“Don’t look up”: un autre futur est possible
Tout est spectacle. Même notre inaction. Voila à quoi tient en quelques mots, la morale du succès d'audience du film "Don‘t look up", déni cosmique, produit par Netflix.
Nous connaissons depuis longtemps l'incroyable capacité de l'industrie fictionnelle américaine à se nourrir en temps réel des questions sociétales qui taraudent les USA. Souvent, Hollywood a utilisé des dystopies pour décrire des mondes qui risquaient d’advenir si Homo sapiens persistait dans sa pulsion nihiliste. On pense, et c’est loin d’être exhaustif à « Soleil vert », « La Planète des singes », « Mad max » et plus récemment « Le jour d’après » ou « Idiocracy ». Mais si la fiction a toujours été un miroir tendu à l'oncle Sam, le phénomène semble s'accélérer et s'amplifier, dopé par la quête d'audience de productions qui se doivent d'être au diapason de leur public: les séries, plus encore que le cinéma, semblent être travaillées en profondeur par les dynamiques post "Me too" et "Black Lives Matter". Et comme la puissance de feu états-unienne en matière de diffusion culturelle fait de leur imaginaire un des piliers de l'imaginaire planétaire, ce qui résonne chez eux résonne ailleurs.
La France qui prétend souvent incarner une alternative culturelle aux anglo-saxons, entretient un rapport étrange mêlé de fascination et de détestation vis à vis des USA: les produits culturels états-uniens y sont à la fois souvent révérés par la critique, adoubés par le peuple et conspués par celles et ceux qui condamnent l'américanisation de la société française. Ainsi, un argument souvent entendu dans le débat sur le "wokisme" est qu'il serait un produit d'importation américain, charrié par l'influence culturelle des USA. Il est au passage intéressant de noter qu’aujourd’hui, ce procès en « américanisation », majoritairement fait par les conservateurs sur des arguments réactionnaires étaient, il y a quelques années, instruit par certains intellectuels et le milieu culturel progressistes, non sans un certain snobisme. Mais passons, ce dernier point n'est pas le sujet de cette note de blog…
Que dit l'accueil de "Dont Look up?" Que révèle-t-il? Une sidération et un aveu de faiblesse.
Parvenue en catimini jusqu'à nous au milieu des fêtes de fin d'année, un moment où le relâchement est de rigueur, la comédie au casting ambitieux, est devenue non pas un phénomène de société, mais bel et bien le Buzz de ce début d'année. Et nombre d'écologistes militants sont, au sens propre du terme, sidérés par le succès rencontré par le film. Ce que manifestations, alertes multiples, rapports du GIEC échouent à faire, une satire à gros traits y parvient en attirant l'attention d'un large public sur la catastrophe climatique, représentée métaphoriquement par la menace d'une comète risquant de percuter notre planète. Et nombre de médias d'aller interroger les climatologues pour comprendre leur ressenti face à la fiction: " ça ressemble à ça votre vie? Vous criez vraiment dans le désert?".
Je veux questionner ici un instant l'usage de la comète comme métaphore du dérèglement climatique en cours. Pour efficace qu'elle soit, elle risque d’obscurcir la réalité de ce que nous vivons. Nous ne sommes pas menacés par une comète, nous sommes la comète. Nous sommes notre propre risque. Et la trajectoire que nous empruntons n'est pas accidentelle: elle est dictée par la domination de l'avidité, le culte de la croissance et l'incapacité à comprendre que nous sommes partie prenante du vivant.
"Dont Look up" fait spectacle de notre inaction et vise juste en décrivant les rouages du cynisme généralisé qui paralyse nos sociétés. En particulier, le rôle considérable joué par les forces de l'argent est justement croqué, ainsi que la gangrène du débat politique par la veulerie et les intérêts privés. L'impasse techniciste n'est pas davantage épargnée: l’illusion du nouvel obscurantisme techniciste est bien décrite. Les nouveaux magnats, mi gourous, mi ingénieurs mais 100% marchands, font leur miel de la montée de périls qu'ils alimentent eux-mêmes, alors qu'ils prétendent les conjurer. Ils quittent (au sens propre comme au figuré) la réalité terrestre et invitent, dans leur démesure, l’humanité à faire de même. Leurs déclamations en mode stand up sur les moyens qu'ils proposent pour nous sauver constituent un dangereux poison. Comme le joueur de flûte du conte, ils jouent en vérité une sérénade qui nous mène à notre perte. Le film dont nous parlons excelle à montrer tous ces travers.
Mais, et j'en viens à l'aveu de faiblesse évoqué plus haut, on est en droit de se demander si "Dont look up" ne nous rend pas prisonniers de la mise en abime qu'il déclenche nécessairement dans nos esprits. En dénonçant notre incapacité à agir, est-il une exhortation à nous réveiller, ou un témoignage résigné sur la fin des temps? Dont look up documente notre impuissance à sauver la planète et l'humanité. C'est une satire crépusculaire, qui nous dit que tout est déjà foutu, car le ver a depuis longtemps fini de manger le fruit. Dès lors célébrer "Don’t look up" est triste, car c'est aussi danser à l'enterrement de l'espérance.
J'écrivais plus haut qu'il y avait des fictions post MeToo. Don’t look up est une fiction pré-effondrement. En ce sens il n'est pas un film du présent, mais une carte postale d'un futur possible. Et dans son style dystopique, il ne décrit pas un futur lointain et hypothétique, mais un après-demain déjà palpable et statistiquement probable. Voilà pourquoi son succès nous oblige et rappelle à un devoir de base celles et ceux qui veulent changer le monde pour le préserver: nous devons parler au plus grand nombre et mener la bataille des imaginaires.
C’est pourquoi, contre les marchands de résignation qui nous ordonnent d'accepter l'injustice du sort et le joug de la destruction, il nous revient de rappeler sans cesse et de démontrer qu'un autre futur est possible.
Ce que nous avons à accomplir ne s’inscrit pas dans la continuité des alternatives politiques précédentes, mais bel et bien dans une rupture tant le grand virage à opérer est systémique, radical, inédit.