Le « tout hydrogène » n’est pas l’eldorado de la transition énergétique
Le nouveau Président de l’ADEME (Agence de la transition écologique), Sylvain Waserman, était récemment de passage à Rouen pour présenter l’action de son institution en faveur de la transition énergétique avec un volet dédié à l’hydrogène.
L’action de cette agence d’État s’inscrit plus globalement dans la stratégie française de soutien à l’hydrogène qui prévoit 7 milliards d’investissement public d’ici à 2030.
De prime abord c’est une « bonne nouvelle » car l’hydrogène est l’une des solutions qui permet de stocker de l’électricité. Or, ce stockage est l’un des enjeux dans une stratégie de décarbonation de notre production et consommation énergétique.
Ainsi, en période de surproduction, l’électricité renouvelable peut être transformée en hydrogène pour être stockée localement ou transportée.
A contrario, en période de surconsommation l’hydrogène peut être retransformé en électricité.
Cet usage de l’hydrogène est l’un des éléments qui a permis à l’ADEME de démontrer qu’on pouvait d’ici à 2050 assurer 100 % des besoins énergétiques de la France à partir des énergies renouvelables, c’est à dire sans énergies fossiles ni nucléaire.
Mais comme toujours, le diable se cache dans les détails. Car si l’utilisation de l’hydrogène comme l’un des moyens de stockage de l’électricité issue des ENR est une technologie prometteuse et nécessaire, il y a beaucoup à dire - et à craindre - de l’enthousiasme du Gouvernement pour le développement d’une stratégie « tout hydrogène ».
Tout d’abord, le processus de production d’hydrogène consomme beaucoup d’énergie. Je vais simplifier, mais pour produire 25 unités d’hydrogène il faut 100 unités d’électricité. On dit alors que son rendement est de 25 %.
Lorsqu’on produit cet hydrogène à partir d’une électricité renouvelable qui va être perdue car la consommation en électricité est inférieure à la production, la faiblesse du rendement n’est pas un problème majeur car il vaut mieux récupérer 25 % de l’énergie produite que rien du tout.
Mais lorsque la production est inférieure ou équivalente à la demande un tel rendement n’est pas supportable ni souhaitable. Autrement dit, la production d’hydrogène à partir d’électricité est particulièrement adaptée à la production électrique issue du renouvelable, dite « intermittente ».
Il faut également prendre en compte que la production d’hydrogène à partir de l’électrolyse de l’eau nécessite 20 litres d’eau par kilogramme d’hydrogène, dont 9 litres qui ne sont pas rendus au milieu prélevé, ce qui en période de stress hydrique représente un handicap de taille.
Dit autrement, l’hydrogène ne peut en aucun cas devenir l’énergie principale qui permettrait de faire circuler nos véhicules, fonctionner nos usines ou chauffer nos bâtiments. L’utilisation de cette technologie ne peut donc être massifiée dans un scénario qui généraliserait l’usage de l’hydrogène sans tenir compte de l’origine de l’électricité utilisée pour la produire.
Car si le Gouvernement ne cesse de communiquer sur « l’hydrogène vert » - c’est à dire produit à partir d’énergies renouvelables - dans les faits, aujourd’hui, 94 % de l’hydrogène est produit à partir d’énergies fossiles…
Au vu du retard français en matière de production d’énergies renouvelables il y a donc un risque très important que le développement des usages de l’hydrogène dans l’industrie et le transport serve de cheval de Troie au statu quo dans le mix énergétique français avec pour conséquence de persister dans le soutien aux énergies fossiles, essentiellement le gaz, et au nucléaire avec le très marketing hydrogène « rose ».
Dès lors, s’agit-il de rejeter l’hydrogène ?
Loin de là. Mais comme je l’indiquais il y a un an à Ursula von der Leyen en réponse à son discours sur l’état de l’union, il serait illusoire de voir dans l’hydrogène la formule magique capable de résoudre nos problèmes énergétiques.
Avant même de développer l’hydrogène il faut penser la sobriété juste et le développement des énergies renouvelables de façon décentralisée.
Concernant l’hydrogène il faut que les choses soient faites dans le bon ordre pour qu’on n’instrumentalise pas cette énergie d’avenir pour servir d’alibi aux énergies du passé.
Les énergies renouvelables ont connu des débuts laborieux. Les premiers panneaux solaires avaient un rendement de 6 % pour atteindre aujourd’hui jusqu’à 30 % avec même des résultats en laboratoire avoisinant les 50 %. Le prix de l’électricité d’origine éolienne ne cesse de baisser avec des innovations qui rendent désormais les infrastructures 100% recyclables.
L’utilisation de l’hydrogène doit aller de pair avec une réflexion sur ses usages et l’origine de l’électricité nécessaire à sa production.
En termes d’usage, l’hydrogène, comme expliquer plus haut, doit servir de moyen de stockage d’électricité renouvelable.
Elle peut éventuellement servir d’énergie de substitution au fossile pour certains transports collectifs, à l’image des bus à hydrogène expérimenté par la Métropole de Rouen. Les pistes d’utilisation d’hydrogène issue des ENR dans les industries qui consomment énormément d’énergie comme la sidérurgie sont également à explorer.
En revanche, l’utilisation de l’hydrogène pour faire fonctionner les voitures des particuliers me semble constituer une fausse piste. On en a un exemple en Normandie avec les difficultés de la société Hopium, société française installée à Vernon, qui ambitionne de commercialiser une berline de 2 tonnes (sic) et d’une puissance de 500 chevaux à 120.000 € !
En dépit du « succès » des pré-réservations la société se retrouve en difficulté avant même la sortie de la voiture amenant la Région Normandie à intervenir à son chevet avec une subvention de 2 millions d’euros.
Cet exemple illustre les dérives potentielles d’une stratégie qui ferait l’impasse sur la recherche de sobriété énergétique, sur une véritable interrogation concernant les usages et sur une stratégie globale pour une filière verte de production énergétique dont l’hydrogène n’est qu’un des éléments.