De la pandémie comme accélérateur de conscience.

Résumons. Cinquième vague. Troisième dose. La colère sociale guadeloupéenne, nourrie de mémoire coloniale et de chlordécone, réactivée par le refus de l’obligation vaccinale. Des manifestations violentes en Autriche et aux Pays-Bas. Nos sociétés se cabrent à n’en plus finir sur la question des vaccins. Mais voilà que tombe le couperet des chiffres, rappelés hier par Yannick Jadot : en Europe, 60% de la population est vaccinée. En Afrique environ 3%. Pendant que les soubresauts des polémiques secouent l’occident, une autre partie de la planète n’a pas accès au vaccin.

 

Ce billet pourrait s’achever ici, tant la vérité est écrasante.

 

Mais je poursuis un peu. Le premier confinement avait vu fleurir beaucoup d’analyses et d’espoirs sur la possibilité d’un monde d’après confinement. « Monde d’avant » versus « monde d’après ». Concours d’éloquence pour les uns, réflexions partagées sincères pour d’autres. De tribunes en discours, de zooms en pétitions, intellectuelles et intellectuels, politiques ou artistes rivalisaient de récits, de propositions et d’espoir. Nombre imaginaient qu’une prise de conscience universelle allait naître de cette menace fruit de nos excès, de notre pulsion prédatrice sur la nature et d’échanges mondialisés devenus frénétiques. Le génie humain apprendrait de ses erreurs et devait vaincre la maladie par la recherche médicale. Enfin, l’humanité allait de nouveau atterrir et comprendre que l’harmonie avec la nature et la solidarité étaient la seule destinée viable pour notre civilisation. Las, bien vite, les mêmes réflexes économiques, extractivistes et concurrentiels, ont repris le dessus. Relance et compétitivité aveugles sont de retour. « Le monde d’après », c’est la course la plus rapide pour retrouver le monde d’avant. Comme si de rien n’était. La « résilience » promise est en réalité la persistance et même l’entêtement à perpétuer ce qui nous menace de plus en plus. 

 

De la même manière, la géographie vaccinale de la planète raconte la pérennité des injustices et des dominations. L’inégalité dans l’accès aux vaccins ne tombe pas du ciel. Elle est le fruit d’une histoire et d’un égoïsme qu’on pourrait nommer rapacité. Comme le 1erdécembre et la journée internationale de lutte contre le SIDA ne sont pas loin, dois-je rappeler que l’enjeu de l’accès aux traitements et au soin est encore un enjeu pour des millions de personnes atteintes par le VIH ? Plus de 30 ans de leçons tirées de cette épidémie ne nous ont guère édifiés. La solidarité la plus élémentaire semble encore faire défaut. Concernant le Covid, les mêmes causes produisent les mêmes effets. Face à une pandémie mondiale où les variants multiples déjouent les stratégies de protection, on semble s’obstiner à penser que nous ne vivons pas sur une seule et même planète. 

 

Jusqu’où ira cet aveuglement, jusqu’à quelle extrémité ? Sans doute à mettre à l’abri dans l’espace celles et ceux qui auront les moyens de s’exfiltrer d’une planète invivable ? C’est d’ailleurs, de manière à peine voilée, ce qu’envisagent et préparent les nouveaux capitaines d’industrie du XXIe siècle que sont les Jeff Bezos et consorts.

 

Au fond tout se passe comme si une partie de l’humanité pouvait regarder l’autre souffrir, sans dommages pour elle-même. Ma note de la semaine dernière évoquait la question des migrations et un système où seule la circulation des marchandises faisait force de loi. Les enjeux climatiques exigent une autre approche : le chacun pour soi nous mènera toutes et tous vers l’abime. 

 

Écrivant ces lignes, je ne suis pas naïf, et n’ignore rien de la violence des disparités de notre exposition aux catastrophes liées à la dégradation du climat. La thèse que je défends, est simplement que l’absence de solidarité est non seulement une défaite morale mais aussi un dangereux boomerang. Notre indifférence nous rattrapera. Les valeurs et l’intérêt ici ne s’opposent pas mais devraient se conjuguer pour nous pousser à agir. Encore faut-il déterminer avec lucidité l’intérêt dont il est question. Parce que, et j’en reviens au sujet du Covid, l’obsession du profit a considérablement freiné l’accès aux vaccins.

 

La levée des brevets que nous demandons depuis les premiers jours - tout comme la transparence absolue et totale des contrats signés par l’Union européenne avec les laboratoires - quand Emmanuel Macron et ses amis s’y opposaient vigoureusement, est une nécessité absolue.

 

Elle n’est pas la panacée, mais un premier pas, une condition sine qua non. Cela ne réglera pas magiquement les autres questions et notamment celle des capacités de production, mais un verrou important aura sauté. C’est d’abord un enjeu sanitaire capital. C’est aussi un sujet déterminant dans la manière dont nous abordons l’avenir.

 

La pandémie planétaire que nous vivons ensemble doit produire un sursaut de notre conscience commune, pas une rétractation de notre capacité à faire monde. La pandémie, qui nous fait tant souffrir doit éclairer le chemin à parcourir. En France, Emmanuel Macron semble n’avoir tiré aucune leçon en faveur du réarmement sanitaire de notre pays. Il a certes discouru sur l’augmentation du nombre de lits à l’hôpital, mais les actes n’ont pas suivi. Tant et si bien que la situation de l’hôpital continue à s’effondrer. Les soignants craquent,  poussant leur cris de désespoirs dans un assourdissant silence. Toutes les métaphores sur les "premières lignes" masquent mal la réalité de l’abandon dans lequel on tient la santé de notre population. C’est là tout le paradoxe d’un gouvernement qui s’agite mais n’agit guère : il multiplie les grandes déclarations d’intention vaccinale mais semble négliger les moyens qu’il faudrait mettre en œuvre pour soulager réellement les difficultés qui accablent le monde hospitalier.

 Lors de sa dernière intervention télévisée, dont tout le monde pensait que le sujet principal serait le covid, Emmanuel Macron avait choisi de vanter son bilan global et de nous annoncer de nouveaux réacteurs nucléaires, comme on ouvre des kinder surprise. Tout dans l’instant et dans la tactique. Cette méthode, qui vise à donner le tournis au pays pour lui enlever ses repères c’est un des éléments qui définit le macronisme. Aucun sens de l’Histoire ni aucune sensibilité pour ce que perçoivent et ressentent les françaises et les français. Ni vertébration politique, ni empathie. Le covid semblait n’être pour lui qu’un prétexte à communication. Une telle légèreté est coupable. Le problème est qu’il n’existe pas de geste barrière contre le cynisme.

À part peut-être faire de son bulletin de vote un passeport pour le changement.

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