre économie européenne, pour l’écologie et pour nos emplois ?

Alors rappelons ce qui, de mon point de vue, devrait répondre au critère d’une industrie verte.

Premier critère : l’utilité sociale et environnementale des productions. Si ce que l’on produit est néfaste pour l’environnement et/ou le social, il ne faut ni le produire, ni le commercialiser, ni l’utiliser ou le consommer sur notre territoire. 

Second critère : les conditions sociales et environnementales de production. Toute production d’un bien de consommation d’intérêt général doit l’être dans le respect de l’environnement et des conditions de travail des salarié·es.

Or, en fragilisant l’évaluation des conséquences environnementales des implantations industrielles, on augmente les risques pour l’environnement, tout comme pour les conditions de travail.

Les risques environnementaux sont d’autant plus importants que ces sites se trouvent naturellement en bord de cours d'eau donc soumis aux aléas d’inondation de plus en plus importants avec le dérèglement climatique et la montée générale du niveau des eaux, risques auxquels la métropole de Rouen - et la totalité de l’axe Seine - est particulièrement exposée.

Dans ce contexte, diviser par deux le temps pour s'assurer que les projets ne constitueront pas de danger pour l'environnement et les personnes est irresponsable.

C'est d'autant plus scandaleux que l’État ne s'attaque pas au vrai problème de « compétitivité » auquel est confronté notre économie.

Ce ne sont pas les délais d'instruction administrative qui font fuir les industriels.

Tout d’abord, c’est le choix politique français qui a consisté à abandonner le secteur industriel pour le secteur tertiaire, celui des services. Entre 2000 et 2020, alors même que l’industrie avait déjà décrochée en France depuis le tournant des années 70, la part de l’industrie manufacturière dans le PIB de notre pays est passé de 14% à 9%. C’est la plus grosse baisse de toute l’Union européenne après le Danemark. Le corollaire de cet abandon de l’industrie a été l’abandon de la classe ouvrière dont les droits et les salaires n’ont cessé d’être attaqués et diminués, par la droite comme par la gauche.

Dans le même temps, la libéralisation du monde et son « déménagement » a livré notre marché et les travailleuses et travailleurs à une concurrence absurde et destructrice pour nos emplois mais aussi pour l’environnement. Les émissions de gaz à effets de serre et la destruction de la biodiversité ont explosé à l’échelle mondiale.

Cet effondrement de notre économie réelle s’accompagne par l'effondrement de nos infrastructures stratégiques, au premier rang desquels le fret ferroviaire. Faute de moyens et de soutien politique, il ne transporte plus que 10% des marchandises quand il en transportait encore le triple à la fin du siècle dernier et même 55% en 1968.

Voilà le cœur du problème.

En refusant de bâtir une économie endogène, locale, résiliente, s’appuyant sur nos besoins réels et sur les ressources dont nous disposons ; en renonçant à nous donner les moyens d’une fiscalité juste qui taxe les multinationales et les plus riches pour redistribuer, inciter et investir dans les secteurs utiles, l’État a créé son insolvabilité et son impuissance.

Dès lors, la réindustrialisation massive annoncée risque de se révéler être une aubaine pour des industries dopées aux subventions publiques mais dont nous ne maîtriseront ni la dimension stratégique, ni la chaîne de valeur.

Le projet des écologistes consiste à redonner du sens à l’économie en choisissant de promouvoir une production de qualité, utile socialement et écologiquement, réparable, réutilisable et recyclable.

Nous proposons un pacte économique industriel reposant sur une démocratie sociale robuste et des interactions avec les citoyens et les consommateurs, intense en emploi, en petites et moyennes entreprises et protectrice pour l’environnement.

Nous avons besoin d’un réel pacte vert pour l’emploi et la réparation du monde pour concilier nos modes de production et de consommation avec les limites écologiques planétaires.

Bref, nous avons besoin d’un projet qui tourne enfin le dos au dumping social et environnemental que le gouvernement d’Emmanuel Macron continue de servir.

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