La parenthèse écologique de monsieur Mélenchon.
L'Ukraine est le sérum de vérité ultime de l'élection présidentielle. Et s'il ne faut pas faire dire à quiconque plus que ce qu'il prononce, il n'est pas interdit de considérer que les positions prises sur un tel sujet révèlent l’imaginaire politique profond des candidates et des candidats. Le débat sur l'embargo sur le gaz et le pétrole russes n'informe pas seulement sur la vision des relations internationales des uns et des autres mais aussi sur l'importance que l'on accorde aux questions écologiques. Jean-Luc Mélenchon a accusé Yannick Jadot de vouloir faire grelotter les Françaises et les Français. L'argument laisse songeur. Lui serait le défenseur de la cause du peuple en Damart et nous les Don Quichotte de l'internationalisme ? Je le laisse à ses caricatures. On connaît le sens tactique de Jean-Luc Mélenchon. Il n'est pas certain que l'argument soit utilisé de bonne foi, mais le madré tribun, sait que l'accusation d'indifférence à la question sociale qui colle aux écologistes est fausse. Pourtant il n'hésite pas à utiliser ce mensonge usé jusqu'à la corde par les ennemis de l'écologie.
La mémoire est le muscle politique par excellence. Revenons donc quelques mois en arrière. Tout à sa tentative de hold-up sur l'écologie politique, Jean-Luc Mélenchon, jamais avare de théorisation, défendait une thèse censée montrer à quel point lui avait compris l'urgence écologique. Il représentait l'écologie de rupture, et EELV était censé être un repaire de mollassons et mollassonnes convertis à l'écologie d'accompagnement. Mais repassons cette accusation au tamis de l'actualité des derniers jours. À propos de la question de l'embargo sur le gaz russe, qui s'accommode du statu quo énergétique et qui propose une rupture ? Qui accompagne la logique cupide de Total ? Yannick Jadot ou Jean-Luc Mélenchon dont les lieutenants jugent les propos de Yannick Jadot « un peu brutaux » ? Qui sont les vrais insoumis ? Celles et ceux qui engagent le bras de fer avec une multinationale pour la contraindre à admettre que nos vies valent plus que leurs profits, ou ceux qui tirent dans le dos des écologistes quand il s'agit de faire plier Total ?
Le slogan de campagne de Jean-Luc Mélenchon et de ses amis dans la derrière ligne droite est « un autre monde est possible ». Nous partageons ce cri de ralliement altermondialiste et l’objectif de transformation qu'il sous-tend. Mais qu'il nous soit permis de poser une question simple aux camarades de la France Insoumise. Où et quand commence leur nouveau monde ? Pourquoi l'Ukraine serait elle mise à l'écart de l'intérêt général du genre humain ? Pour nous, toutes les vies comptent. Notre anti-impérialisme n'est pas un campisme qui rendrait nos indignations unijambistes. De Santiago du Chili jusqu'à Marioupol en passant par Alep, nous défendons avec constance le respect des droits humains. C'est plus qu'une boussole : une constance éthique qui habite notre agir politique.
S'ajoute à cela que l'époque demande de dépasser les antiennes de la guerre froide pour inventer une nouvelle géopolitique où les questions de l'énergie, des ressources, du climat, joueront un rôle considérable. L'anti-américanisme ne saurait justifier aucune complaisance à l'égard de Vladimir Poutine. Et le souci de protéger nos concitoyennes et concitoyens de la hausse du coût de la vie en général et de celui de l'énergie en particulier ne doit pas nous conduire à mettre de côté la nécessaire révolution énergétique à mener. C'est au pied du mur que l'on voit le maçon. Soudain, Mélenchon oppose transition écologique et justice sociale. Nous pensions qu'il avait compris que les deux objectifs étaient intrinsèquement liés.
Ce sont pourtant bien les damné·e·s de la terre qui seront et sont déjà les premières victimes de l'effondrement écologique en cours. Il n'est plus temps de différer, sous aucun motif, la bifurcation radicale du modèle actuel vers une société de sobriété et de solidarité. Maintenant c'est l'heure. Parce que nous avons tergiversé, et persisté à financer la Russie de Poutine, les dominos ukrainiens vont d'ailleurs provoquer une réaction en chaîne terrible qui entrainera certainement des commotions sociales de grande ampleur en raison des famines qui se feront sentir jusqu'en Afrique. L'effet papillon des capitulations n'a pas fini d'entraîner le monde au bord du gouffre.
Jadis, il y a presque 40 ans, les socialistes décrétèrent l'ouverture d'une « parenthèse » dans leur politique censée rompre avec la logique capitaliste. On sait qu'elle ne fut jamais refermée. Mais au moins avaient-ils attendu d'être au pouvoir pour renoncer à appliquer leur programme.
En refusant d'envisager que Total se retire de Russie, Jean-Luc Mélenchon vient pareillement d'ouvrir une parenthèse dans la rupture avec le régime climaticide actuel. On ne sait quand elle se refermera. Il s'en défendra avec le talent qu'on lui connaît, mais les faits sont têtus. Et tout se tient. Celles et ceux qui prennent la question du climat pour autre chose qu'un rabatteur électoral savent que l'ouverture d'un bras de fer coriace avec les multinationales des fossiles est inévitable. Notre modèle doit pivoter radicalement. La guerre en Ukraine vient reposer la question de notre dépendance énergétique, de la sortie aussi inéluctable qu'urgente des fossiles. Et au moment où nous engageons le combat avec Total, voilà que la France Insoumise se fait soudain timide. On passe du bruit et de la fureur aux chuchotements feutrés. Il nous faut donc tendre l'oreille ? Avons-nous bien entendu ce que nous avons entendu ? Oui. Total doit continuer à commercer en Russie. Nous voulons donc que cette grande entreprise française persiste dans les fossiles ? En aucun cas. Total doit doublement quitter la Russie. Pour des raisons morales évidentes, et pour des motifs écologiques qui frappent l'intelligence.
Défendre la continuation des activités de Total en Russie, c'est à la fois faire peu de cas de la solidarité avec les femmes et les hommes qui subissent l'agression de leur pays par une puissance impérialiste, et donner un quitus à Total pour son entêtement dans les énergies fossiles. Aucun moulinet, aucun effet de tribune ne parviendra à masquer cette réalité. L'écologie n'est pas un catéchisme qu'on s'approprie sans y croire en psalmodiant des slogans, mais bel et bien une rupture avec toutes les traditions politiques productivistes antécédentes. Et c'est quand les crises surviennent qu'il faut tenir bon : dans la tempête d'un monde en proie aux conflits multiples l'écologie doit demeurer notre cap. Pour notre part nous ne varions pas aux premières difficultés. Et nous savons trop le mal qu'ont pu faire hier les promesses avortées sitôt énoncées, pour accepter de laisser passer sans mot dire le recul non avoué du candidat Mélenchon. Le climat ne sera pas sauvé par l'éloquence des beaux discours, mais par la constance d'une conscience écologique qui s'émancipe réellement des renoncements d'un autre âge.