Emmanuel Macron à Belfort : l’impuissance nucléaire.

Emmanuel Macron était hier à Belfort avec tambours et trompettes, dans une mise en scène grandiloquente, pour proclamer la « reprise en main du destin énergétique de la France ». Le Président est friand de ces mises en scène de lui-même. Il était, de surcroit, fascinant de constater cette sorte d’aisance dans la désinvolture dont il est coutumier. En effet, il venait ici même prétendre réparer une erreur dont il déplorait les effets alors qu’il en avait lui-même chéri la cause… A savoir le rachat d’une partie de l’entité énergie d’Alstom dont il avait, ministre, contribué à organiser la vente à General Electric. A l’époque, cela avait été aussi un outil industriel français capable de fabriquer des éoliennes offshore qui était ainsi cédé. Il en sera de même un peu plus tard avec la session de la filiale éolienne d’Areva… C’est ainsi que la France est désormais tout à fait dépourvue d’entreprises battant pavillon tricolore aptes à fabriquer ces éoliennes offshore.

Bref, ces pompeux éléments de langage, comme le décorum, étaient utilisés avec d'autant plus de morgue qu'il s'agissait de faire oublier qu'en début de quinquennat, le président de la République avait promis l'inverse de ce qu'il annonce aujourd'hui. En 2018, Emmanuel Macron prônait la fermeture de douze réacteurs entre 2025 et 2035, pour réduire de 50% le poids de l'énergie nucléaire dans notre mix énergétique. Il n’envisageait par ailleurs aucune construction de nouveaux EPR… Désormais, les objectifs de fermeture sont loin derrière nous. Ce qui n’empêche d’ailleurs pas le fait que désormais 12 réacteurs soient tout de même mis à l’arrêt pour des problèmes de sécurité liés à leur corrosion… Mais qu’importe. Le nucléaire, voilà l’avenir radieux de la France, le chemin de la sauvegarde, l'évangile selon Macron. Sonnez hautbois, résonnez musettes.

Comme l'a souligné le président d'EDF Jean-Bernard Lévy, pour le nucléaire, c'est le retour d'une sorte de « Printemps ». Les projets de nouveaux réacteurs bourgeonnent : six EPR2, plus huit si affinités. Une renaissance selon les partisans de l'atome. Emmanuel Macron n'est pas encore candidat, mais il est toujours Président. Que vaut la parole d'un homme qui professe des vérités successives avec la même énergie, avec les mêmes accents, avec la même assurance ? Rien. Absolument rien. Voilà comment se décrédibilise la politique. A l’enterrement de ses engagements d'hier, Emmanuel Macron a convoqué les vivants et les morts : Jean-Pierre Chevènement, présent en chair et en os, voisinait avec l'évocation nostalgique des mannes Gaullistes et Pompidoliennes. On parla souveraineté, innovation, faisant résonner des grands concepts pour masquer des petits arrangements avec la vérité. On parla d'éolien et de solaire - mais pas trop tout de même car voyez-vous « c’est moche » — pour se parer d'atours écologistes. On parla beaucoup, de tout, sauf de surcoûts. Oubliée, l'explosion budgétaire de Flamanville. Oubliés, les retards. Oubliée, la dette abyssale d’EDF. Passées sous silence les questions dérangeantes, les risques et les déchets. Négligées les alertes. Tuées les rencontres secrètes au ministère de la transition écologique avec Hugo (c'est son pseudonyme), le lanceur d'alerte qui révéla des incidents volontairement minimisés au sein de la centrale du Tricastin. Sans pudeur ni prudence, sans débat ni décence, Emmanuel Macron souhaite nous engager dans une nouvelle ère nucléaire.

Raison pour laquelle, je l'ai déjà évoqué ici à plusieurs reprises, il a bataillé avec force pour inclure le nucléaire dans les énergies vertes au niveau européen, vidant la taxonomie de son sens originel. D’autant que pour parvenir à l’accomplissement de ce méfait, il lui fallait en commettre un second en intégrant également le gaz dans ladite taxonomie. Tel était le prix de la rétribution de ses complices dans cette affaire : Viktor Orbán en tête. Le tout dans le contexte de tension géopolitique que nous savons… Ainsi, subventionner le gaz, et donc notre dépendance à cette énergie, tout en prétendant tenir tête à Poutine, principal fournisseur gazier, il fallait oser.

Mais revenons-en au nucléaire. N’avons-nous rien appris ? Le 27 janvier dernier, cinq ex-premiers ministres japonais écrivaient à la présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen, pour rappeler que le drame de Fukushima avait montré que le nucléaire n'était ni sûr, ni bon marché, ni propre. Peut-on imaginer que ces anciens hauts responsables parlent sans expérience ni connaissance des enjeux ? Pourquoi donc leurs paroles n'inspirent pas nos dirigeants ? Pourquoi défendre le modèle nucléaire avec une telle force ? Emmanuel Macron prétend maintenant agir au nom du climat. Cette manière de jouer le climat contre l'écologie n'a pas de sens. Gouverner c'est prendre en compte des paramètres multiples. Nous sommes les premiers à défendre l'urgence climatique. Mais peut-on entendre que celle-ci n'appelle pas à reproduire les solutions du passé mais bel et bien à changer de modèle ? Parmi les six scénarios proposés par RTE il y a quelques semaines, Emmanuel Macron choisit l'une des voies les plus nucléarisées. Cette option aura une conséquence que nous connaissons déjà : la mise à mort du développement des énergies renouvelables. La France, deuxième façade maritime du monde, est le seul des 27 à ne pas avoir rempli ses objectifs en matière d’installation d’énergies renouvelables. Une seule et unique éolienne offshore est raccordée dans notre pays en ce début d’année 2022 ! Or, si certains scénarios du GIEC sont conçus sans nucléaire, aucun ne l’est sans renouvelable… L’entêtement dogmatique de la France pour le nucléaire est une malédiction. Elle nous rend dépendants d’une technologie obsolète, coûteuse et dangereuse. Mais cet aveuglement implique également une obstruction pavlovienne à toute possibilité de développer les renouvelables et d'opter pour la sobriété énergétique…

Mais de quelle obsession le culte du nucléaire dans notre pays est-il donc le nom ? Il y a dans le rapport qu’entretiennent les chefs d’états français avec l’atome le fantasme illusoire de la puissance. La symbolique de la force que suggère le nucléaire joue un grand rôle dans notre imaginaire politique, et singulièrement dans le type de pouvoir que l’on associe à la Ve République. Peut-on être Président, je dirais même peut-on « faire » Président, en renonçant au gros bouton rouge et au pouvoir des éclairs ?

De De Gaulle à Sarkozy, en passant par Mitterrand et désormais Macron, la geste nucléaire est un attribut du pouvoir, et donc de la puissance. Le nucléaire est lié au « feu » du même nom. Il faut d’ailleurs toujours garder en tête que le nucléaire dit « civil » a été une sorte de sous-produit nécessaire à la mise en place de la filière « militaire » du nucléaire. Les deux sont liés. Mais c’est aussi l’illusion de l’indépendance et de la maîtrise de la plus « magique » des énergies : l’électricité. Ne parle-t-on pas de « fée électricité » ? C’est aussi la foudre, que seul le père de tous les Dieux maîtrise dans la mythologie grecque : Zeus.

Et c’est là que je veux en venir. Il y a quelque chose d'infantile, d'immature, de primitif dans le culte que vouent nos dirigeants au nucléaire. Car, et c’est là le paradoxe, l’entêtement nucléaire de la France organise en réalité notre impuissance. Il nous ruine. Il nous force à croire et donc à investir à fonds perdus dans une technologie de plus en plus coûteuse et dépassée. Il nous pousse à renoncer à l’excellence des filières de production d’énergies renouvelables issues du vent, des marées, du soleil. Il nous invite à ignorer la nécessité de la sobriété et de l’efficacité énergétique. Il nous conduit à tolérer des risques et des nuisances qui nous menacent et menaceront des milliers de générations après nous. Sous ses atours « scientifiques » et « rationnels », le nucléaire dont on connaît maintenant pleinement les limites technologiques et les externalités négatives, est un non-sens. Il ne subsiste que par la fascination prométhéenne qu'il exerce. Ce sceptre de puissance qu’est censé représenter le nucléaire, semble inséparable du bras de celui qui prétend vouloir diriger la France. C'est en réalité un boulet. Et l’uranium est en vérité notre kryptonite…

En s’entêtant à endosser ces vieux habits, Emmanuel Macron pense revêtir les attributs de la puissance régalienne. Mais l’hyper-pouvoir qu’il convoque en décrétant ce choix du nucléaire sans débats et à quelques semaines de l’élection présidentielle révèle en vérité une hypo-politique… Celle de la résignation, du statu quo et de la fuite en avant. Il n’y a là aucune renaissance à attendre, mais une lente agonie de notre capacité industrielle et économique à conduire la transition. Le « printemps » promis ne sera que la prolongation du long automne que représente l'interminable déclin du nucléaire.

C’est ainsi qu’à l'heure où la France pourrait et devrait prendre de l'avance et être une nation pionnière, Emmanuel Macron la condamne, dans une régression coupable, à s'enliser dans un modèle énergétique obsolète. Il opère un triste virage vers un dangereux mirage.

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