Crise énergétique : « Il faut qu'on soit dans le mur pour qu'il y ait une prise de conscience »
Vendredi 16 septembre, David Cormand, eurodéputé écologiste normand, était l'invité de France Bleu Normandie à l'occasion des Journées normandes de l'écologie.
La France et l'Europe traversent une grave crise énergétique avec l'augmentation des prix du gaz et de l'électricité. Le gouvernement a annoncé le prolongement du bouclier tarifaire pour limiter cette augmentation sur la facture des Français. Soutenez-vous l'action du gouvernement sur ce point-là ?
D'abord la crise énergétique a commencé depuis longtemps, puisque la France est tributaire de ressources énergétiques dont on ne dispose pas, et dont l'usage a des conséquences sur l'environnement. Cette crise n'a pas été anticipée. Il faut qu'on soit dans le mur, il faut qu'il y ait la guerre en Ukraine, avec l'agression russe, pour qu'il y ait une accélération et une prise de conscience de cette crise.
Les propositions du gouvernement sont insuffisantes. Ce bouclier tarifaire, c'est un pansement sur une jambe de bois et surtout, c'est une aide qui ne cible pas les citoyens en fonction de leurs revenus. Je pense qu'il faut qu'on aide en priorité les plus vulnérables d'entre nous, ceux qui sont en train de commencer à choisir entre manger et se chauffer.
C'est le cas avec le chèque énergie de 100 à 200 euros en fonction des revenus, pour les foyers les plus modestes ?
C'est pour ça que je suis pour ça, pas pour le bouclier tarifaire pour tout le monde.
Et deuxièmement, on a un problème de plan de sobriété. Dans le parc social par exemple, le logement, il n'y a que 6,5% des logements qui sont isolés. C'est moins de dix des logements sociaux. Ce sont les plus pauvres de nos compatriotes qui y vivent. Ils ne sont pas isolés. Ça fait 20 ans qu'on sait qu'il faut le faire. Et donc là, il y a un plan à lancer d'isolation rapide, pas seulement dans le logement social, mais également de logements privés, pour que très rapidement, le plus rapidement possible, on ait moins de factures de chauffage.
Autre plan : baisser le prix des transports collectifs, développer les réseaux de transports collectifs et de transport doux. Tout l'argent prévu pour fabriquer des nouvelles autoroutes, comme le contournement Est ici dans la métropole rouennaise, il faut arrêter ces dépenses. Il faut réorienter notre société pour plus de sobriété et plus d'énergies renouvelables.
Les risques de pénurie d'électricité viennent notamment du fait que toutes les centrales nucléaires françaises ne tournent pas à plein régime. Les écologistes prônent le développement des énergies renouvelables comme alternative au nucléaire. Mais sans le nucléaire, est-ce que ce ne serait pas encore pire?
C'est ce qu'on est en train de vivre. C'est parce que ça ne marche pas qu'elles ne sont à plein régime. Ça fait 50 ans qu'on a tout misé dans le nucléaire, aucun pays au monde n'a plus de centrales nucléaires qu'en France. On est l'exemple type de 'à quoi ça ressemble un pays qui a tout misé sur le nucléaire', et aujourd'hui il y a un problème. Et on dit, c'est à cause de vous les écologistes. Ah bah non, on aurait été au pouvoir, on aurait des énergies renouvelables.
Suffisamment ?
Là avec le nucléaire, on sait qu'on n'en a pas suffisamment. Vous savez que la France importe chaque mois de l'électricité. Ça fait 40 ans qu'on nous explique qu'on est les génies de la production électrique. Donc le nucléaire démontre par les faits, hélas, qu'il n'est pas une solution technologique. Et par contre la France est le seul pays européen sur les 27 en retard sur le développement des énergies renouvelables. Donc là, le combo tout pour le nucléaire, rien pour le renouvelable, rien pour la sobriété, on est en train de le payer aujourd'hui.
Le réchauffement climatique n'est plus une théorie. On commence à en subir les conséquences. Ce sera l'objet des "Journées normandes de l'écologie" ce vendredi et ce samedi à Rouen. Six tables rondes, des intervenants politiques, associatifs, syndicaux. Désormais, on ne cherche plus des solutions pour éviter le réchauffement climatique. On cherche des solutions pour vivre avec ?
Vous avez raison, c'est une grande évolution. Pendant des décennies, on a essayé de prévenir, nous autres, les écologistes, des solutions pour éviter de rentrer dans le choc du changement climatique. Aujourd'hui, on doit se battre sur deux fronts. D'abord, limiter quand même le changement climatique pour que le choc soit le moins brutal possible. Mais il faut en même temps nous préparer à ce qui est inéluctable désormais, c'est-à-dire les conséquences du changement climatique. Ça veut dire préparer nos villes et nos campagnes, notamment en matière d'agriculture et d'urbanisme, à l'augmentation des températures. On l'a vu cet été et ça va être de pire en pire. Ça veut dire réfléchir à avoir une énergie moins carbonée, avec moins de consommation. Ça veut dire changer énormément de nos habitudes. Et donc on aurait agi il y a 50 ans, il n'y avait qu'un seul front, si j'ose dire, sur lequel se battre, éviter le changement climatique. Maintenant, il y en a deux.
Il faut qu'on réfléchisse aussi à comment on fait avec les forêts. On est dans une région avec beaucoup de forêts, dans la métropole de Rouen, qui vont être fragilisées par le changement climatique. Au delà des incendies, comment on fait pour que la biodiversité continue à pouvoir vivre avec une évolution des températures. Donc c'est à la fois pénible, c'est à la fois très captivant, je trouve comme vision. Il ne faut pas céder à la facilité, ni à la facilité d'ailleurs, mais il va falloir agir.
Est-ce que ça doit se faire au niveau européen ? Vous êtes député européen, la crise énergétique actuelle, elle est européenne. Est-ce que c'est chacun pour soi ou est-ce que c'est tous ensemble ?
La réponse est dans votre question. Il faut agir à tous les niveaux au niveau européen parce que nous avons la masse critique pour pouvoir agir. On ne peut pas faire l'écologie dans un seul pays. Donc il faut que l'Europe fasse ce grand virage pour la sobriété et la transition écologique. Mais il faut agir aussi localement. On le sait, les collectivités locales ont beaucoup de capacités pour les transports collectifs, etc... Donc c'est à tous les niveaux qu'il faut agir et coordonner ces actions, si on veut pouvoir changer les choses.
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