Les législatives vues d’Europe.

On questionne souvent l'existence d'une conscience politique européenne commune. Je suis de celles et ceux qui postulent qu'elle existe, sous des formes multiples, quoi qu'en pensent les tenants de l'étanchéité absolue de nos imaginaires politiques nationaux. Si l'intérêt de chaque peuple pour ses considérations nationales l'emportent de manière évidente sur ce qui se passe chez ses voisins, les citoyens et les citoyennes de l'Union Européenne, ont de plus en plus conscience que nos destins sont liés. Voilà pourquoi la présidentielle française et les législatives qui s'achèvent à peine ont été largement observées par le reste de l'Europe.

Écrivant cela, je ne tombe pas dans le piège du nombrilisme cocardier qui conduirait à penser que ce qui se passe chez nous intéresse le monde. Au contraire, je propose de décentrer notre regard en épousant un instant celui des autres. Ce faisant, peut-être gagnerons nous en lucidité sur notre situation. Aux yeux de nombre d'observateurs européens, la situation politique issue des urnes semble être une chance de mettre un terme à la lente agonie d'un système politique anachronique et dépassé. En effet, la Ve République, pour n’importe quel démocrate européen habitué au parlementarisme, est une curiosité, une anomalie, une spécificité pittoresque française qui semble peu compatible avec les critères démocratiques habituellement établis.

Je sais bien que la réaction d’une partie d’entre vous en lisant ces lignes risque d’être : « Et c’est reparti… Encore la leçon d’un député européen qui nous explique que c’est mieux ailleurs… ». Je vous comprends. Avant d’être élu, j’avais exactement la même prévention à l'égard des leçons de maintien dispensées pour nous forcer à consentir à l'ordre immuable des petits pas de côté et des compromis boiteux qui entravent trop souvent la transformation politique de l'Europe. Ma vigilance demeure entière sur ce point. Mais il n'est pas interdit de tirer des enseignements démocratiques de la manière dont nos mœurs politiques nationales suscitent scepticisme et réprobation.

Bien entendu, tout n’est pas mieux ailleurs, et particulièrement dans l’Union européenne. Mais imaginez le regard de nos ami⸱e⸱s européen⸱ne⸱s lorsqu’on leur explique qu’en France, la Première ministre, dont la seule légitimité est d’avoir été nommée par le Président et qui depuis n’est pas parvenu à faire élire une majorité de parlementaires pour la soutenir malgré un mode de scrutin très favorable, peut venir faire son discours de politique générale devant l’Assemblée nationale puis repartir sans que les député⸱e⸱s ne soient appelé⸱e⸱s à voter pour lui accorder leur confiance… Et ce n’est là qu’un des nombreux exemples d’un système institutionnel français qui est désormais inapte à faire vivre notre démocratie…

Ainsi, vu d’Europe, l'Assemblée nationale « incontrôlable » issue des urnes signe plutôt, en réalité, le retour de la possibilité d'un débat politique dont le parlement serait le cœur battant. 

Faute d'avoir un mode de scrutin proportionnel permettant de représenter l'ensemble des courants et forces politiques du pays à leur juste étiage, la sagesse collective du corps électoral a parlé, et a renvoyé Emmanuel Macron à son rêve de jupitérisme en le privant d'une majorité absolue à l'Assemblée nationale. Celui-ci est désormais contraint de chercher une issue démocratique à ce qui ressemble à une crise majeure en gestation. Encore faut-il comprendre ce qui est en jeu. S’agit-il d'une crise politique qui accouche d'une crise institutionnelle, ou est-ce la crise de nos institutions de la cinquième République qui finit par engendrer une crise politique ? Les deux mon capitaine, les deux.

En réalité le présidentialisme de nos institutions a depuis longtemps déjà gangrené notre vie politique, en produisant une culture de l'homme providentiel et de la caporalisation des intelligences. Mais le macronisme, a exacerbé comme jamais la concentration de tous les pouvoirs dans les seules mains du Président, en démonétisant le rôle du parlement réduit a une chambre d'enregistrement, et en alimentant une rage sans précédent à son encontre. Si bien que nous ne sommes aujourd'hui pas loin de la crise de régime.

J'ajoute à ceci que l'extrême-droite française est l'une des plus fortes du continent. Elle s'est encore rapprochée du pouvoir en réunissant plus de 41% des suffrages au second tour de la présidentielle et obtenant le plus grand nombre de députés et députées de l'histoire du Rassemblement National. Pas besoin de qualités d'analyse poussées pour comprendre qui sont les vrais vainqueurs de cette élection. Marine Le Pen et ses troupes caracolent vers les seuils irréversibles qui signent les victoires culturelles durables. Ni Emmanuel Macron arrivé en tête, ni la NUPES qui a pourtant réussi à remettre la gauche et les écologistes sur la carte des forces qui comptent, ne peuvent d'ailleurs sérieusement affirmer être en mesure aujourd'hui de freiner l'ascension du RN. Je résume : nos institutions craquent au moment même ou l'extrême-droite se renforce. Nous sommes fragiles. Ce qui confère à chaque force politique une responsabilité historique. Les choix des uns et des autres ne peuvent être déterminés par une vision à courte vue : c'est aujourd'hui l'avenir de notre démocratie qui est en jeu. Ni plus ni moins.

La mauvaise nouvelle c'est qu'Emmanuel Macron semble persister à se contenter de jouer des coups tactiques. Après avoir anesthésié la présidentielle et tenté d'éviter les législatives, il rejette maintenant la responsabilité de son impuissance sur les oppositions.

Vue de France, cette situation inquiète. Vue d'Europe, elle consterne. En particulier, celles et ceux qui combattent aujourd'hui au sein de « démocraties » illibérales et qui savent qu'on ne joue pas impunément avec le feu. De ce point de vue, la mort à petit feu du front républicain indique de graves dangers. Emmanuel Macron qui a, par deux fois, bénéficié de la mobilisation civique contre Marine le Pen dans les urnes, a entretenu le flou entre les deux tours des législatives en laissant entendre que la NUPES et le RN constituaient à ses yeux des périls d'importance similaire. Comme si ce n'était pas assez, il a laissé nombre de ses lieutenants expliquer ces jours-ci que l'union nationale avec le RN était une option ou que LREM pourrait aller chercher les voix RN au parlement. Ce discours absurde et dangereux du Président qui consiste à revendiquer pour lui seul le monopole de la République en traçant un signe « égal » entre l’extrême-droite héritière de Maurras, Pétain et l’OAS d’un côté et la NUPES héritière du front populaire, de la Résistance, des mouvements écologistes et de l’altermondialisme de l’autre est d’une inconséquence absolue. Le récit banalisant la bête immonde demeurera une tâche indélébile au visage du parti présidentiel et marquera au fer rouge le bilan politique d’Emmanuel Macron.

Le processus de normalisation du RN est parachevé par ceux-là mêmes qui prétendaient incarner un rempart contre lui, et ont en réalité été son meilleur tremplin. D'où qu'on regarde cette réalité, elle dessine les contours de l'orientation politique qui doit être la nôtre. Si nous voulons empêcher que la France ne bascule dans le bouquet des démocraties illibérales, il faut forger une alternative politique majoritaire à l'illusion macroniste. En commençant par faire du ressourcement démocratique de notre République une priorité. Il faut le reconnaître, la tâche est d'ampleur.

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