Vouloir gagner.

Les diseurs de mauvaise aventure qui prétendent que tout est déjà perdu doivent être pris pour ce qu’ils sont : des agents de malheur. Et ne leur en déplaise, à l’heure où s’ouvre la campagne présidentielle, les écologistes peuvent incarner une alternative. Plus encore, ils le doivent. On dira que je pratique la méthode Coué. Faux. Je porte juste la conviction que quand le désespoir nous soufflette au visage, tendre l’autre joue n’est pas une solution. La mobilisation de toutes nos facultés est préférable : l’intelligence doit fixer un cap, le courage doit habiter nos actes, la détermination doit permettre d’entrainer jusqu’aux sceptiques.

Je n’ignore rien des difficultés de la période, à commencer par la domination médiatico-culturelle d’un bloc d’extrême droite dont la compétition interne est source de dynamique. Mais si pour l’heure le pays semble stagner en eaux saumâtres, les conditions d’un réveil ne sont pas inatteignables. J’en vois trois.

La première condition relève de notre capacité à saisir l’état de la société. Ne sous-estimons pas son état de maturation. Les grands changements s’appuient toujours sur une nécessité qui chemine dans les consciences jusqu’à devenir absolue. Ici, la question de l’augmentation du prix des matières premières, couplée à celle des pénuries, met à jour l’épuisement d’un système autant qu’elle met à vif les nerfs de celles et ceux qui subissent de plein fouet le renchérissement de la vie quotidienne. Elle est le sel sur la plaie des injustices sociales. Les questions mises sous le boisseau par le gouvernement qui pensait en avoir fini avec celles-ci le rattrapent. Aucune couche sociale n’est épargnée. Les plus démunis, qui avaient déjà payé un tribu plus lourd que les autres à la pandémie, ont été frappés les premiers et le plus durement comme toujours. Leur porte-monnaie vide encore plus tôt dans le mois est la plaque sensible de leur souffrance. Le bloc central que l’on nomme les classes moyennes, vit par procuration les mêmes inquiétudes. Moins directement frappés, des millions de nos concitoyennes et concitoyens n’en sont pas moins affectés. Financièrement parce que leur pouvoir d’achat en prend un coup. Psychologiquement parce que les lendemains ne risquent guère de chanter autre chose que le cantique de la crise. Pour cette partie de notre peuple c’est d’abord le superflu qui saute. Mais le superflu, c’est précisément la promesse ultime de la société de consommation : la possibilité de se faire du bien en utilisant sa carte bleue, de compenser la perte de l’être par l’illusion de l’avoir.  Quand cette compensation n’est plus possible, le risque, c’est la décompensation. Un vent de morosité souffle sur le pays.  Cette tristesse est grosse de colères plus sourdes, plus anciennes. Comme dans une rupture amoureuse, c’est le sentiment d’avoir été dupé qui est le plus dévastateur. 

D’une certaine manière, nous vivons une « gilet-jaunisation » de l’imaginaire collectif. Les tensions vont gagner en vigueur. Je ne m’en réjouis pas, parce que je désire de l’apaisement pour la nation France.  Mais faute d’avoir anticipé cette situation, et d’avoir accumulé de la crédibilité sur sa bonne volonté sociale, le gouvernement est incapable d’émettre le moindre message fédérateur et rassurant. Ventre affamé n’a point d’oreille, mais cœur trompé n’a plus de patience. Comme dans le même temps la préoccupation des salaires revient bien entendu sur le devant de la scène, les plus favorisés, eux, auront le choix entre deux attitudes : la solidarité ou la tentation du repli.  Si bien que le sujet, du niveau de partage et de redistribution nécessaire à la concorde sociale sera bientôt un sujet central. Il revient aux forces politiques de se mettre au diapason des préoccupations et de formuler les propositions programmatiques susceptibles de faire reculer le doute. Il n’y a ici rien d’impossible pour qui prend au sérieux le niveau de douleur et de désespérance vécues. C’est la base sans laquelle aucune perspective de changement ne sera ni audible ni crédible. Encore faut-il être clair, et refuser d’opposer, comme le font les forces du passé, les enjeux sociaux et les enjeux environnementaux. Ils sont les deux versants d’une même problématique. On peut ne pas partager cette opinion : à droite comme dans une partie non négligeable de la gauche, on continue à penser ce qui se joue à la COP d’une part, et les sujets sociaux d’autre part. Et au fond, on tente d’opposer les « bobos » préoccupés par l’environnement, et les classes « populaires » concernées par leur pouvoir d’achat. Mais vouloir disjoindre environnement et social c’est se condamner à échouer sur les deux versants. À la vérité, le moment vécu par des millions de personnes mêle les deux sujets : si le camp de l’alternative sait synchroniser son tempo sur celui des attentes de la société, il sera mieux armé que les tenants du libéralisme à tout crin pour guérir les maux que celui-ci a engendré.

 

La deuxième condition de la victoire est politique : il faut trouver les moyens d’un rassemblement. Je serai beaucoup plus bref sur ce sujet. Ma conviction, c’est que ce n’est pas l’union qui crée la dynamique, mais bien la dynamique qui crée l’union. En d’autres termes, si la victoire est possible, elle ne découlera pas d’un accord entre appareils, mais sera la résultante de l’émergence d’un leadership politique dans la campagne qui s’ouvre. J’ai trop longtemps pensé que les oukases du Parti socialiste n’avaient pas de sens quand ils voulaient nous imposer de cesser d’affirmer notre identité distincte, pour demander maintenant à ce qui reste de la social-démocratie de se faire hara-kiri. Je pense en revanche que le temps de l’écologie est venu : la social-démocratie est disqualifiée pour gérer à nouveau le pays, faute d’avoir renouvelé sa doctrine. Le ripolinage en vert des discours ne masquera pas les impensés et les impasses d’une famille politique qui ne fait qu’accélérer sa perte de crédit en reprenant les mots des autres. À vrai dire, le débat pour savoir qui portera le flambeau de l’alternative est entre le populisme de gauche et l’écologie politique. Là encore, nos concurrents pillent à foison dans le catalogue de nos idées portées depuis toujours. Je m’en réjouis, car c’est signe que la bataille culturelle menée pour détacher des pans entiers du camp « progressiste » de sa gangue productiviste a porté ses fruits. Je vois bien l’habileté toute mitterrandienne de Jean-Luc Mélenchon qui semaine après semaine multiplie les clins d’œil à telle ou tel chez nous pour tester la solidité de notre formation politique, en décernant des brevets de radicalité. Ce ne sont plus des vielles ficelles mais des cordes usées. Ma ligne est simple : restons zen, débattons sereinement, sans chausse-trappe, et laissons le peuple trancher nos différents. Ne faisons pas de la tactique de bas étage. L’heure est trop grave pour que ce ne soit pas la clarté qui guide nos pas. L’union, cette fois, ne sera pas un combat : soit elle sera le fruit d’une dynamique telle qu’elle sera irrépressible, soit elle n’existera pas.

 

Ce qui m’amène à la dernière condition, qui au fond est la plus déterminante. Je veux parler du désir. On ne fait pas boire un âne qui n’a pas soif. Alors je pose la question. Voulons-nous réellement la victoire ? Celle-ci n’est possible que si nous nous mobilisons sans arrière-pensées. Rien n’est acquis, mais franchement rien n’est joué. La cohorte des malins qui pensent au coup d’après en se disant « 2022 c’est foutu, attendons 2027 » nous fait perdre notre temps, et met en danger plus qu'une élection : notre avenir. Je ne vise personne, mais la liste est longue dans diverses formations de celles et ceux qui au fond pensent « qu'on peut encore un peu continuer comme ça, que les législatives ne seront pas mauvaises et que la prochaine fois on gagnera ». À rebours de cette dangereuse hypocrisie, nous devons avancer dans cette présidentielle avec honnêteté, et nous y engager non pas pour faire de la figuration, mais bel et bien pour offrir un débouché politique supportable aux millions de femmes et d’hommes qui ont besoin à la fois de changer de sort individuel et d’horizon commun. Leur attente est aussi immense que le chemin, j’en conviens, semble étroit. Mais si nous retrouvons le désir de gagner, nous pourrons retrouver des chances de l'emporter. Commençons par là.

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