Conflit entre Israël et la Palestine : sortons du « deux poids, deux mesures » (tribune)
Les pays du « Sud global » reprochent à juste titre un double discours occidental : condamnation de la violation du droit international par la Russie, laxisme à l’égard des violations de ce même droit par Israël. La condamnation sans faille de l’attaque terroriste du Hamas nous oblige à n’accepter ni un siège inhumain ni les massacres provoqués par l’armée israélienne à Gaza et en Cisjordanie, soulignent, dans une tribune à L’Obs, David Cormand et les membres d’un collectif d’élus et militants écologistes.
La tribune 👇
Le conflit israélo-palestinien, sources de violences permanentes sur les territoires palestiniens, qui s’est embrasé de nouveau à la suite de l’attaque terroriste du Hamas, est en train de redéfinir l’ordre du monde. Il faut à tout prix éviter que la conjonction du conflit israélo-palestinien et de l’invasion russe en Ukraine ne débouche sur un affrontement entre « l’Ouest et le reste », entre le Nord et un « Sud global » qui risquerait de lier durablement son sort à la Chine et à la Russie. Ce serait une menace stratégique d’ampleur pour la France et l’Europe comme pour la démocratie dans le monde.
Le 7 octobre dernier, le Hamas a organisé une attaque armée et terroriste comme Israël n’en avait pas connu depuis sa création. Nous avons été saisis par l’horreur des actes commis ce jour-là. Rien ne peut les justifier. Les méthodes du Hamas confirment s’il en était besoin qu’il est une organisation terroriste.
Face à une telle attaque, le gouvernement d’Israël a le droit de chercher à mettre fin aux activités du Hamas. Mais cette réponse ne peut pas, ne doit pas prendre la forme d’une vengeance et d’une punition collective contre la population civile de Gaza. Or c’est bien en pratique ce à quoi on a assisté depuis le 7 octobre entre bombardements massifs et siège quasi total de l’enclave.
Le gouvernement israélien est en train de renouveler les erreurs déjà commises par le gouvernement américain après le 11 septembre 2001 envahissant l’Irak (qui plus est sur la base de mensonges éhontés). En agissant ainsi, Benyamin Netanyahou cherche notamment à faire oublier la responsabilité directe qu’il porte dans le bilan très lourd du 7 octobre dernier, du fait notamment du renforcement de la présence militaire israélienne en Cisjordanie occupée rendue nécessaire par l’accélération de la colonisation et la multiplication des exactions des colons, en violation évidente du droit international.
La condamnation sans faille de l’attaque terroriste du Hamas nous autorise, ou plutôt nous oblige, à n’accepter ni un siège inhumain ni les massacres provoqués par l’armée israélienne à Gaza et en Cisjordanie occupée et à réclamer un cessez-le-feu immédiat et inconditionnel pour permettre de fournir à la population de l’enclave l’assistance humanitaire à laquelle elle a droit et entamer des négociations incontournables pour une paix durable.
La défiance du « Sud global »
A la suite de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, de nombreux pays de ce qu’on appelle « les Suds » ont hésité à condamner cette agression, bien qu’il s’agisse d’une violation flagrante de la Charte des Nations unies. Des pays clés comme le Brésil, l’Afrique du Sud ou encore l’Inde ont refusé de le faire et les pays producteurs de pétrole se sont entendus avec la Russie pour saper l’effet des sanctions occidentales. Les crises que nous avons vu se multiplier dans le Sahel ces derniers mois illustrent aussi l’écho que rencontre la propagande russe en Afrique, sur le terreau d’une politique française sans autre objectif que militaire et économique, soutenant depuis des décennies des dictatures qui délaissent, appauvrissent et répriment leurs propres populations.
Cette défiance d’une grande partie du « Sud global » à l’égard des pays occidentaux a de nombreuses racines. Celles qui remontent à la colonisation, bien sûr, et les efforts de la droite et de l’extrême droite pour réhabiliter cette période ne font que jeter de l’huile sur un feu mal éteint. Ces reproches ont été ravivés par les aventures militaires inconsidérées en Irak ou en Libye, mais aussi par la mainmise occidentale sur les vaccins durant la pandémie de Covid-19 ou encore la mauvaise volonté constante de l’Occident de ne pas assumer ses responsabilités dans le changement climatique en refusant de financer la transition énergétique des pays du Sud. La mondialisation inégalitaire qui ruine les économies locales et crée des dépendances dans des domaines prioritaires comme l’alimentation ou l’accès aux médicaments participe aussi à ce sentiment anti-Occident.
C’est sur ces éléments que reposent l’accusation – justifiée selon nous – d’un « deux poids, deux mesures ». Entre notre condamnation de la violation du droit international par la Russie et notre laxisme à l’égard des violations de ce même droit par Israël. La différence de traitement est totale. Ce reproche, déjà présent avant le 7 octobre, est devenu beaucoup plus fort encore depuis.
Si nous voulons éviter que se consolide une alliance de la plupart des pays du « Sud global » avec les régimes autoritaires russes et chinois contre nos régimes démocratiques, nos actes et nos discours doivent démentir cette accusation. Si nous n’y parvenions pas, si ce conflit se transformait en une guerre de civilisation entre l’Europe chrétienne et le monde musulman, la sécurité et l’avenir de l’Union seraient menacés, ainsi que celui de la démocratie et des droits humains dans le monde. L’enjeu est donc de taille.
Or force est de constater que, jusqu’ici, les leaders français et européens ont largement confirmé ce reproche. Le Haut Représentant de l’Union pour les Affaires étrangères a certes adopté très tôt une position équilibrée, rappelant l’obligation pour Israël de respecter le droit humanitaire, mais la décision inqualifiable du commissaire hongrois Várhelyi de suspendre l’aide européenne au peuple palestinien comme l’attitude irresponsable d’Ursula von der Leyen lors de son déplacement en Israël ont annulé ce message. Ces prises de position ont donné l’impression à Benyamin Netanyahou qu’il avait « carte blanche » de l’UE dans ses plans de vengeance, en dehors d’ailleurs de tout mandat institutionnel européen.
L’erreur de l’Union européenne
Ce sentiment a encore été renforcé par la proposition incompréhensible faite par Emmanuel Macron d’une coalition internationale contre le Hamas. Pour ne rien arranger, le 27 octobre dernier, 19 pays de l’Union sur 27 ont refusé de soutenir une résolution équilibrée des Nations unies, présentée par la Jordanie, demandant un cessez-le-feu humanitaire à Gaza. Ils ont ainsi pris le risque de confirmer aux yeux du monde, que pour la grande majorité des pays européens, la vie d’un Palestinien ne valait pas celle d’un Européen ou d’un Israélien.
Le rapprochement entre la droite et l’extrême droite, observé partout autour de positions xénophobes et anti-musulmanes, entraîne l’Europe sur une pente extrêmement dangereuse. Si nous continuons sur cette voie, le divorce entre l’Union et le « Sud global » sera consommé et il ne faudra pas s’étonner de voir la Russie de Vladimir Poutine renforcer son influence en Afrique et sur le pourtour méditerranéen et finir par l’emporter dans sa guerre contre l’Ukraine. Nous lui aurons ainsi facilité la tâche.
Nous n’en sommes pas là et il est encore temps de se ressaisir. La France doit réaffirmer sa position traditionnelle de défense de l’existence de l’Etat d’Israël comme du droit des Palestiniens à leur propre Etat et doit sans tarder prendre la tête du mouvement pour rééquilibrer la position européenne. Il faut impérativement montrer que l’Europe refuse ce « deux poids, deux mesures » quand il est question du respect du droit international et des vies humaines.
A lire dans L’Obs.