L’Europe est un combat.
Les uns l'accusent de tous les maux. Les autres la parent de toutes les vertus. La vérité est que l'Union Européenne est un combat permanent. L’accabler sans mesure ou l’encenser sans critique, sont deux postures opposées mais qui se fondent sur renoncement commun. Dans les deux cas, on postule en effet que l'Europe serait pour ainsi dire à prendre ou à laisser, en l’état. Défendre cette thèse de l'intangibilité de la règle du jeu européenne, c'est imaginer que le peuple n'a ni le droit ni le pouvoir de reprendre le destin européen en main. Tout en moi, dans mes convictions et ma motivation, s’oppose à cette fatalité. Je n'ignore pas que l'Europe demeure une démocratie inachevée. Mais l'Union Européenne est à nos yeux le cadre nécessaire pour permettre une réorientation du cours du monde. Elle est notre horizon, non pas comme une gangue qui limiterait la volonté politique, mais bel et bien comme un outil dans nos mains. L'Europe est décisive pour que nos luttes débouchent sur la transformation radicale des systèmes qui nous mènent à la catastrophe environnementale et à l'indignité sociale.
Ces jours-ci, la question européenne a ressurgi dans le débat politique national à la lumière des discussions politiques qui ont conduit à l'émergence d'une coalition de la gauche et des écologistes pour les législatives à venir. Que l'Europe attire l'attention des commentateurs et commentatrices est une très bonne nouvelle. L'Europe n'est pas une langue morte mais une matière vivante, et je souhaite que les débats qui portent sur elle habitent le plus possible l'espace public. Et ce d'autant plus que nous sommes en pleine présidence française de l'Union, et que lundi 9 mai nous célébrerons la journée de l'Europe.
Les communiqués communs diffusés ces jours-ci sont la matérialisation du rapport de force politique de l'instant. Ils éclairent sur les conditions du rassemblement et informent les citoyennes et citoyens sur la ligne générale de la coalition. Il ne faut d'ailleurs pas faire dire davantage à un texte que ce qui y est écrit, sous peine que la volonté d'extrapolation l'emporte sur la justesse de l'analyse. Mais il ne faut pas davantage minorer avec cynisme les textes qui ont permis à la nouvelle alliance populaire écologiste et sociale de voir le jour, sous prétexte qu'ils ne serviraient qu'à rassembler une coalition électorale. J'écris donc ici, sur le sujet de l'Europe, pour répondre aux interrogations de bonne foi, comme aux mensonges énoncés par nos adversaires dans le but de nous décrédibiliser en affirmant que nous aurions sacrifié nos convictions européennes sur l’autel de l’électoralisme, en signant un texte qui contient le concept de désobéissance.
Il n'y a pourtant rien de neuf sous le soleil : depuis toujours les écologistes défendent la construction européenne. Et depuis toujours ils cherchent à en réorienter le cours, parce que les politiques conduites et les traités en cours ne nous conviennent pas, notamment en raison de leur orientation trop néolibérale. La réalité c'est que nous refusons d'exposer l’Union européenne à la colère des peuples par faiblesse face aux logiques mortifères de la mondialisation libérale. La critique des insuffisances européennes ne doit pas être confisquée par les ennemis de l'Europe. Raison pour laquelle, après le référendum de 2005, nous avons refusé de laisser naître une fracture irréversible au sein des pro-européens, entre celles et ceux qui avaient voté non par crainte de la constitutionnalisation de la concurrence libre et non faussée, et celles et ceux qui avaient voté oui par crainte d'un recul de la construction européenne. Notre liste de 2009 était d'ailleurs une liste de dépassement des clivages entre les partisans du oui comme Dany Cohn-Bendit et les tenants du non de gauche pro-européens comme José Bové. La crise financière de 2008 a aidé à faire tomber des barrières en montrant bien les dangers de la financiarisation de l'économie. Il était de salubrité civique d'agir pour ce dépassement, quand d'autres préféraient théoriser au contraire une césure irrémédiable.
Face au risque d'une involution politique, Europe Écologie est née de la volonté d'agir pour que le centre de gravité du camp de l'alternative soit pro-européen et écologiste. Nous avons mené ce travail, et nos parlementaires européens de l'époque ont démontré combien l'Europe était centrale pour nous.
Les européens de façade qui nous cherchent aujourd'hui querelle étaient bien silencieux alors pour défendre une autre Europe : et pour cause, ils étaient les meilleurs gardiens d'une orthodoxie libérale dont ils entendaient faire la loi suprême de la construction européenne. Ainsi, quand Eva Joly luttait contre les paradis fiscaux et interpellait Jean-Claude Juncker, nos adversaires mettaient genoux à terre devant l'évasion fiscale. Les mêmes menaçaient l'Europe en cassant le bras d’Alexis Tsipras et du peuple grec en imposant de mener une politique contraire à celle pour laquelle il avait été élu et en les obligeant à se soumettre aux injonctions de la troïka. Ces année-là, la gauche française au pouvoir, qui aurait pu, qui aurait dû être une alliée naturelle de la Grèce, choisissait de détourner les yeux du massacre en cours. Parce que la France a refusé de jouer son rôle, le camp « pro-européen » par son intransigeance et sa brutalité a défiguré l’Europe en lui faisant prendre le visage de domination aveugle et méprisante. A cet instant, s'est trouvée délaissée la promesse initiale de « paix et de prospérité », mais aussi de démocratie et de solidarité, qui accompagnait l’union européenne. Les « men in black » de la Commission ont semblé n'avoir pas d'autre agenda que celui de soumettre un peuple qui voulait mener une politique dont le but n'était pas de plaire aux marchés, mais de résoudre les maux qui touchaient la population. Ils prétendaient agir au nom de la sauvegarde de l'Europe. Mais pour notre part, en tant qu’européens, à l'opposé de leur récit mensonger, nous nous sommes sentis faisant partie de la même communauté de destin que le peuple grec devenu peuple frère. Un sentiment profond de solidarité et d’empathie vis-à-vis de peuple grec nous a étreint. Pour beaucoup d’entre nous, nous nous sommes identifiés à eux et avons vécu par procuration l'humiliation qu'ils ont vécu quotidiennement. Nous n'avons pas supporté ce qui leur était infligé soi-disant en notre nom.
L'Europe porte encore les stigmates de cette trahison : le sentiment anti-européen ne cesse de croitre, porté par l'idée qu'il n'y a pas d'autre Europe possible. C'est notamment pour combattre la résignation et l'abattement des pro-européens, qu'en 2018, Julien Bayou signait un ouvrage sur la question de la désobéissance européenne. Parler de désobéissance, sous sa plume, c'était notamment appeler à sortir du carcan du pacte de stabilité qui étouffait l'Europe sous une loi d'airain, aussi stupide qu'injuste. On peut ne pas souscrire à toutes les thèses qui sont défendues dans ce livre, mais comment affirmer que ce texte, qui est celui d'un européen ardent n'est pas un plaidoyer pour l'approfondissement de la construction européenne ?
Notre ligne n'a pas changé et ne changera pas. La campagne que nous avons conduit en 2019 disait-elle autre chose que notre volonté de changer l'Europe pour sauver le climat ? On découvre que nous avons des désaccords avec les traités actuels ? Nous n'avons cessé de les affirmer, et avons même proposé sous l'impulsion de ma collègue Marie Toussaint un Traité Environnemental qui s'imposerait aux autres traités, pour qu'enfin la préservation de l'environnement l'emporte sur la recherche du profit.
Depuis, la crise du COVID puis la guerre en Ukraine ont balayé d’un coup toutes ces règles dont on nous disait qu’y renoncer déclencherait l'apocalypse. L’Europe a dû adopter, à la hâte, des mesures que nous préconisions parfois en vain depuis des années. Si le réel, c’est quand on se cogne, les libéraux ont le front constellé de bosses. A l'épreuve des crises, les critères de stabilité, la réduction des dépenses publiques, bref, toutes ces fadaises jadis élevées au rang de Loi des lois se sont révélées incapables de répondre aux chocs successifs auxquels notre continent est confronté.
Si je rappelle ces éléments, c'est parce que l'accord passé avec la France insoumise s'inscrit dans une histoire longue. Qui a suivi l'évolution des positions des uns et des autres comprendra que l’esprit et la lettre et l’esprit de cet accord ne constituent aucunement une dérive des écologistes et de la gauche française vers l’euroscepticisme. C'est l’inverse. En travaillant à refermer le schisme des gauches sur la question de l'Europe cet accord entérine le fait que l'Europe est bel et bien notre horizon politique. Les Verts français, dont le nom, Europe Écologie - Les Verts, ne vient pas de nulle part, jouent dans cette affaire le rôle historique que nous nous sommes assigné : être à la fois les plus déterminés sur les questions européennes et la force motrice de la transition écologique. Si nous avions réussi la présidentielle, la démonstration serait plus claire car notre influence serait plus forte.
Mais la vérité est que le centre de gravité de l'accord sur les questions européennes clôt un cycle politique où le parti socialiste se contentait d'obéir aux règles sans vouloir les changer et où les partisans du non de gauche en étaient réduits à faire planer la menace de renverser la table au risque de jeter le bébé avec l'eau du bain. Il faut se féliciter que la France insoumise, qui est l'héritière d'un Parti de Gauche fondé sur la lancée du non de gauche de 2005, réfute désormais l'idée des gauches irréconciliables sur l'Europe, et abandonne de fait son concept de « plan A / plan B », se rapprochant ainsi de l'idée que c'est bien dans le cadre européen qu'il faut mener bataille.
L'alliance en cours permet un aggiornamento pro-européen : la France, et notamment sa part progressiste, est de retour pour peser sur le destin de l’Europe. Notre constance et notre cohérence payent : parce que nous avons maintenu contre vents et marées une position pro-européenne critique, nous avons permis que la pièce retombe du bon côté.
On ne trouvera pas chez nous de foucade anti-allemande, ou de sentiment européen honteux. Nous sommes européens et fiers de l'être.
Avons-nous en quelques jours réglés tous les problèmes ? Loin de là. La vie est plus large que les plis et replis du texte d'un accord. Mais l'essentiel est ailleurs. Notre pari est le suivant : persister dans l'affirmation de notre identité européenne et écologiste décomplexée pour permettre à toutes et tous, et en particulier aux jeunes générations d'inscrire leur envie de changement dans le cadre de la nécessaire transmutation politique de l'Europe. La réalité, c'est que l'union est un combat. Tout comme l'Europe. Et que nous veillerons que la première soit au service de la seconde.
On nous reproche notre réalisme? La « realpolitik » n’a pas forcément vocation à toujours habiller le renoncement. Elle peut aussi, réinventée, constituer pour une fois un levier utile pour décupler le rapport de force dont nous avons besoin. Les mêmes qui vantent habituellement les louanges de l'esprit de compromis s'étonnent soudain que les négociatrices et négociateurs des deux forces aient cherché les voies d'une synthèse dynamique. Qui veut l'union la cherche. Et parfois la trouve. La nouveauté qui s'avance est annonciatrice de tous les possibles, y compris de bonnes surprises. Il nous fallait dépasser nos divergences et nos discordes pour forger un front commun. C'est chose faite. Il nous faut maintenant défaire les forces du statu quo qui déjà mettent toute leur énergie à affaiblir la coalition inédite qui ambitionne de les renverser. Ainsi s'explique leur émoi : ce n’est pas l’Union Européenne que notre rassemblement menace, mais bel et bien leur domination sur la construction de l'Europe que nous dérangeons. C’est évidemment très différent. Eux l’ont parfaitement compris. Je forme donc le vœu que toutes les européennes et européens de cœur, de raison et de tripes le comprennent également. Si nous nous saisissons de l'opportunité historique qui nous est offerte, nous serons en mesure de jouer un match décisif pour l’avenir de l’Europe.