Les sirènes du renoncement.

Aucune naïveté ne doit venir embuer nos analyses, les USA restent les USA ; rien ne permet de dire à ce stade que les fondements de leur vision du monde sont remis en question par l’approche politique de Joe Biden. Mais Les premiers pas de ce dernier résonnent bien au-delà de Washington. Incontestablement, la fin de l’ère Trump marque la possibilité d’un retour de l’espoir climatique. Dans un contexte international marqué par des tensions géopolitiques importantes, la tenue du sommet pour le climat est une bonne nouvelle.

 

En premier lieu parce qu’en la matière, il n’y a pas d’issue sans un multilatéralisme volontariste. Mais également parce que le nouveau président des États-Unis semble décider à prendre à bras le corps la question du climat, à travers autre chose que des discours.

 

Il est d’ailleurs intéressant ici de faire une incise pour insister sur le tournant au sein de la famille sociale-démocrate que constitue ces premières décisions de Biden. Il faut pour cela remonter à la fin des années 1970 et au début des années 1980. A l’époque, Jimmy Carter est Président démocrate des États-Unis. Depuis le début des années 70, le rapport Meadows sur « Les limites de la croissance » infuse alors dans les milieux de Gauche, en même temps qu’il contribue à structurer la réflexion économique et sociale de l’écologie politique naissante. Le risque de dérèglement climatique, la dépendance au pétrole, encore d’avantage après les chocs pétroliers, conduisent le Président Carter à aborder la question écologique. Il fera même installer sur le toit de la maison blanche des panneau solaires. Suite à sa défaite en 1980 face à Ronald Reagan, dont le premier geste sera d’ailleurs de faire démonter lesdits panneaux, une doctrine ultra-libérale se répand. Combinée au « règne » de Margaret Thatcher en Grande-Bretagne, la social-démocratie mondiale est secouée. 

 

C’est dans la même période qu’en France, François Mitterrand consentira au « tournant libéral » de 1983. Le Vice-Président de Carter, Walter Mondale, récemment disparu, sera balayé par Reagan en 1984 qui gagne un second mandat et consacre ainsi le leadership du tropisme ultra-libéral. Mondale, dans le sillage de Carter, faisait partie de l’aile progressiste du Parti Démocrate. Sa défaite sévère face à un Reagan champion du libéralisme décomplexé va créer une onde de choc dont les retombées seront durables.  Pour donner suite au déclin de l’Union soviétique puis à sa chute en 1989, et aux triomphes des théories sur la fin de l’histoire » le libéralisme va progressivement étendre son hégémonie idéologique et finir de convertir les « gauche de gouvernement » occidentales aux normes libérales sur les questions de fiscalité, de dépenses publiques et de non-régulation de l’économie de marché. Au sein du Parti démocrate américain, l’un des acteurs de cette conversion était … un certain Joe Biden. 

 

Dans les années 90 et 2000, en Europe, sous couvert de « pragmatisme », cette évolution est consolidée par Tony Blair et Gerhard Schröder. En France, le Parti socialiste ne sera pas en reste, mais avec un décalage dans le temps dans la mesure où Lionel Jospin n’embrassera pas cette dérive… Je pose, en les simplifiant, ces éléments pour montrer que le changement de doctrine amorcé par le « nouveau » Biden n’est pas anodin au regard de l’histoire de la Gauche ces dernières décennies. Cela permet aussi de rappeler un aspect trop peu analysé : Le virage en direction d’une économie libérale brutale à partir du début des années 80 a aussi consisté en un déni violent des enjeux écologiques de la part des forces politiques dominantes de l’époque. D’une certaine manière Biden vient refermer l’ère libérale dont il était un des témoins privilégié… 

 

 Mais l’enthousiasme qui nous gagne à suivre les évolutions de Biden ne doit pas nous masquer la complexité de la période.  Le moment demeure très incertain. La relance économique en cours est dopée au carbone : les émissions sont sensiblement reparties à la hausse et les plans de relance loin de se défaire de la gangue productiviste classique, visent d’abord à sauvegarder des points de croissance à tout prix. En France par exemple les finances publiques ont davantage préservé les industries polluantes qu’elles n’ont été mobilisées pour investir dans la transition écologique de l’économie. C’est pourtant ce qu’il faudrait faire pour sauver le climat et la biodiversité, et prévenir des pandémies futures, aussi graves voire davantage encore, que celle que nous traversons avec l’angoisse de se demander si nos vies retrouveront réellement leur cours. 

 

Les choix budgétaires, donc politiques, opérés, visent encore trois souvent, en réalité, à préserver un modèle qui s’effondre. La faiblesse de la loi climat montre que l’actuel gouvernement n’entend pas réellement faire pivoter l’ensemble de notre modèle pour engager une quelconque transition écologique. Nos désaccords ne portent donc pas uniquement sur le rythme, mais également sur l’ampleur des mutations à engager. 

 

La difficulté démocratique devant laquelle nous nous trouvons est la suivante : plutôt que d’assumer frontalement la position qui est la sienne, celle d’un statuquo teinté de vert, l’actuelle majorité prétend agir en écologiste, brouillant ainsi les lignes de compréhension du débat public. 

 

Je comprends que l’on ne soit pas d’accord avec ce que portent les écologistes. Après tout il n’y a pas si longtemps que le consensus s’est fait pour accepter la justesse des alertes que nous portons depuis toujours. Il n’est donc pas étonnant que des courants politiques anciens aient du mal à se saisir de toute la panoplie des solutions que nous proposons. Et j’admets bien volontiers que ces changements soient d’une importance suffisante pour poser question et alimenter des réserves. Le projet écologiste remet en question les « racines » du modèle actuel dit « de développement », construit sur la croyance dans un « progrès » indexé sur la capacité de prédation sur l’environnement, les ressources naturelles, la capacité de production de biens matériels et la promesse intenable d’émancipation par la capacité de consommation sans limite. 

 

Le basculement philosophique à accomplir est d’ordre civilisationnel et s’inscrit nécessairement dans le temps long de la vie des peuples. L’urgence commande certes que les consciences s’éveillent plus rapidement, mais la maturation politique d’une société ne se décrète pas, elle se construit, notamment par les voies du débat politique. 

 

Ce que j’accepte moins, c’est le saccage de l’intelligence collective commis par celles et ceux qui embrouillent à dessein la compréhension des enjeux, pour faire accroire que les faibles politiques qu’ils proposent y répondent. Le greenwashing permanent mené par LREM est à la fois une atteinte portée à la sincérité du débat public et un mauvais coup porté à la planète.

 

L’heure est à la clarté, et plus aux doubles discours. Il était facile de se gargariser d’être plus vert que Donald Trump. Qui ne l’était pas ? Donald Trump a joué un rôle de « bad guy » idéal pour les cyniques qui, à bon compte, ont pu se faire passer pour les champions du monde vert. A ce jeu, Emmanuel Macron a fait preuve d’une redoutable habileté à coup (et à coût…) de marketing. Entre les « Make our planet great again » et autre « One Planet summit » en anglais pour bien faire comprendre à qui il se comparait. Trump parti, demeure la question de fond. Que faire pour sauver le climat ? A l’échelle européenne, c’est peu dire que le green new deal sort affaibli des dernières séquences. Si dans un premier temps, la pandémie a semblé généré une aspiration à changer de modèle avec les « plus jamais ça » et les « nouveaux mondes », le risque est désormais que la rivière retourne dans son lit et que soit renforcée la tentation du conservatisme. 

 

Et réside ici un double péril que je me dois de détailler.

 

Le premier péril, que je qualifierais de « conservatisme de Droite », est un retour rapide aux règles d’austérité qu’affectionnent de manière pavlovienne des institutions qui demeurent puissantes en Europe. À l’image de la cour de Karlsruhe, le conseil constitutionnel allemand, qui a tenté d’empêcher le Parlement allemand de valider l’accord interinstitutionnel auquel est indexé le plan de relance européen. Par ailleurs, le « semestre européen », qui impose des règles budgétaires contraintes aux États a certes été mis en sommeil pendant la crise, mais de nombreux « princes charmants » se pressent à son chevet, empressés de le réveiller… Mais à côté de cet attachement insensé à une rigueur budgétaire dans un contexte de crise majeur combiné à un besoin inédit d’investissements pour changer de modèle économique, des acteurs puissants agissent pour entraver une fiscalité plus juste. 

 

Rappelons qu’une bonne fiscalité sert deux fonctions principales : incitative et redistributive. Pour faire simple, elle a donc vocation à réguler les pratiques et les profits qui desservent l’intérêt général en les fiscalisant beaucoup, tout en favorisant les activités vertueuses en les fiscalisant peu. C’est la fonction incitative. Elle a aussi vocation à prélever aux plus riches pour permettre de garantir aux plus fragiles des perspectives de vie. Voici pour sa fonction redistributive. Or, cette fiscalité juste est aujourd’hui entravée par les paradis fiscaux qui ont développé leur modèle économique sur le moins disant fiscal pour le plus grand profit d’entreprises et d’individus sans foi ni loi qui échappent ainsi à l’impôt, et au détriment des autres États notamment européens qui voient ainsi des recettes fiscales légitimes leur échapper. Pour pallier ce phénomène, les Verts proposent depuis longtemps de pourchasser ces paradis fiscaux. L’un des moyens pour le faire est d’augmenter le taux minimum d’imposition dans tous les états. Ainsi, les fugitifs de la fiscalité ne trouveraient plus de terres d’asile pour mettre leurs lingots mal acquis à l’abri. Par ailleurs, je me bats au sein de la commission budget du Parlement européen pour que l’Union européenne créé de nouvelles ressources propres, en prélevant ceux qui aujourd’hui échappent à l’impôt : Taxe sur les transactions financières, GAFAM, taxe carbone aux frontière, kérosène, etc. etc.

 

Dans le camp des plus conservateurs, la France et son Ministre de l’économie, Bruno Le Maire, tiennent une place centrale. Que ce soit sur l’instauration d’un taux d’imposition minimum à l’échelle européenne ou mondiale qu’il ne soutient pas, sur la question de la transparence fiscale qu’il combat au Conseil, ou sur la création de nouvelles ressources propres qu’il ne conçoit que dans leur version les moins ambitieuses. La France, dans ce moment particulier qui voit s’étioler et faiblir l’attachement à certains dogmes que l’ultra-libéralisme dominant des années 80 était parvenu à inscrire dans l’ADN qui régit les « lois de l’économie » mondiale et européenne depuis 50 ans, joue à contre-courant de l’Histoire. Alors qu’une volonté balbutiante de régulation de la financiarisation de l’économie mondialisée apparait, la France n’est pas au Rendez-Vous. Pire, elle ânonne les mantras obsolètes dont les autres puissances, dont les États-Unis, commencent à revenir.

 

 

Néanmoins, sous l’impulsion nouvelle des États-Unis, le keynésianisme reprend des forces. Ainsi, le rapport de force intellectuel et politique semble pencher en faveur d’une logique d’investissements massifs. Mais l’affaire n’est pas pour autant assurée, car réside ici un deuxième péril, que je qualifierais de « conservatisme de Gauche » … En effet, on sent bien que le réflexe le mieux partagé en Europe, est la relégation de la question écologique au second plan. Y compris dans le camp de la Gauche traditionnelle où la tentation est, certes, de consentir à une plus grande souplesse budgétaire, voir à un aggiornamento fiscal, mais au service de la régénération du modèle productiviste classique. Le retour d’un « compromis fordiste » old school qui ne reverrait pas de fond en comble sa logique et reconduirait celle d’une relance de la consommation à base de fossile serait un recul catastrophique. Une telle erreur, grave, profonde, fondant un mauvais compromis entre austérité et relance à l’ancienne, pourrait durablement éloigner l’Union européenne de la scène où se joue l’Histoire de notre planète. De ce point de vue, l’espoir ne peut pas venir des seuls USA. D’autant moins que la vision de Biden n’est pas complètement exsangue d’ambiguïté sur l’ambition de changement de modèle. 

 

L’Europe doit assumer un nouveau leadership économique, écologique et social qui propose un nouvel horizon de développement pour l’humanité. La bonne dynamique actuelle des Grünen semblent indiquer que l’idée d’une chancelière écologiste n’est plus un horizon inaccessible. Les Verts français et allemands peuvent avoir des nuances sur le fond, surement d’avantage que ce que je voudrais admettre, mais assurément bien moins que ce que les « observateurs » indiquent parfois de manière caricaturale. Nos différences sont surtout liées à nos approches institutionnelles qui sont par nature différentes en Allemagne et en France où les fonctionnements démocratiques ne sont pas comparables (Je reviendrais dans un prochain billet sur cette question spécifique). Mais disons les choses clairement : notre destin européen dépend en partie de la capacité des écologistes français et allemands à se hisser au pouvoir dans une synchronicité bienvenue. 

 

Imaginons un seul instant ce que donnerait un couple franco-allemand agissant de concert pour la transition écologique européenne. Cette perspective pourrait permettre d’insuffler une dynamique nouvelle par laquelle la concurrence pour le leadership planétaire serait désormais mesuré à la place prise par les différents acteurs dans la lutte contre le dérèglement climatique. Voilà la perspective qui doit nous guider. 

 

A ce stade la possibilité de victoire est plus nette à Berlin qu’à Paris, je le concède. Mais le paysage politique hexagonal est beaucoup moins stable que ce que laisse apparaitre la lecture hâtive et parcellaire des enquêtes d’opinion. Pour employer une métaphore vieille comme la pluie : le pays se cherche. Je gage que l’écologie peut lui fournir une issue. 

 

Encore faut-il que nous réussissions à ne pas gâcher l’opportunité qui s’offre à nous. Cela demande d’abord de comprendre que ce qui a permis aux écologistes d’apparaitre comme une force crédible alors que nous étions donnés pour morts, c’est le talisman de l’unité et la boussole de la clarté. En tant que secrétaire national, j’ai tout fait, tout au long de mon mandat pour que les talents individuels puissent éclore sans porter préjudice au collectif. L’averse drue des critiques qui se déversent sur nous doit nous conduire à conserver esprit d’équipe et loyauté.  

 

La deuxième condition de notre réussite est plus politique encore : nous ne devons rien abjurer de l’originalité écologiste, ni de notre volonté que la matrice intellectuelle verte soit désormais cardinale. Pour construire les alliances nécessaires à la victoire, nous devons assumer d’être le courant politique le mieux armé non seulement pour répondre aux enjeux de la survie de l’humanité, mais aussi pour proposer un imaginaire et une action qui répare une société et une planète abimée, protège les citoyennes et les citoyens des menaces qu’impliquent la crise systémique, et prépare aux enjeux et aux mutations nécessaires des temps qui viennent. La question du climat ne peut être considérée comme seconde, voire secondaire. La crise écologique de notre modèle de production encapsule toutes les autres et détermine notre avenir commun comme aucune. 

 

La troisième condition est psychologique : nous devons désirer la victoire. Et donc quitter les réflexes de supplétifs. Nos idées doivent désormais être mises en œuvre. Et c’est à nous qu’il revient, en toute logique de le faire. 

 

L’idée que d’autres s’en chargeraient à notre place a vécu. Il n’est que voir le peu d’allant du président Macron sur les questions écologiques pour s’en convaincre. Son intervention préenregistrée lors du sommet climat d’hier n’était clairement pas à la hauteur de la situation. Parce que les engagements de la France ne correspondent pas à l’urgence écologique. 

 

A l’heure ou Biden relance l’idée, simple mais trop longtemps oubliée par le camp du « progrès », du volontarisme politique, ni la France ni l’Europe ne doivent céder aux sirènes du renoncement.

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