Affaire Bayou : «Les méthodes décrites dépassent le simple réseau d’alerte»
Vendredi 30 septembre, David Cormand, député européen et ancien secrétaire national d’Europe Ecologie-Les Verts, était interrogé par Libération. D’après une enquête de l’hebdomadaire, Julien Bayou, successeur démissionnaire de David Cormand à la tête du parti, était surveillé par un collectif féministe informel qui lui reprochait sa conduite et enquêtait sur ses relations. Auprès de Libération, David Cormand mesure la difficulté de mettre en place des «protocoles solides et collectifs» dans la lutte contre les violences sexuelles et sexistes au sein des partis politiques.
Extraits 👇
Prédécesseur de Julien Bayou à la tête d’Europe Ecologie-les Verts, David Cormand, auteur de Ce que nous sommes (éd. les Petits matins), a mis sur pied la cellule de lutte contre les violences sexuelles et sexistes (VSS) de son parti. Pour le député européen « le fait que Bayou ait été contraint de démissionner est un problème ».
Comment avez-vous réagi à nos révélations concernant la mise sous surveillance de la vie privée de Julien Bayou par un petit groupe de militantes féministes et écologistes ?
Cet article interroge, bien sûr. J’ai entendu, depuis sa sortie, qu’il n’y avait rien d’anormal à ce que des femmes se parlent pour se protéger. On ne peut que souscrire à cet argument. Mais si on est de bonne foi, les méthodes décrites dans l’article dépassent le simple réseau d’alerte. Et d’ailleurs, pourquoi pas ? Mais du coup, ce que j’en retiens, c’est que des procédures collectives, crédibles, robustes et considérées comme légitimes pour traiter ces sujets sont nécessaires car il n’est pas normal que des femmes se sentent obligées de développer des stratégies de ce type.
La réaction de votre parti est-elle à la hauteur ?
EE-LV a été le premier parti à avoir été confronté à une révélation publique sur des accusations de violences sexistes et sexuelles et à en avoir tiré des enseignements organisationnels. Mais il faut admettre que ce domaine est un territoire inconnu. Car la question n’est pas seulement ce qui relève du droit, elle interroge aussi et surtout des pratiques et des comportements systémiques qui rendent – ou non – un espace politique safe par rapport à ces problématiques. Ici, il me semble que dans la mesure où la cellule d’écoute ne réclamait ni sanction ni mesure conservatoire vis-à-vis de Julien Bayou, le fait qu’il ait été contraint de démissionner est un problème. Pas seulement par rapport à une personne qu’on livre ainsi dans le débat public, mais aussi et surtout car cela fragilise la régulation formelle de ces sujets. Or, c’est bien par des protocoles solides et collectifs que l’on peut mettre en échec une domination systémique, en l’occurrence le patriarcat.
La manière dont Sandrine Rousseau a porté ce sujet dans les médias est-elle une bonne chose ?
Je ne veux pas commenter ce que dit Sandrine Rousseau. Le harcèlement ordurier qu’elle subit rend impossible l’expression de nuances ou de désaccords éventuels avec les choix qu’elle peut faire ou les propos qu’elle peut tenir sans être rangé du côté des abrutis qui s’en prennent à elle. Par ailleurs, les sujets de fond me paraissent plus importants que les personnes qui les portent. C’est même de mon point de vue l’une des conditions des victoires politiques et culturelles.
Vous avez été secrétaire national d’EE-LV, la cellule VSS fonctionne-t-elle ?
Elle a été créée pendant mon secrétariat national. Laborieusement, d’ailleurs, pour être honnête. Car on tâtonnait. J’avais tenu à ce que son fonctionnement soit complètement autonome et imperméable de la direction du parti et des autres instances en général pour qu’aucune interférence ne perturbe son travail. Son fonctionnement est exposé en toute transparence sur notre site. Sa forme actuelle est déjà le fruit d’évolutions et de prise en compte des expériences précédentes. Un audit est d’ailleurs programmé depuis plusieurs mois pour 2023. Les derniers jours montrent que cet audit était effectivement nécessaire.
Que doit-on faire pour l’améliorer ? Eviter qu’elle ne devienne un instrument politique pour écarter tel ou tel adversaire en interne ?
La laisser faire son travail sans ingérence politique ou médiatique. Ensuite, je pense qu’à terme, il faudra qu’une structure extérieure et officielle sur le modèle de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique établisse avec les associations et les partis une nomenclature des conduites problématiques et un protocole d’investigation et de sanctions qui s’appliquerait à toutes les formations politiques. Mais en attendant, comme cela n’existe pas, il faut assumer de faire fonctionner notre cellule. Elle doit garantir la protection des personnes qui dénoncent les faits tout en se prémunissant de l’arbitraire par le respect des critères qui définissent l’Etat de droit.
Catastrophes climatiques, le gouvernement qui se met enfin à parler de «sobriété», discussions sur notre souveraineté énergétique… Et EE-LV est embourbé dans cette histoire autour de Julien Bayou ou de discussions de congrès. Pourquoi ce parti n’arrive-t-il pas à grandir ?
Je vous retourne la question. Quels sont les sujets et les récits qui intéressent le plus les médias ? Du reste, j’assume que mon parti ne considère pas comme secondaire les sujets difficiles. Et cela ne nous empêche pas de porter nos combats et de remporter des victoires dans nos mairies ou au Parlement européen par exemple. Mais vous avez raison, nous devons le faire avec plus de vigueur, de clarté et de bienveillance en orientant nos forces vers la société et moins vers nous-même.
Entretien disponible sur le site de Libération (édition abonnés).