Les prairies normandes en voie de disparition

Tout le monde se souvient de la mobilisation des agriculteurs pour leurs revenus.

Le Gouvernement, l'extrême droite et une partie des dirigeants de la FNSEA ont alors expliqué que c'était la faute aux normes environnementales.

Ces éléments de langage à base de « agri-bashing », « écologie punitive » et autre « décroissance agricole » circulaient déjà dans les couloirs de Bruxelles ou des ministères parisiens depuis plusieurs années.

Les lobbys de l’agro-industrie les diffusent pour faire le l’écologie la bouc-émissaire de l’anéantissement des agriculteurs et des paysans.

Plusieurs syndicats agricoles, des mouvements de la société civile et les écologistes bataillent pour déconstruire ce récit. La crise agricole existe. Elle est réelle et elle s’aggrave. Et elle n'est pas issue de l’existence des normes environnementales protectrices.

Les causes de cette crise sont connues. Elles viennent de choix politiques délibérés qui ont conduit depuis 50 ans à promouvoir les filières de l’agro-chimie, des géants de l’agro-alimentaire et de la grande distribution. Ses alliées sont les grandes coopératives qui rançonnent les agriculteurs en imposant des prix qui les tuent ainsi que les banques qui spéculent sur les emprunts que les agriculteurs sont contraints de souscrire pour s’agrandir, s’équiper, ou pour attendre les versements tardifs des aides auxquelles ils ont droit. Par ailleurs, l’agriculture de qualité est la variable d’ajustement du modèle libéral productiviste : on laisse entrer des marchandises qui ne respectent pas les normes en vigueur dans l'Europe.

Pour couronner le tout, le modèle productiviste est très sensible à l'évolution du prix des énergies fossiles en raison de son recours aux engrais chimiques et aux besoins liés au fonctionnement des exploitations et au transport des marchandises.

Mais contrairement à l’agroalimentaire et à la grande distribution, les producteurs agricoles n’ont pas les moyens de répercuter ces surcoûts sur leurs prix de vente car ce ne sont pas eux qui décident de ces prix mais les coopératives qui les pressurent.

Hélas, le matraquage médiatique des productivistes a fait son œuvre et a conduit une majorité conservatrice du parlement européen à se réunir en procédure d'urgence le 24 avril, juste avant les élections du mois de mai, pour affaiblir le volet environnemental de la PAC, déjà réduit à la portion congrue.

La principale victime est une fois de plus la biodiversité avec la possibilité donnée aux États membres de supprimer définitivement l'obligation de préserver 4% des terres agricoles en jachères ou surfaces « non productives » (haies, bosquets, mares…), après une suspension temporaire accordée pour 2023 puis 2024.

Ce vote funeste a été confirmé par le Conseil de l'UE le 13 mai dernier ouvrant pour l’État français la possibilité d'une régression environnementale sans précédent.

Les productivistes mettront en avant l'impératif de sécurité alimentaire renforcé par la guerre en Ukraine mais ce sont les mêmes qui font la promotion de l'agrivoltaïsme qui consiste à implanter des panneaux solaires sur des terres agricoles en lieux et place d'activités d'élevage. Ce sont aussi les mêmes qui font la promotion des agri-carburants, qui consiste à faire pousser des plantes pour en faire du carburant…

Ce sont toujours les mêmes qui s'opposent au développement des éoliennes au motif de la défense des paysages mais ne voient aucune difficulté à faire disparaître les prairies, les haies, nos bocages.

Si je suis un partisan du développement des énergies photovoltaïques et de façon plus générale des énergies renouvelables ; Mais je suis opposé à ce que cela se fasse au détriment de la production agricole alimentaire d'autant que l'on dispose de suffisamment de surfaces de toitures et de parkings (ombrières) pour assurer nos besoins énergétiques.

Au final ce sont les agriculteurs et la biodiversité qui seront les grands perdants de ces mesures dictées par des agro-industriels qui ne se préoccupent ni des uns ni de l'autre.

Cela inquiète par contre les éleveurs si on en croit le crie d’alerte en Normandie de la Confédération paysanne qui s’alarme du recul des prairies dans notre Région.

Les chiffres sont édifiants.

Les services de l’État ont publié leurs statistiques qui indiquent qu'entre 2018 et 2023 la Normandie a perdu 50.000 hectares de prairie soit une baisse de 7,43% en seulement 5 ans ! Et si on remonte à 1990 se sont près de 200.000 hectares de prairies permanentes qui ont été perdues (Aujourd'hui il n'en reste que 623.813).

À ce rythme les prairies normandes auront disparu bien avant la fin du siècle.

Cette situation désastreuse avait conduit dans un premier temps l’État à interdire les retournements permanents de prairie.

Mais cette position de bon sens a été balayée par le cynisme du Gouvernement allié aux dirigeants de la FNSEA qui ne défendent que leurs propres intérêts.

La Normandie est la pire des régions de France devant la Bretagne, avec -5,56% et les Pays de La Loire, avec -5,33% et très loin derrière Provence Alpes Côte d'Azur qui fait progresser les prairies permanentes de 4,65%.

Très clairement les autorités prennent position en faveur d'une agro-industrie qui souhaite réduire le nombre d'exploitations en accroissant leur taille tout en retirant aux agriculteurs toute autonomie à leur égard.

C’est un modèle destructeur pour le monde paysan mais également pour l'environnement et la santé humaine.

Qui aurait pu imaginer ne serait-ce qu'il y a dix ans que les prairies normandes pourraient un jour disparaître de nos paysages?

Dans « paysan », il y a « paysage ».

La défiguration de la planète, de notre région et de ce que l’on appelle partout dans le monde « la verte Normandie » est un désastre pour la nature, pour l’agriculture, pour les paysans et pour notre qualité de vie.

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