Ils sont partout.

Trois petits tours et puis s'en va : désormais, c'est quasi quotidiennement que le feuilleton des débauchages en cours au sein des droites extrêmes s'affiche sur nos écrans. Souvent, tout commence par un « indiscret » dans un hebdo, quelques lignes nourries de off qui permettent d'étaler ses états d'âme pour donner de la profondeur à un départ qu'il s'agit d'annoncer pour en maximiser l'impact. Puis, quelques jours plus tard (un siècle à notre époque d'accélération permanente), une alerte BFM TV s'imposera sur nos smartphones: « Untel rejoint Zemmour ». Une interview dans la presse écrite viendra clore la séquence avec moult justifications : « Pourquoi je pars ». Des trémolos dans la voix, la main sur le cœur, tel ou tel militant de longue haleine du Rassemblement National dira tout le mal qu'il pense désormais de la secte qu'il quitte.

Quand s'ajoute aux affrontements politiques un drame familial, la guerre au sein de l'extrême-droite prend des allures de drame antique ou de soap opéra, c'est selon. De la tragédie de Montretout (demeure historique des Le Pen) nous n'ignorons rien. Les tourments politiques embrassent la généalogie, à tel point qu'on se perd un peu dans les méandres des revirements des uns et des autres. Jean-Marie est passé de la figure tonitruante et viriliste du quasi factieux à celle du patriarche, observateur désabusé de la dilapidation de son héritage. Marine, qui hier commettait le parricide politique lui permettant de s'émanciper de la statue du commandeur pour voler de ses propres ailes vers la dédiabolisation, risque désormais le « tatacide » (les droits de propriété intellectuelle du néologisme reviennent à madame Le Pen). Marion, la nièce, penche pour Zemmour. Le fait savoir. Étale son ennui et son envie de retour en politique dans les colonnes de médias avides de confidences.

Marine, au bord des larmes sur Cnews, évoque la douleur que lui causent les fêlures de son clan. Quelques jours plus tard, sur la scène d'un meeting, elle se raconte. Elle évoque les pages sombres de son enfance. Se pose en victime d'un attentat causé par la haine subie par sa famille. Mais tout ceci n'est rien : la France mérite qu'on souffre pour elle. Parce que c'est pour la France qu'elle accepte de vivre cette vie de sacrifices. Au passage, elle tente d’inverser les pôles : elle qui incarnait la haine se targue désormais de représenter les forces de l'amour, face à un Zemmour qu'elle accuse d'être accompagné de néo-nazis. Se posant même en experte en admettant qu’elle peut d’autant mieux les qualifier de la sorte puisqu’ils avaient été par le passé à ses côtés… Tout cela m’évoque l’expression populaire : « C’est le camembert qui dit au roquefort qu’il pue ».

Dans ces règlements de compte au pays des chemises brunes et noires, après Stéphane Ravier, c’est Nicolas Bay le dernier en date à avoir franchi le Rubicon à coup de pieds dans le derrière. Qui sera le prochain ? Le goutte à goutte entretient un suspense qui vise à capter notre attention. C'est précisément à ce hold-up mental que nous devons résister. A regarder les droites extrêmes comme on regarderait une fiction politique, on court un grand risque : celui de minorer le poison continu qu'elles déversent dans le réel. Le chapelet des trahisons fascine, cadence la campagne, occupe les esprits, sature l'espace médiatique et occulte l'essentiel : le grave danger que ces gens font courir à notre pays et à la planète. La bataille culturelle menée par l'extrême droite est permanente : ils n'imposent pas uniquement leurs thèmes mais également leurs divisions. Ce faisant, ils saturent l’espace médiatique de leurs turpitudes malsaines. Le grand remplacement n'était hier qu'une expression connue de cercles très réduit. C'est désormais une « théorie » (sic) discutée sur les plateaux aux heures de grande antenne et qui se trouve validée de fait. Valérie Pécresse, pour avoir tenté de s'en emparer pour plaire à la partie Ciottiste de son électorat, se trouve engluée dans ce concept chewing-gum.

Il faut à ce stade rappeler que ces « imaginaires » ne viennent pas de nulle part et que leur résurgence constitue en soi un fait politique majeur. Pendant les années 70 et 80 dans l’hémisphère droit de notre paysage politique, la geste antifasciste de la résistance Gaulliste a longtemps servi de sur-moi moral à une Droite française, dont certains courants puissants — avant et pendant la Deuxième Guerre mondiale — s'étaient largement nourris de l’antirépublicanisme, de l’antiparlementarisme, de l’antisémitisme, du racisme et de l’impérialisme colonial. Mais au fur et à mesure que se dissipe la mémoire politique du Gaullisme, les vieilles cicatrices craquent et laissent ressurgir la bête immonde, qu'aucune muselière ne semble plus capable d'entraver.

Tout le débat présidentiel est aujourd'hui mis sous tension par l'extrême-droite, qui prétend avoir le monopole des vraies questions et des bonnes réponses. Voilà pourquoi voir Yannick Jadot tenir bon sous le feu roulant des affirmations xénophobes de Bardella, lors de la grande émission « Élysée 2022 » sur France Télévisions, était plus que réconfortant. C'est le signe qu'une partie importante de la conscience de notre pays refuse l'inacceptable confiscation de notre vie politique par les tenants de la haine. Dans les semaines qui viennent, au lieu de regarder le nombril d'une vieille gauche en voie de disparition, notre travail est de faire en sorte que d'autres thèmes émergent dans la campagne. Pour l'heure, la planète brûle et le microcosme regarde ailleurs, sidéré par la puissance de feu narrative des propagandistes de l'extrême droite. Ils sont partout, et le climat nulle part.

La feuille de route des écologistes est donc limpide : faire du changement de modèle que nous appelons de nos vœux et qui seul peut enrayer la crise écologique qui nous frappe, le centre de gravité du débat politique.

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