La fable de l’unité.

Une idée fixe hante la campagne de la « Gauche » : celle de l'union. L’injonction unitaire serait censée effacer comme par magie des décennies d’errance idéologique et de renoncements politiques. Comme si un dispositif tactique pouvait faire office de pierre philosophale apte à soudain transformer en or le plomb des trahisons, des ambiguïtés et de l’incapacité pour cette Gauche traditionnelle à remettre à jour sa pensée et son projet. Je veux ici poser les raisons qui font que je tiens cette obsession pour néfaste. Il n’y a en politique ni raccourci, ni martingale.  Qu’on me comprenne bien : je ne dis pas que le rassemblement n'est pas une des conditions de la victoire. Mais quand il devient en lui même un sujet, voire le sujet principal, il est un obstacle davantage qu'un élément de dynamique. Que voit on depuis des mois? D’une part, des jeunes gens, dont les convictions et la sincérité sont indiscutables, ont cherché à fédérer autour de la dynamique de la primaire populaire. D’autre part, des Partis et des personnalités plus madrés qui, par opportunisme ou par paresse intellectuelle, ont réduit l’enjeu du positionnement politique de la gauche à une simple posture unitaire. En imposant la thématique de l'union, ils en ont fait le paravent des impasses de la vieille gauche, une gauche dépassée qui se raccroche à la chanson de l'unité comme un naufragé à son radeau.

 

Disant ceci, je n'insulte personne. J'ai du respect pour l'histoire des gauches et sait ce que notre pays leur doit. Je n'ignore ni l'importance du mouvement ouvrier auquel nous devons le syndicalisme et nos avancées sociales, ni les batailles politiques qui ont forgé la gauche. Mais ce n'est pas de ceci dont il est question ici. Je refuse que les liquidateurs de cet héritage se servent des conquêtes d’hier pour masquer leurs turpitudes d’aujourd’hui. Je refuse que la nostalgie recouvre le réel jusqu'a l'invisibiliser. Le mot gauche est certes polysémique, et peut se décliner au pluriel, mais dans l'imaginaire politique collectif il renvoie quand même en grande partie aux expériences gouvernementales sociales-démocrates. 1981 et Mitterrand, 1997 et Jospin, 2012 et Hollande. C'est certainement injuste pour les tenants d'une autre gauche, mais c'est ainsi. On peut, maintenant que le parti socialiste n'exerce plus le pouvoir, faire jouer les violons et les cornemuses mais les faits sont têtus : Hollande n'est pas Jaurès. L'affaissement théorique qui a caractérisé son quinquennat a fini d'achever une social-démocratie depuis longtemps désorientée, ou plus exactement réorientée vers de nouveaux horizons économiques et sociaux… Le consentement au productivisme et à la société de consommation a ouvert la voix à l’acceptation de la mondialisation libérale et son cortège de renoncements et de destructions. Chacune et chacun sent confusément que l'espoir d'une alternative ne peut venir de cette force politique qui n'a pas pris la mesure des transformations qu'elle devrait accomplir pour se porter à la hauteur des grands enjeux de notre temps. Parce qu'elle choisit d'avancer dans la confusion davantage que dans la clarté. A chaque élection désormais, elle cherche un nouvel artifice pour limiter la casse et donner l’illusion d’une réinvention. Aux élections européennes, le P.S a instrumentalisé (déjà) la thématique de l'unité pour sauver les meubles en utilisant le mouvement Place Publique pour paraître moderne et essayer de sauver la face. Aux municipales le P.S a résisté grâce à la force de ses implantations locales. Fort bien. Les élections régionales se sont elles, jouées sur l'implantation de barons et baronnes légitimées par le fait d'être en fonction. C'est ainsi. Pour les présidentielles, après avoir pendant des mois expliqué que les écologistes avaient un problème grave avec la République, Anne Hidalgo, qui a refusé une primaire interne au P.S découvre soudainement les mérites de l'union avec les écologistes et des primaires... Pourquoi ce changement de pied ? Une autre partie des socialistes, le P.S hors les murs si j'ose dire, s'agite pour favoriser la candidature de Christiane Taubira, présentée comme une chance de mettre un terme à la division des gauches et des écologistes. Nul programme, tout juste un texte fourre tout, inventaire mal ordonnancé de thématiques alignées comme autant de mots clefs, juxtaposés pour cocher toutes les cases du loto de l'union. Tout ceci n'est ni digne, ni efficace. Aucun tour de passe-passe ne réglera la douloureuse question de l'obsolescence du logiciel social démocrate. 

 

Car ce triste spectacle est le symptôme d’un fait politique qu’il faut prendre au sérieux. Celui de la décomposition de la social-démocratie. Depuis une vingtaine d’année, la force gravitationnelle du Parti Socialiste s’est considérablement réduite au fur et à mesure de sa perte de centralité théorique, de son obsolescence idéologique et - on l’a dit - par ses manquements et renoncements lorsqu’il était amené à exercer le pouvoir. En renonçant, pour faire vite, à « changer la vie », c’est à dire en assumant de ne plus être en mesure de lutter d’égal à égal contre les forces de l’argent et de la finance, il a perdu son utilité et dilapidé son objet social. S’en sont suivies cette lente agonie et cette décomposition aujourd’hui visibles. Et si division des candidatures il y a, ce n’est pas du coté des écologistes qu’il faut la chercher. Au contraire. La candidature de Yannick Jadot fédère des forces qui hier encore, aux dernières élections européennes, étaient éparses. Les écologistes font leur part de clarification et de reconfiguration du paysage politique. En revanche, les enfants perdus du socialisme n’en finissent plus de zigzaguer, abandonnant à chaque virage un peu plus de leur cohérence et de leur unité.

 

J'en reviens donc à cette question de l'union. En politique, elle n'est pas un objectif en soi, mais un processus au service d'un horizon. Elle n’est pas non plus un préalable, mais une conséquence. Dans le contexte actuel, elle peut difficilement résulter d'un accord d'appareils. Je l’ai dit, pour que cela soit le cas, encore faudrait-il que l’on puisse compter sur des appareils dont la doctrine est stable et fiable, ce qui n’est pas le cas du Parti Socialiste et des ses anciens satellites. Logiquement elle devrait découler d'une dynamique culturelle et sociale autour de perspectives programmatiques communes. Les écologistes que nous sommes, défendons à raison que c'est autour de notre vision que doit se sceller le rassemblement. Mais proclamer cette volonté ne suffit pas : l'idée doit faire son chemin dans les têtes et dans les cœurs. Nous devons continuer à faire nos preuves, à convaincre, à amasser un capital de confiance et de fiabilité politique susceptible de faire basculer les destinées du pays. Nos slogans et positions doivent constituer un point fixe de ralliement dans la bataille culturelle. Et nos pratiques doivent entrainer l'adhésion de populations encore rétives à nous confier les clefs de leur avenir. Voilà pourquoi le travail accompli par les responsables écologistes dans les municipalités est déterminant : il est un point d'ancrage dans le réel, une proposition politique incarnée, un modèle alternatif mis en actes. Le leadership ne se décrète pas : il se construit pas à pas. Et je comprends que les autres formations nous le contestent : la démocratie nait de la contradiction. Ce que semblent oublier les zélateurs de l'union à tout prix.

 

Je précise ma pensée :  la démarche de la primaire populaire repose sur un postulat vicié. Au fond ils agissent comme si sur l'essentiel les gauches et les écologistes n'avaient pas de différences notables. C'est faux. Il faut prendre au sérieux nos divergences, non pas pour en faire des barrières infranchissables, mais pour déterminer quelle politique serait menée en fonction de l'arrivée au pouvoir de telle ou telle formation politique. Le diable niche toujours dans le détail des questions dont on ne discute pas. En gros, tout le monde prétend vouloir sauver le climat. Mais en détail, nos amis communistes et ceux d’Arnaud Montebourg défendent que le nucléaire est une énergie d'avenir qui peut contribuer à décarboner l'économie. Qui peut m'obliger à adhérer à cette vision? En gros Jean-Luc Mélenchon semble être converti aux idées forgés par l'écologie politique, jusqu’à prétendre parfois nous donner des leçons en la matière. Mais dans le détail, il semble ne pas avoir renoncé à une vision très anthropocentrée de la politique et envisage la conquête spatiale ou l’exploitation des océans comme un des éléments de la puissance nationale. Pourquoi devrions nous passer ce point sous silence ? Bref. La liste est plus longue que ne l'affirment beaucoup de celles et ceux qui font de l'union un préalable quand elle devrait être la conséquence d'un processus politique d'hybridation de longue haleine. Mais je renonce à égrener davantage les perles du collier de nos différences et je poursuis mon raisonnement. 

 

Je maintiens que les programmes ont de l’importance. Et au-delà des programmes, les visions du monde et de notre civilisation qu’ils sous-tendent sont essentielles. Ils ne servent pas qu'à gagner les élections : ils fixent un cadre pour la suite et des repères au peuple qui choisit de les soutenir. Il y a le temps de la campagne et le temps du gouvernement me direz vous. L'essentiel n'est-il pas de gagner ? Alors pourquoi ne pas tout faire pour gagner ? La solution c'est l'union... C'est oublier que la politique n'est pas qu'affaire d'arithmétique. Les convictions y jouent encore un rôle. Et les dynamiques sociales sont déterminantes. La gauche et les écologistes ne se présentent pas désunis par plaisir, mais faute d'avoir su mener un travail collectif de réinvention. Nous autres écologistes avons pris plus que notre part, en proposant une nouvelle matrice pour la pensée et l'action. Nous avons d'ailleurs longtemps assumé d'être minoritaires à porter nos idées. Mais désormais, nous pensons que c'est aux traditions antécédentes de rendre justice à la justesse de nos diagnostics et préconisations. Et nous assumons notre volonté de cheminer en tête de l'alternative. Nous avons ouvert la voie sur le fond. Nous entendons garantir que l'écologie politique soit l'épine dorsale du changement. Pour cette raison, nous refusons d'être les supplétifs d'une union qui, sans contenu risquerait d'être une nouvelle déception, la noce de l'immobilisme et de l'opportunisme.

 

De ce point de vue, nos amies et amis de la primaire populaire commettent une seconde erreur, qui découle de la première. Alors qu'ils affirment que les question de personnes sont secondes, ils font de la question de l'incarnation du rassemblement la question essentielle, ce qui est normal dès lors qu'ils passent par pertes et profits les questions de fond programmatique. Raison pour laquelle l'équipe dirigeante de la primaire populaire a fait le siège de Christiane Taubira pour lui demander de se présenter dans le cadre de leur primaire. Comment n’ont-ils pas flairé le paradoxe ? Comment une candidature de plus pourrait réduire le nombre de candidates et de candidats déjà en lice ?  La pensée magique ne suffit pas à réduire la complexité de l'équation à dénouer.

 

Disons les choses : le charisme de Christiane Taubira, son talent, sa popularité, apportent à la politique de notre pays. C'est incontestable. Mais dans le moment, sa candidature "envisagée" (jugez de la prudence des termes) ajoute à la confusion. A ce stade, hormis sa volonté de faire don de sa personne, on ne sait rien de ses intentions. On devine ses valeurs, on ne sait rien de son programme. Sur quelles bases entend-elle rassembler, qui, et pour faire quoi ? J'ai trop de respect pour son intelligence pour penser que son silence sur nombre d'enjeux de fond n'est pas le fruit d'une stratégie. Mais je refuse les jeux de rôles qui visent à faire passer la forme avant le fond. Pardon de ne pas céder à la tyrannie de l'émotion, mais la tentation de construire à la va vite une union factice basée sur le rejet de Macron et Zemmour n'est pas de bonne politique.

 

Surtout, il ne faut pas se tromper de diagnostic : ce n'est pas parce que la gauche est divisée qu'elle est faible. C'est parce qu'elle est faible qu'elle est divisée. Plutôt qu'une union cache misère, il lui faudrait s'interroger sur les raisons de sa faiblesse, et entamer un travail d'aggiornamento pour l'heure sans cesse différé. La gauche a déçu. Sans clarification politique elle décevra encore.

 

Plutôt qu'un mouvement visant à promouvoir le rassemblement sur la base du plus petit dénominateur commun, je jugerais plus utile de pousser à l'union la plus exigeante possible, pour garantir qu'une éventuelle majorité des écologistes et de la gauche ne finisse pas engluée dans le marais de l'indécision et de l'impréparation. La question posée n'est pas seulement celle des contours de l'alliance à construire,mais de manière plus déterminante celle du centre de gravité du rassemblement. Celles et ceux qui ont gardé en mémoire les expériences passées, savent que les programmes discutés ont rarement été appliqués. Je l'entends. Mais je le déplore. Et je n'en tire certainement pas la conclusion cynique, que du coup il faut se contenter d'un socle minimal. Je plaide au contraire pour une confrontation franche et complète. Cette méthode doit permettre à notre peuple d'avoir les idées claires sur ce que chacun propose. Je ne veux pas d'une alliance basée sur les non dits et les approximations. L'heure n'est plus à la politique du moindre mal. L'urgence écologique demande autre chose : une révolution des consciences et des pratiques. C’est la clarté qui rassemble, et la confusion qui divise. Voila pourquoi nous continuons notre chemin.

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