Vivendi/Lagardère : « S’il y a eu pratique illicite, il faut une sanction »

Vendredi 9 juin, la Commission européenne a autorisé la demande de fusion entre les groupes Vivendi et Lagardère. David Cormand prend acte de cette décision, mais il a demandé, par un courrier envoyé à la vice-présidente en charge de la concurrence, Margrethe Vestager, de clarifier certaines zones d’ombre de ce dossier, notamment les accusations de prise de contrôle anticipée (gun jumping) relayées dans la presse à l’égard du groupe Vivendi. Libération l’a interrogé à ce sujet.

Extraits 👇

Quel est votre sentiment après l’annonce de l’accord pour le rachat, sous conditions, de Vivendi sur Lagardère par la Commission européenne ?

De la déception. On doit faire mieux. Ne prendre que l’angle de la concurrence quand on traite ce genre d’affaires, c’est déjà un problème, mais cela a encore moins de sens dans le domaine des médias. Ce n’est pas la seule garantie d’une concurrence loyale qui garantira la résistance des médias aux ingérences, leur résilience contre leur accaparement par des intérêts industriels loin de leur activité première. En ce sens, la Commission européenne est sous-équipée au niveau réglementaire. Il y a bien des projets de réglementation pour prévenir toute ingérence étrangère dans les médias européens. Mais comment faire pour avoir une réglementation qui préviendra toute ingérence de l’industriel et du financier dans les médias, quand ils sont détenus par des capitaines d’industrie dont l’activité principale n’est pas les médias ? En allant plus loin, comment garantir également que les médias ne véhiculent pas des valeurs contraires à la démocratie ?

Que demandez-vous aujourd’hui ?

De fait, il y a une très forte suspicion de «gun-jumping» dans le dossier Vivendi-Lagardère, soit la réalisation anticipée de l’opération de concentration. Plusieurs éléments sortis dans la presse, comme la nomination de la présentatrice de CNews Laurence Ferrari à Paris Match, ou le déménagement de CNews dans les locaux de Lagardère, laissent penser qu’ils ont anticipé la réorganisation du groupe, comme si la fusion avait déjà eu lieu. Les amendes pour ce genre d’infraction peuvent atteindre jusqu’à 10 % du chiffre d’affaires mondial de l’entreprise, ce qui serait assez conséquent concernant Vivendi. Même si, à force de contraintes, le groupe Vivendi-Bolloré a été forcé de revendre Editis et Gala, ça ne vaut pas solde de tout compte à propos de ces suspicions de gun-jumping. S’il s’avère qu’il y a eu pratique illicite, il faut qu’il y ait sanction. Là, ma crainte, c’est que l’affaire soit considérée comme close au niveau de la Commission européenne et qu’on se quitte bons amis.

En quoi le choix de Daniel Kretinsky pour le rachat d’Editis s’avère également inquiétant pour vous ?

Parce que le cœur de métier de Daniel Kretinsky n’est pas l’édition de livres, il est avant tout un capitaine d’industrie, dans l’économie fossile principalement. On voit qu’il investit beaucoup dans des médias, dans l’édition, des outils qui permettent de diffuser des idées. Il y a un sujet si les principales maisons d’édition françaises deviennent la propriété de quelqu’un dont le métier de départ n’est pas l’amour des beaux livres, mais celui des gazoducs. Quelle sera la liberté éditoriale de ces maisons d’édition ? C’est ça qui m’interroge. Là encore, le simple respect de la concurrence ne suffit pas pour garantir l’indépendance des médias.

Considérez-vous que la Commission européenne est particulièrement clémente vis-à-vis de la concentration des médias ?

De mon point de vue, elle est clémente par rapport à ce qu’il faudrait faire. Mais, dans le dossier Vivendi-Lagardère, elle a fait ce qu’elle pouvait, compte tenu des bases réglementaires sur lesquelles elle pouvait agir. Sur ce dossier, c’était celles du respect de la concurrence. Ils ne sont pas fondés en droit pour aller au-delà. On est encore balbutiants sur ce genre de dossier, parce que c’est un sujet qui n’est pas simple. Dans un état de droit, la ligne éditoriale des médias est libre et chacun est libre d’être propriétaire d’un média. Mais que faire quand ceux-ci contreviennent aux valeurs de la démocratie ?


Interview complète à lire sur le site de Libération (abonnés).

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