« La République n’est pas l’obsession de l’uniformité, mais le consentement à la diversité »

L’hebdomadaire Marianne a proposé à des personnalités de tous horizons – politiques, intellectuels, historiens… – et sensibilités idéologiques, de définir le mot « républicain », vidé de son sens par des années de langage politique, servant à décrire le périmètre de l'acceptabilité sans jamais se demander ce qu'il recouvre. En réponse à la question « Au fait, ça veut dire quoi être républicain ? », David Cormand, député européen EELV, plaide pour une République écologique.

La politique, c’est de l’histoire de la géographie. Les pensées politiques s’inscrivent dans des continuités et des ruptures, elles naissent et se nourrissent des évènements. L’écologie politique s’inscrit dans une longue histoire. Des luttes d’émancipation ouvrières aux philosophes des Lumières. Des anarchistes aux socialistes prémarxistes ayant eu la lucidité, dans un contexte intellectuel hostile, de voir que la révolution industrielle qui se mettait en branle impliquerait des externalités négatives non seulement sociales, mais aussi sur l’ensemble du vivant et de l’environnement. Des militantes et militants anticoloniaux aux féministes. C’est vrai, elle assume de ne pas se contenter de commémorer une nostalgie ou de célébrer un héritage. L’écologie n’est pas une langue morte.

L'ÉCOLOGIE ET LA RÉPUBLIQUE

L’écologie s’inscrit dans une conception spécifique de la géographie. Si nous sommes bien de « quelque part », nous sommes aussi de « partout ». Nous assumons de refuser l’injonction à devoir se revendiquer de la seule nationalité. On peut être « à la fois » bastiais, corse, français, européen et citoyen du Monde… On peut aussi être à la fois français et marocain. L’attachement à la République n’en est alors pas moins fort. Segmenter les identités et clôturer nos représentations territoriales ne correspond en rien à ce que nous vivons et à ce dont nous vivons et donc, à ce que nous sommes. Pour faire vite : internationalistes, européens, régionalistes et municipalistes.

Et la France ? L’État-nation est le garant de l’égalité des territoires qui le composent. Mais il est aussi bien plus que cela. Et spécialement la France. Pour le dire rapidement, l’attachement à la France qui est le nôtre est moins affaire de frontières que de valeurs. Et leur vocation est de cohabiter toutes entières dans ce que l’on nomme « la République ».

UN SIGNIFIANT AFFAIBLI PAR LA CONFUSION DU TEMPS

Pourtant l’idée républicaine est désormais convoquée à tout bout de champ et utilisée à toutes les sauces. Elle devient ainsi un signifiant affaibli par la confusion du temps. La République a bon dos, quand dans une vertigineuse inversion des valeurs, elle est invoquée par celles et ceux-là mêmes qui souhaitent remettre en question ses principes au nom de sa défense. Parce qu’elle est instrumentalisée pour justifier un agenda politique réactionnaire, elle devient souvent dans la bouche de celles et ceux qui l’invoquent avec la mâchoire serrée et l’air solennel, synonyme de régression des droits humains alors même qu’elle est née pour imposer l’inverse : leur progrès. La République n’est pas la caricature que dessinent à l’encre violette de leurs haines et de leur nostalgie d’un passé fantasmé ses pseudos défenseurs.

La République est l’idée, à jamais moderne, qui consiste à faire avancer notre nation sous la bannière de l’émancipation collective et individuelle. Elle plonge ses racines dans l’idée que la France n’est pas ethnique mais citoyenne, c’est-à-dire fondée sur une philosophie commune bien davantage que sur les supposés liens du sang. La République est une promesse de permanence, mais ne saurait représenter une injonction à la fixité. La République est le mouvement véritable qui libère et protège contre le conservatisme qui gèle les privilèges et fige les imaginaires.

PAS L’OBSESSION DE L’UNIFORMITÉ

La République n’est pas l’obsession de l’uniformité, mais le consentement éclairé à la diversité. Forgée par une histoire parfois tragique, elle est un équilibre subtil qui se défie pareillement du fétichisme des différences et de la tyrannie de la similarité. Elle ne fait pas régner la discipline par le joug, mais invite à la loyauté au nom de valeurs partagées. Je comprends que la droite et l’extrême droite entreprennent une œuvre d’escamotage des valeurs originelles de notre République pour la travestir à leur profit politique. Mais qu’ils revendiquent désormais ce monopole de la République qu’ils appelaient autrefois « la Gueuse » ne nous intimide pas. Leur déclaration d’amour à la République ne signifie pas de leur part une conversion à ses valeurs, elle dissimule au contraire leur détermination à l’inhiber dans ce qu’elle a de subversif à l’encontre de l’ordre établi. Pour paraphraser Camus, lorsque l’extrême droite verse des larmes de crocodiles sur les menaces qui pèsent sur la République et se rend à son chevet, ce n’est pas pour prendre de ses nouvelles.

Dans la même veine, les « débats » autour de la laïcité ont fait le miel des forces réactionnaires dont le moteur est la fétichisation de ce qu’ils considèrent être l’identité nationale. Le fait de vouloir ajouter « laïcité » au triptyque de notre devise nationale est d’après moi un non-sens. Non par ce que ce principe serait secondaire. Il est au contraire celui qui a sorti notre pays de l’obscurantisme que l’église lui imposait depuis des siècles. La laïcité est donc l’une des filles de la Révolution, dans le sens où elle est la prise de conscience que ce « dont dépend notre subsistance » n’est en aucun cas « Dieu » ou le prêtre. Notre statut « précaire », dont l’étymologie vient du latin « precor », qui signifie « prier », ne se résout précisément pas par la prière.

POUR UNE RÉPUBLIQUE ÉCOLOGIQUE

C’est en cela que la laïcité constitue une émancipation politique car elle libère du joug séculier des églises en enseignant au peuple que sa condition n’est pas le fruit de la fatalité ou de la volonté divine, que rien ne l’oblige à la résignation et qu’il a au contraire le pouvoir, sinon le devoir, d’abattre les injustices qui le frappent. La laïcité est la déclinaison à la question de religieuse des trois mots écrits aux frontons de nos bâtiments publics : Liberté de croire ou de ne pas croire ; Égalité entre toutes et tous quelles que soient leurs croyances ou leurs non-croyances, Fraternité de la communauté humaine vis-à-vis de celles et ceux qui ont des croyances différentes des nôtres. Notre devise républicaine est la clef qui nous permet de coexister en faisant communauté quel que soit notre rapport à la religion.

La République est le concept qui permet à notre société d’affronter et de répondre aux évolutions qu’elle connaît et d’être résiliente face aux mouvements de l’histoire. Voilà sa force fondamentale. En cela, elle est l’espace de négociation et de mise en œuvre dans notre pays de la transformation écologique dont nous avons besoin. Voilà pourquoi, dans la suite de la République démocratique issue de la Révolution, puis de la république sociale issue des luttes d’émancipation ouvrières, je plaide pour une République écologique.


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Opinion: 'The European Union's failure to meet its climate budget targets is unforgivable'