Déplacement à la Martinique : David Cormand interrogé par France-Antilles

L'eurodéputé David Cormand a effectué en novembre un déplacement de six jours en Martinique. L'ancien secrétaire national du parti Les Écologistes - Europe Écologie Les Verts, parlementaire européen depuis 2019 et proche du député Marcellin Nadeau, s'est penché sur des thématiques environnementales, sociales, mais aussi sur la question des fonds structurels européens ou encore l'ancrage économique de la Martinique dans le bassin caribéen. Il a répondu aux questions de France-Antilles Martinique.

L’interview 👇

M. Cormand, pour quelles raison êtes-vous venu passer six jours en Martinique en fin d'année dernière ?

J'étais déjà venu en Martinique en début d'année dernière, à l'invitation de Marcellin Nadeau, au moment du congrès de son parti, Péyi-a. Cette démarche m'intéressait politiquement. J'avais déjà rencontré Marcellin avant, à Cluny (Saône-et-Loire) dans le cadre d'un séminaire d'écologie. Il était venu notamment pour parler d'écologie décoloniale. Il y a des affinités politiques, théoriques, très fortes avec Marcellin. Historiquement le parti Les Verts est proche de Garcin Malsa, que j'ai vu pendant mon séjour, d'ailleurs. Maintenant, on arrive en fin de mandature au Parlement européen. On a des moyens spécifiques pour se rendre dans les régions ultrapériphériques. J'ai voulu faire le point, revoir des interlocuteurs, creuser des sujets. Il y avait aussi l'actualité des aides européennes, disons, imparfaitement consommées, donc je voulais en discuter. Bien sûr, il y a le dossier du chlordécone. À ma connaissance, la Guadeloupe et la Martinique sont les seuls territoires où la quasi-totalité de la population est contaminée par un poison particulièrement puissant, et on ne fait pas tout le travail qui devrait être fait. Et puis il y a la question environnementale au sens plus large. Les îles sont des territoires qui sont particulièrement vulnérables face aux agressions environnementales, et ce sont des territoires potentiellement résilients par rapport aux ressources disponibles. En Europe, on peut acheminer de l'eau avec des canalisations sur des centaines de kilomètres. Ici ce n'est pas possible. Pour moi, en tant qu'écologiste, ces territoires sont particulièrement éclairants, une forme de fenêtre vers l'avenir lorsqu'on veut regarder les conséquences environnementales de notre modèle de civilisation, parce qu'on voit les effets s'y produire avant la surface plus grande qu'est la Terre. Et la Terre, en réalité, c'est une île au milieu d'un océan qui s'appelle l'Univers. Donc les îles sont une fenêtre vers l'avenir avec un verre grossissant.

En tant que député européen, qu'est-ce qui est ressorti de votre séjour prolongé chez nous, après votre retour à Bruxelles ?

Sur les questions de relation à l'Europe, cette notion de régions ultrapériphériques a toujours été quelque chose de paradoxal. D'abord, parce que ces RUP, concernent essentiellement la France, et dans une bien moindre mesure, le Portugal et l'Espagne. Il n'y a donc que trois pays en tout, mais ce sont des régions essentiellement françaises, dispersées sur des zones géographiques très éloignées. Donc ce sont des préoccupations et des spécificités qui ne sont pas toujours perçues par la technostructure européenne. Et pour cause ! C'est donc logiquement à la France qu'il incomberait de le faire comprendre à l'institution européenne. Elle essaye sans doute de le faire, mais quand la France négocie les questions de fonds structurels européens sur l'agriculture, sur le social, je ne suis pas sûr qu'elle pense en priorité aux spécificités des territoires d'outre-mer. Et cela peut générer des critères, des dispositifs qui ne sont pas adaptés. La logique de l'Europe, c'est de favoriser le Marché unique, pensé pour les pays européens du continent. Une fois qu'on est ici, la logique est très différente. L'écosystème économique de la Martinique et de la Guadeloupe est conçu avant tout dans leur relation avec l'Europe, alors qu'en toute logique, il devrait être autant pensé, sinon plus, avec l'écosystème économique qui nous entoure ici. Mais d'un point de vue légal, ces territoires font partie du marché européen, pas du marché caribéen. Cela crée des anomalies. De fait, les dispositifs d'aides ou les réglementations ne sont pas toujours pensés pour les RUP et leurs spécificités. En tant que parlementaire, il y a un réflexe à prendre. 

Justement, nos élus misent beaucoup sur une meilleure intégration économique régionale. Concrètement, que peut faire l'Union européenne pour, par exemple, éliminer les multiples obstacles au commerce avec nos voisins caribéens ?

Il faudrait trouver le moyen pour qu'il y ait des dérogations ou des assouplissements de règles, tout en garantissant que les territoires d'outre-mer ne deviennent pas la porte d'entrée dans l'Union européenne de produits moins-disants en matière de réglementation. C'est la difficulté, mais ça se fait dans la discussion, au cas par cas. J'estime qu'il y a des questions aussi de sécurité alimentaire pour les Martiniquaises et les Martiniquais, car je pense qu'il y a des standards en matière agricole, au Costa Rica ou ailleurs, qui ne sont pas forcément très bons. L'idée n'est pas de mettre à la disposition de la population des produits alimentaires chargés en produits chimiques ! Au contraire, en matière alimentaire il faudrait aller vers une meilleure traçabilité des produits. L'Union européenne devrait permettre un certain nombre de dérogations, je suis d'accord avec cela, mais avec cette réserve-ci : qu'on ne crée pas un cheval de Troie vers l'Europe. D'ailleurs, la question s'est posée de manière très concrète avec le Brexit, dans le cas de l'Irlande du Nord. Il a fallu trouver des solutions pour que la frontière irlandaise ne soit pas la porte d'entrée de produits qui ne correspondent plus aux normes européennes. C'est peu ou prou la même difficulté. On peut y réfléchir. Après, ce n'est pas une martingale. Il ne faut pas partir du principe qu'il suffise de lever ces obstacles-là pour que, comme par magie, les inerties économiques, les effets de la mono-économie, sur un territoire comme la Martinique, soient résorbés en quelques années. C'est un sujet à la fois politique et technique. Car la question de la libre circulation des marchandises est politique, mais sa mise en œuvre est très technique.

En juin prochain, les élections européennes auront lieu. Allez-vous briguer un deuxième mandat ?

Je suis candidat à nouveau. Je serai deuxième sur la liste Europe Écologie Les Verts. Mais là, je n'étais pas en campagne puisque je suis venu avec le Parlement européen. On reviendra au moment de la campagne pour parler plus spécifiquement de nos programmes, notamment pour les outre-mer. La campagne n'a pas commencé ; nous sommes encore dans le cycle de la mandature de cinq ans qui est en train de s'achever.

Les Martiniquais votent très peu aux élections européennes. Que dites-vous à nos lecteurs pour qu'ils s'intéressent à ce scrutin ?

Quoi qu'on en pense, l'Europe est déjà dans la vie des Martiniquaises et des Martiniquais. Le drapeau européen est omniprésent ici, et ce n'est pas pour décorer, mais pour signifier que des projets ont été financés par l'Europe. L'Union européenne a un certain nombre de standards en matière de droits. Bien sûr, elle a aussi un passif historique qu'on connaît ! De fait, l'Union européenne fait de la politique en Martinique, donc il y a un intérêt à donner son avis sur les orientations qui seront données à ces politiques. C'est à cela que ça sert de voter aux élections européennes. J'invite tout le monde à s'intéresser aux différentes propositions des listes qui se présenteront.

Comment définiriez-vous ces valeurs européennes ? Notamment à l'aune de l'indifférence face aux noyades de milliers de migrants en Méditerranée, des attitudes à géométrie variable en Ukraine ou à Gaza... D'aucuns y voient des comportements en contradiction avec ces fameuses valeurs !

Vous avez raison. Il y a beaucoup d'endroits dans le monde où on le voit. Quand je parle de valeurs de l'Union européenne, ce sont les valeurs, en principe humanistes, qui ont d'ailleurs été dictées après le naufrage de la Seconde Guerre mondiale. L'idée originelle de l'Union européenne était de créer un espace dans lequel on se prémunit de ces pulsions de mort, de destruction, de racisme, de rejet. Mais ces dernières années, on assiste à une tension entre les personnes qui essaient de rester fidèles à ces valeurs originelles, qui ont guidé la construction de l'Union européenne, et les partisans de la régression. On le voit à l'intérieur de certains pays membres, avec cette dérive illibérale, non seulement dans plusieurs pays de l'est, mais aussi dans des démocraties plus anciennes comme l'Italie et, très clairement, en France. Sur les questions géopolitiques, vous avez raison de pointer les fautes lourdes de l'Union européenne sur ce qui restera une tache indélébile : le traitement de la question migratoire, à plusieurs titres, cette manière de s'arc-bouter sur ce fantasme d'une citadelle européenne, au point de laisser mourir des gens dans la Méditerranée, au prix de collusions avec des régimes dictatoriaux comme la Tunisie, la Libye ou la Turquie. Le dernier exemple, très révélateur aussi au niveau géopolitique, est la question Israël-Palestine, où la parole d'Ursula von der Leyen, lorsqu'elle a rencontré Benyamin Netanyahou en Israël (le 13 octobre 2023, ndlr), a fait honte à un certain nombre d'entre nous. Ce deux poids, deux mesures ne passe pas inaperçu. Là aussi, il y a une tension, et c'est pour cela qu'il est important de se saisir de l'Union européenne. Il y a eu une réaction du Parlement européen, sans doute trop timide. Mais les Verts ont été actifs : dans la résolution votée il y a quelques semaines (le 19 octobre, ndlr), on a fait un amendement, avec le groupe parlementaire The Left, qui demande un cessez-le-feu. Au final, c'est une pause humanitaire qui a été adoptée dans la résolution. Le terme est atroce, mais on a réussi à faire voter 85% du parlement là-dessus. Donc, pour revenir aux valeurs originelles de l'Europe : si on veut qu'elles subsistent, cela dépend des personnes qu'on élit au Parlement. Si demain, la majorité est détenue par les groupes d'extrême droite, c'est sûr que l'infamie peut revenir. Nous ne sommes absolument pas prémunis contre son retour. Il y a une tentation aujourd'hui, au sein d'un certain nombre de groupes, de remettre sur la table les droits fondamentaux, de rediscuter de tout. On le voit, en France, avec la loi immigration, où de fait, une majorité a mis en musique des arguments qu'on n'entendait qu'à l'extrême droite il y a dix ans. Cela nous montre que les droits ne sont jamais définitivement acquis.


Interview complète à retrouver sur France-Antilles Martinique.

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