Le nucléaire : une pyramide de Ponzi
Avec le double enjeu de la lutte pour le climat et contre les énergie fossiles d’un côté, et l’inflation qui touche le secteur de l’énergie de l’autre, le nucléaire est gratifié de nouvelles vertus magiques. Il constituerait une martingale pour résoudre le problème de l’énergie carboné et serait la pierre philosophale capable de transformer notre industrie moribonde en or.
En vérité, on a déjà vu le film il y a environ un demi-siècle lorsqu’avec des termes à peu près analogues avait été lancé le plan Messmer. Le tout nucléaire devait alors sortir la France du lot et nous donner un avantage concurrentiel décisif par rapport au reste du monde.
« En France, on n’a pas de pétrole mais on a des idées », disait déjà la publicité d’EDF des années 1970, flattant à bon compte notre fierté nationale et le chauvinisme gaulois qui nous caractérisent…
Las, le champion national de l’électricité à la française est endetté à hauteur de 64,5 milliards d’euros… Le pari nucléaire a accouché d’un parc souffreteux en fin de vie et d’une « excellence technologique » qui tourne au désastre industriel avec les EPR (réacteurs de 3e génération) en attendant le nouveau miroir aux alouettes - après les mirages Super Phoenix et ITER - que constituent les SMR (des « petits » réacteurs) censés donner un nouveau souffle à la filière nucléaire…
Jamais en retard d’une vision nostalgique et régressive de la France, le Gouvernement déploie une énergie, pour le coup renouvelable et sans limite, afin de justifier un colossal programme de développement de nouveaux EPR.
EPR, des colosses aux pieds d’argile
À titre d'illustration, le Canard Enchaîné se fait écho du fiasco du projet d'EPR anglais qui voit son coût pour EDF doubler, passant de 15 à 30 milliards d'euros. Mais « qui aurait pu prévoir ? », me direz-vous… Et bien, au moment de la signature de ce contrat de construction avec la Grande-Bretagne, poussé avec zèle par un jeune ministre de l’économie nommé Emmanuel Macron, le directeur financier d’EDF avait démissionné à cause de son désaccord avec ce contrat qui selon lui mettait en danger la pérennité d’EDF…
Aujourd’hui, l’État et le lobby nucléaire récidivent en décidant de lancer une « consultation du public » du 15 janvier au 15 février 2024 pour autoriser la mise en service de l'EPR français de Flamanville.
Un mois pour lire des dizaines de documents, des milliers de pages, est-ce bien sérieux ? Alors même que ce chantier engagé en 2007 et dont la livraison était annoncée en 2012 a pris 12 années de retard, était frappé de nombreuses malfaçons et entraîné un surcoût de plus de 15 milliards d’euros ?
Que signifie cet empressement et ce passage en force, sinon vouloir empêcher l'expression de toute contestation et remise en question ?
Il faut comprendre que - par nature - la technologie nucléaire ne peut s’accommoder de transparence et de débat, bref, de ce qui définit ordinairement une démocratie car elle repose sur le secret. Ce qui pousse même EDF à refuser d’écouter ses propres agents, comme Arnaud Bégin, envoyé devant le conseil de discipline d’EDF pour avoir (trop) signalé des problèmes de sûreté.
Vouloir sanctionner un inspecteur de la sûreté nucléaire au moment où doit se décider l'avenir de la filière EPR et la prolongation éventuelle du parc ancien, il fallait l'oser. Mais cela fait sens alors même que la disparition de l’IRSN par son démantèlement et une fusion forcée avec l’ASN risque d’être imposée par la Gouvernement. Le message est d'une limpidité glaçante à destination des éventuels lanceurs d’alertes au sein d'EDF et au-delà : Circulez. Et si vous parlez on vous brisera.
Le nucléaire « quoi qu’il en coûte »
Pour justifier ses méthodes le Gouvernement français invoque donc tout à la fois l'indépendance énergétique, l'accès à une énergie pas chère et la préservation du Climat.
👉 Sur l’indépendance
La démonstration est connue : il n'y a pas d'uranium naturel en France, et l’uranium enrichi provient à 67% de Russie.
On m’objectera que la filière pourrait être réorganisée pour s’appuyer sur d’autres pays. Certes, mais cela prend du temps et en dernière analyse, « d’autres pays », cela n’est toujours pas l’indépendance…
👉 Sur le coût
Le nucléaire, la garantie d’une énergie pas chère ? En n’intégrant pas les coûts publics d’investissement dans la recherche, ceux de l’assurance des centrales assumés par l’État et surtout les coûts réels de démantèlement comme ceux du retraitement et de stockage des déchets, les centrales ont pu donner l’illusion de fournir une énergie « bon marché ».
Aujourd'hui les masques sont tombés avec les centrales dites « nouvelles génération » EPR dont le coût de production de l'électricité sera au minimum deux fois supérieur à celui des énergies renouvelables.
👉 Sur l’impact environnemental
Enfin, d'après ses partisans, le nucléaire c'est « bon pour l'environnement » et c'est grâce à lui que la France est « en avance » sur ses objectifs de réduction de CO2. C’est la nouvelle pensée magique des adeptes du nucléaire. Rappelons d’abord que la consommation d’électricité représente aujourd’hui une petite part de notre consommation globale d’énergie.
Ensuite, observons que notre modèle actuel de production électrique d’origine nucléaire est loin d'être vertueux : étant hyper centralisé, il perd la moitié de l’énergie primaire entre le lieu de production et le consommateur. En outre, une fois arrivé au destinataire, l'usager en consomme beaucoup plus qu'ailleurs du fait du retard considérable de la France en matière de rénovation thermique des bâtiments. À quoi bon isoler les bâtiments quand on est convaincu qu'on dispose d'une énergie censée être bon marché?
Mais admettons, et actons le fait que - toute choses étant égales par ailleurs - la production d’électricité nucléaire produit moins de CO2 que la production d’électricité d’origine fossile. Il demeure trois problèmes de taille en laissant de côté les questions de coût, des risques et du devenir des déchets :
Premièrement, si on maintient le rythme d’augmentation de consommation énergétique global et qu’on parvenait à transférer tous ces usages sur de l’électricité nucléaire, il n'y aurait pas assez d'uranium dans le monde pour alimenter autant de centrales nucléaires.
Deuxièmement, il nous reste à peine dix ans pour agir et préserver des conditions de vie acceptables sur terre, soit moins de temps qu'il n'en faut pour construire un EPR.
Non seulement le nucléaire n’est pas une solution satisfaisante pour lutter contre le réchauffement climatique, mais la part de celui-ci déjà inéluctable rend plus risqué et incertain encore le développement du nucléaire qui a besoin d’eau froide en quantité pour fonctionner.
Désobéissance
Pourtant, ces paramètres n’entament en rien l’entêtement résolu de l’élite politique en faveur du nucléaire. Et cela au détriment des objectifs écologiques qui sont les nôtres.
Alors que la France devait atteindre 42,5% de renouvelables dans sa consommation d'ici à 2030, notre Gouvernement a unilatéralement décidé de se contenter de 33% alors qu'elle n'a même pas atteint l'objectif qu'elle s'était fixé de 23% en 2020.
La « championne » des renouvelables a donc décidé de faire 10 points de moins que ce à quoi elle s'était engagée. Et encore, il n'est même pas assuré que nous atteignons cet objectif amputé du 1/4. Pire, la France plaide que son parc nucléaire justifierait de déroger à ses engagements en matière d’énergie renouvelable. Ce raisonnement est un aveu : c’est bien l’obsession nucléaire française qui a conduit nos élites à mépriser les énergies renouvelables et qui est responsable de notre retard industriel en la matière. En effet, la France ne dispose plus d’entreprise majeure fabriquant des éoliennes offshores depuis que nous avons cédé Alstom à GE et la division éolienne d’Areva à Siemens et Gamesa.
La fable du renouvelable alliée du nucléaire n’a jamais été qu’un conte dans la bouche du lobby français pour maintenir à toute force sa filière nucléaire. Une forme de « et en même temps », en somme…
Mais l’obsession nucléaire française a également des conséquences au niveau européen. Notre pays n’hésite pas à bâtir les alliances les plus baroques pour tenter d’imposer à l’Union le financement d’une filière qu’elle n’a plus les moyens d’assumer seule - d’où le partenariat avec notamment la Hongrie ou la Pologne pour soutenir une taxonomie « verte » incluant le nucléaire et le gaz… La France n’hésite pas à brûler ses vaisseaux en reniant sa signature et ses engagements pour que le nucléaire figure partout où il pourrait bénéficier de nouvelles mannes dont il espère qu’elles pourraient le sauver.
Mais, comme dit l’autre, l’argent magique n’existe pas. Et la pyramide est de plus en plus fragile. Alors que le monde entier se tourne vers les énergies renouvelables, les quelques États qui se disent intéressés par le nucléaire le sont soit en échange de concessions peu avouables de la part de la France dans d’autres domaines, soit pour des objectifs qui ne sont pas qu’énergétiques. Car la prolifération du nucléaire dit « civil » ne peut évidemment être parfaitement isolé de la prolifération du nucléaire à usage militaire…
Ainsi, la diplomatie du nucléaire à la française contribue à ajouter au désordre du monde et aux dangers que celui-ci fait peser sur la paix et notre sécurité.
En persistant dans une technologie dont plus aucune avancée technologique exploitable industriellement n’est à attendre à court ou moyen terme, alors que de son côté, les énergies renouvelables voient leurs performances s’améliorer et leurs coûts baisser, la France s’enferme et s’isole dans une vision de l’avenir aux couleurs sépia.
La pyramide de Ponzi ne tient que par l’ignorance de ceux qui y croient et le mensonge de ceux qui font semblant d’y croire.
Mais tôt ou tard, le réel s’impose à l’ignorance et au mensonge.
Et l’on sait d’expérience que ce sont rarement leurs instigateurs qui supportent les conséquences des turpitudes qu’ils ont inspirées.