Déja-vu

N’en déplaise à celles et ceux qui refusent de se rendre à l’évidence, la pandémie mondiale et son cortège de conséquences sont les enfants de la crise écologique. Et cette crise écologique provient bien de l’actuel modèle de développement basé sur l’exploitation et la destruction sans limite des ressources naturelles et du vivant. Les grandes questions de notre temps se présentent sous forme de poupées russes : chaque dimension de la crise est contenue dans la précédente, et possède ses caractéristiques propres dans le même temps où elle présente des ressemblances avec la précédente. Voilà pourquoi il est non seulement vain, mais également néfaste de dé-corréler la question de la lutte contre l’effondrement écologique et la question des justices, qu’elles soient sociale ou démocratique. La crise du modèle économique avec ses conséquences sociales, et la catastrophe écologique, sont les deux faces d’une même pièce.

 

Les soubassements géologiques de l’économie ne peuvent être ignorés. Sa financiarisation à outrance et sa dématérialisation supposée ne font pas disparaitre notre dépendance aux énergies fossiles. Le nouvel âge du capitalisme ne s’est pas émancipé du modèle extractiviste. Au contraire. Alors plus que jamais, nous devons penser le dépassement des logiques productivistes. Ce qui implique de ne pas se cantonner à une réflexion sur « comment », mais d'embrasser aussi les remises en cause du « pourquoi ». Nos systèmes et nos modes de production sont bien sûr un sujet fondamental, mais la question de ce que l’on produit, autrement dit la question de l’utilité sociale et environnementale des productions, reste trop souvent hors du focus du débat politique. L’écologie politique pose ces questions essentielles.

 

Aux enjeux précédemment évoqués, s’ajoute la modification profonde du travail. Nous le savons, nombre de questions fondamentales liées au travail : la manière dont on le définit, dont on le répartit, dont on le pratique, et dont on le rémunère ont toujours relevé du rapport de force. Dans les rapports de domination, cette et ces questions du travail sont centrales. Or ce que l’on observe est que la dérive économique à l’œuvre « ubérise » le travail, en même temps qu’elle supprime de l’activité. Le modèle rêvé des nouveaux dominants n’est plus seulement de bénéficier d’une main d’œuvre au meilleur prix possible avec des travailleurs et travailleuses sans droits ; mais également de se débarrasser de cette main d’œuvre : une agriculture sans paysannes ni paysans, une industrie sans ouvriers, un commerce sans commerçants, des services publics sans agents publics…

 

Ce modèle économique, dont les « lois » ne sont votées par personne mais qui devraient pourtant s’imposer à nous sans débat ni discussion, est une aberration et on conçoit mal comment il peut encore avoir des partisans. Il impose pourtant encore son empire dans les politiques publiques.

 

En témoigne le plan de relance dont Bruno Le Maire se fait ces jours-ci l’apologue. Loin de résoudre les problèmes qu’il prétend soulager, il est gros de malheurs futurs. Pour une raison simple : les fondamentaux dont il est issu reposent sur une vision du passé. Ils sont ceux qui nous ont mené dans la situation de crises que nous connaissons. Par exemple sous prétexte de relance économique, le plan de Bruno Le Maire arrose abondamment des entreprises fortement émettrices de carbone, alors même que tout devrait être mis en œuvre pour tenir des objectifs de réduction des émissions conformes aux recommandations du GIEC. L’idée est clairement de relancer la croissance, quoi qu’il en coûte… à la planète !

 

Le problème est que notre seuil d’endettement écologique est depuis longtemps dépassé, que l’avenir ne fait pas crédit et que la Nature ne négocie pas. Mais pris dans les rets de son orthodoxie libérale, le gouvernement ne sait pas penser une sortie de crise qui soit autre chose qu’un retour aux vieilles recettes. Si le mot de green-deal effleure leurs lèvres, les fondamentaux qu’il implique ne pénètrent pas les têtes pensantes de la majorité actuelle. J’ai évoqué dans une note précédente les premiers pas de l’Administration Biden. Sa politique économique et fiscale volontariste semble se détourner des mantras libéraux jusqu’alors à l’œuvre, comme la théorie du ruissellement. Il reste à mesurer dans quelle mesure la question écologique et de la lutte contre le changement climatique est pleinement prise en charge par ses nouvelles orientations. Mais il est déjà avéré que la question sociale et celle de la lutte contre les inégalités sont centrales pour le nouveau Président des États-Unis d’Amérique.

 

A rebours du pari de Biden, il semblerait que l’option politique choisie en France ait été puisée dans les fonds de cuve frelatés des taverniers libéraux. Parfois, quand le vin est tiré, il faut pourtant refuser de le boire. Je passe rapidement sur le rocambolesque et sinistre épisode de la position française en matière de lutte pour (ou devrais-je écrire contre ?) la transparence fiscale en Europe directement tirée d’une note du Medef, mais personne ne pourra feindre d’ignorer que c’est un mauvais coup porté à l’ambition de lutte pour une plus grande vigilance contre l’évasion fiscale.

 

J’ajoute rapidement également, que, toujours en Europe, Bercy combat les projets de fiscalité juste et propose des taux de taxation ridiculement bas pour les GAFAM. Le même Gouvernement français fait obstacle à une juste taxe sur les transactions financières, et traine les pieds pour soutenir un taux d’imposition minimum mondial des entreprises pour lutter contre les paradis fiscaux.

 

Pour faire bonne mesure, Bruno Le Maire, d’interview en interview, annonce d’ores et déjà les épisodes à venir : l’austérité, les coupes dans les dépenses publiques alors même que la pandémie en cours à montré que notre résilience dépendait en bonne partie des services publics, et au bout du chemin le sacrifice des plus vulnérables sur l’autel d’une croissance introuvable.

 

On résume. On nous vend à mots à peine couverts la mise sur pause d’une volonté climatique jamais amorcée parce que ce serait ce que commande la raison économique et ce que demande le peuple. « Ma bonne dame, il faut choisir entre l’écologie et l’économie sinon ce sera une catastrophe pour l’emploi et la question sociale ». Puis on nous annonce en filigrane que demain la question sociale sera soumise à la logique austéritaire pour ne pas vider davantage les caisses de l’État parce que « Mon bon monsieur, une dette ça se rembourse voyez-vous l’argent ne tombe pas du ciel ». Enfin, on nous expliquera par contre qu’une politique fiscale plus exigeante vis-à-vis des plus riches pour renflouer l’État n’est pas envisageable, parce que « Voyons, jeunes gens, il ne faut pas faire fuir ceux qui font l’économie. ». On connait d’avance les trois temps de la valse. Tout cela sera avancé avec un air étranglé d’évidence et l’air supérieur qui n’appartient qu’à ceux qui ont pourtant pris, avec la constance aveugle que seule l’arrogance de ceux qui ne payent jamais les conséquences de leurs actes autorise, des mauvaises décisions dont les engrenages constituent la mécanique implacable du chaos à venir. Comme dans « Un jour sans fin », mais en beaucoup moins drôle, on nous proposera les mêmes solutions qui conduiront aux mêmes impasses. Triste déjà-vu.

 

Face à cette répétition sans fin des mêmes erreurs, non seulement l’écologie est la voie qui permet de sortir d’un dogme du productivisme libéral, mais elle permet surtout de redonner du sens à une économie devenue punitive. Punitive pour la planète, pour la plupart des entreprises, pour les salarié.e.s, pour notre santé, bref, une économie qu’il est urgent de remettre à l’endroit.

 

Qu’il nous soit donc permis de fourbir nos arguments pour dénoncer cette mascarade et chercher à forger une autre issue politique. A Bruxelles comme en France pour les élections régionales, les écologistes présentent une autre cohérence, où respect de la justice sociale et lutte pour la sauvegarde du climat sont les piliers d’un modèle respectueux de la planète et de celles et ceux qui la peuplent.

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