Ce que la chasse dit du macronisme.
Un jour peut-être on écrira sur la somme de petites lâchetés et de vraies compromissions qui ont amené tant de gouvernements à mettre genoux à terre devant le lobby des chasseurs. J’écris ceci sans prudence et m’expose au risque d’être corrigé par Bruno Lemaire, l’homme qui ne voit des lobbies nulle part et nous accusera en conséquence d’en voir partout.
Mais l’emprise des chasseurs sur la politique gouvernementale est indéniable. Pour nulle autre corporation, le pouvoir aura autant consenti de dérogations au droit commun et même à faire respecter la Loi, que ce soit en matière de détention d’armes, de tolérance vis à vis d’ « accidents » qui ont blessé ou tué de nombreuses personnes ou de refus d’appliquer le droit européen en matière de pratiques de chasse ou de protection d’espèces protégées. Les efforts constants d’Emmanuel Macron pour flatter une clientèle électorale qu’il suppose déterminante en sont la preuve.
Ainsi, on se rappelle avec tristesse l’aberrante décision d’autoriser la chasse à la glu, dont la cruauté d’un autre âge n’est pourtant plus à démontrer. On se rappelle également que la France détient le record du nombre d’espèces d’oiseaux dont la chasse est autorisée (64 en septembre 2020) contre moins d’une dizaine dans la plupart des autres pays européen. Et parmi ces espèces figurent de nombreuses espèces protégées comme le courlis cendré, la tourterelle des bois, le barge à queue noire, le fuligule milouin, ou le grand tétras. Mais qu’importe, à chaque détour du quinquennat, Emmanuel Macron aura pris soin de mettre en scène son respect de la chasse. Peu d’intérêts catégoriels auront été autant choyés. Comme si l’avenir du pays tout entier en dépendait.
Ces jours-ci, l’inusable Thierry Coste, lobbyiste en chef de la chasse a repris ses fausses indiscrétions médiatiques, et se vante d’être une manière de « conseiller ruralité » (les mots sont de lui ) auprès du Président de la République.
Je ne suis pas dupe de la technique qui consiste à se prévaloir d’une fonction qu’on n’occupe pas pour étendre davantage encore le pouvoir de l’influence qu’on usurpe. A travers tous les régimes, ce genre d’intrigants savent tirer profits de leur entregent. Les fanfaronnades que s’autorise Monsieur Coste en disent ainsi au moins autant sur lui que sur l’état du Gouvernement de notre pays et de la manière dont il est conduit. Il est d’ailleurs à noter que ce sont plutôt dans les anciens régimes que ces pratiques étaient les plus prisées. Ainsi va la France sous Macron : petits marquis ambitieux, vieux ducs madrés, comtes prêts à tout pour conserver leurs privilèges, le tout accompagné de primes au reniement pour les ralliés. Le Prince envoie un message à sa cour : « C’est par votre cynisme que vous me servez le mieux ». Comment un pays pourrait être bien conduit quand celui qui le préside fait de l’opportunisme et du renoncement à soi-même des conduites exemplaires ? Bref, c’est ainsi que les chasseurs ont leurs entrées à l’Élysée, pour y défendre des intérêts privés qui ne prennent même pas la peine de se dissimuler. J’allais écrire que nous étions leur cible : mais je laisse de côté cette métaphore malheureuse. Les victimes des accidents de chasse survenus ces derniers temps ont davantage subi les conséquences dramatiques de la complaisance à l’égard de la chasse. Je pense en particulier à la mort de Morgan Keane, dans le Lot, tué dans son jardin alors qu’il coupait du bois pour se chauffer. Je salue avec admiration et respect le formidable mouvement que ses amies et amis ont levé suite à ce drame, en mobilisant avec leur association « Un jour, un chasseur » des milliers de personnes pour réclamer, via une pétition au Sénat, un débat parlementaire pour réguler la chasse. Plus de 100 000 personnes ont d’ores et déjà apporté les signatures nécessaires à cette première étape.
Les choses doivent être dites. Réside ici une évidence à rappeler : la chasse tue. Des humains, accidentellement. Et des animaux, volontairement. Mais par un étonnant retournement des controverses, c’est nous autres écologistes, qui devrions consentir à prendre place sur le banc des accusés. Il nous faut rendre des comptes pour notre défense des animaux. L’instinct de vie doit se justifier de vouloir entraver le plaisir de tuer. Le monde à l’envers…
Alors même que la préoccupation pour la condition animale est grandissante, alors que la conscience de la sensibilité animale se développe, le gouvernement choisit de soutenir mordicus la chasse.
Qu’on ne nous fasse pas le coup du droit arraché depuis la Révolution française et qui serait l’apanage des seules classes populaires.
Je ne méconnais pas la dureté de la vie des classes populaires, et je sais le soulagement que procure le fait de pratiquer l’activité qu’on aime. Mais, d’une part, je n’ignore pas que la chasse est de moins en moins pratiquée par les classes populaires. Surtout, je me désole de l’hypocrisie qui fait qu’on ne se préoccupe du sort des pauvres que lorsque cela arrange les intérêts des puissants. Et j’enrage en constatant que dans la république macroniste la défense de la chasse passe avant celle des intérêts réels des classes populaires.
« Nous ne défendons ni vos conditions de vie ni votre avenir, nous allons dégrader l’assurance chômage et nous attaquer aux retraites, mais nous vous autorisons à tuer des animaux… » Pour Macron, le peuple n’a pas de besoins, mais que des instincts à satisfaire. Et la pseudo défense des traditions doit être prise pour ce qu’elle est : un leurre.
Cela participe d’une stratégie politique d’ensemble qui est un marché de dupes assez consternant : Macron campe en défenseur des traditions et en conservateur de la France éternelle, à grands coup de loto du patrimoine et autres opérations de communication du même tonneau dans le même temps où il contribue à détricoter des pans entiers du modèle social français qui, que je sache, participe de notre identité nationale bien davantage que les élucubrations lugubres d’un Zemmour.
Macron prétend défendre les terroirs mais poursuit l’asphyxie des territoires. Il s’oppose aux éoliennes au nom de la défense des paysages mais promeut des projets destructeurs de la nature et de l’environnement. Il prétend que la chasse est la meilleure alliée de la défense de l’environnement mais impose une réforme de l’ONF qui est en train d’industrialiser nos forêts et de les défigurer. Il prétend aimer la France mais continue le déménagement du territoire et sa métropolisation. Au fond, la chasse n’est pour lui que le moyen de mimer un semblant d’attachement à ce qu’il pense être la France « d’en bas », cette détestable expression, lourde de non-dits sur les inégalités à déconstruire. Ce qu’il imagine de la ruralité est pour lui la juxtaposition d’images d’Épinal qui compose au final un village Potemkine, un décor au milieu duquel on passe et où on se met en scène, mais jamais un endroit où l’on vit. La supercherie est totale.
Le débat sur la chasse, comme tant d’autre débats mérite mieux que le cynisme à courte vue. On reconnaitra au moins aux écologistes de la sincérité et de la constance. Pour nous c’est une question de modèle de civilisation : l’indifférence à la condition animale n’est jamais bon signe. Et dans les années qui viennent, nous pensons que la sauvegarde de la planète toute entière ne sera possible que si nous prenons davantage conscience de notre interdépendance commune avec les animaux au sein du vivant. L’empathie de nous autres, humains, pour les animaux non humains n’est pas une régression civilisationnelle. Au contraire, elle constitue un humanisme augmenté qui renonce à son anthropocentrisme pour embrasser dans une même communauté tout ce qui vit et respire, avec respect et considération. Nous assumons nos positions, mais refusons de les voir caricaturées par ceux pour qui le monde rural est un décor, les chasseurs une manne électorale, et la France un mythe conservateur.