« Banque de l’Hydrogène » : la Commission rate la cible de la transition

La Commission européenne a présenté le 16 mars 2023 un nouveau volet de sa stratégie pour le développement de l’hydrogène dans l’Union européenne. Annoncée dès septembre 2022, la « Banque de l’Hydrogène » va donc bel et bien voir le jour – bien qu’elle n’ait de banque que le nom, et soit plutôt une stratégie d’investissement/de financement.

David Cormand avait déjà, au moment de l’annonce faite par Ursula von der Leyen, pris position sur ce sujet, en alertant sur une stratégie énergétique qui sur-investirait dans l’hydrogène. Il soulignait que cette technologie de l’énergie ne devait pas être présentée comme une solution miracle pour la transition énergétique. Ce discours est minutieusement préparé les entreprises des énergies fossiles et distillé depuis plusieurs années auprès des dirigeant·es européen·nes. Et il apparaît désormais pour ce qu’il est : un cheval de Troie du statu quo qui a pour conséquence de persister dans le soutien aux énergies fossiles, essentiellement le gaz, et au nucléaire.

En effet, bien que la Commission fasse la part belle à l’hydrogène produit à partir d’énergies renouvelables (ci-après hydrogène renouvelable), nous assistons à une tentative de développer l’hydrogène fossile (75% de la production vient actuellement du gaz) et nucléaire via l’usage d’un code couleur attractif et trompeur. Et de fait, il faudrait toute l’électricité de l’UE pour transformer la production actuelle mondiale d’hydrogène en hydrogène renouvelable. Comme nous sommes très loin d’obtenir un jour ces quantités d’énergie renouvelable, nous assurons aujourd’hui la survie du lobby gaz tout en faisant de beaux cadeaux au lobby nucléaire. Nous avions assisté à la même stratégie au moment de la définition de la taxonomie où les lobbys nucléaire et gaz, menés par la France avaient conduit à inclure le gaz et le nucléaire dans les énergies dites « de transition »… Comme si une centrale nucléaire dont le cycle de vie (conception - fabrication - fonctionnement - démantèlement) engage pour des siècles pouvait être considérée comme permettant une « transition » dont l’échéance pour la mener est, d’après les scientifiques du GIEC, inférieur à 20 ans…

Par ailleurs, de nombreux projets d’infrastructures mis en avant par la Commission visent des investissements colossaux dans des pipelines censés servir au transport de l’hydrogène, mais qui vont également, et essentiellement, bénéficier au moins dans un premier temps aux énergies fossiles puisqu’ils sont conçus pour pouvoir transporter de l’hydrogène et du gaz (blending).

On voit comment un programme censé nous sortir du fossile va aboutir à faire tout le contraire. Alors que nous devrions, et c’est l’appel lancé par les scientifiques du monde entier, stopper tout investissement dans les infrastructures conçues pour transporter des énergies fossiles, nous allons en réalité assurer un avenir serein à cette industrie grâce à l’alibi hydrogène qui tombe à point nommé.

Par ailleurs, dans le cas où ces infrastructures transporteraient uniquement de l’hydrogène, elles ne feront évidemment pas la différence entre les différents modes de production de l’hydrogène. Sous couvert de développer des infrastructures pour hydrogène renouvelable, nous pourrions finalement aboutir à transporter du gaz ou du nucléaire converti en hydrogène.

L’autre aspect problématique de la proposition pour une Banque de l’Hydrogène réside dans les montants faramineux qui sont annoncés. Ce ne sont pas moins de 800 milliards d’euros qui devraient être investis sur le continent et dans le reste du monde pour développer l’hydrogène à grande échelle, et atteindre l’objectif de consommation de 20 millions de tonnes d’ici 2030.

Cet objectif pose plusieurs questions. Tout d’abord, pourquoi 20 millions de tonnes d’ici 2030 ? Ce chiffre semble fixé de manière arbitraire. Or, en matière énergétique et industrielle, le recours à une technologie et les infrastructures que cela implique doit s’inscrire dans une stratégie globale et coordonnée.

En outre, ces 800 milliards représentent une somme considérable quand la Commission européenne elle-même estime que, pour que l'Europe devienne indépendante du gaz russe, 270 milliards d'euros d'investissements supplémentaires sont nécessaires dans l'efficacité énergétique, les énergies renouvelables (ENR) et les réseaux électriques d’ici 2030… Est-ce donc à dire que ce plan hydrogène engloutirait à lui seul 3 fois plus que la totalité de la stratégie sobriété et énergie renouvelable de l’Union ?

Enfin, l’approche « mondiale » de ce projet pose question. Développer des projets autour du globe pour assurer l’approvisionnement européen est plus que problématique. D’un point de vue pratique d’abord, il est aujourd’hui très difficile et coûteux de transporter l’hydrogène, il est instable, les quantités d’énergie utilisées pour sa conversion sont très élevées, et il existe des pertes importantes au cours du transport.

Mais surtout, de nombreuses régions du monde sont confrontées (et le seront de plus en plus) à des sécheresses extrêmes, alors que l’hydrogène nécessite énormément d’eau pour être produit. C’est le cas au Maghreb, d’où la Commission envisage d’importer de l’hydrogène renouvelable en grande quantité. Il est crucial d’avoir une approche basée sur les besoins des communautés locales, et non de renforcer un modèle post-colonial tel qu’il apparaît ici ; c’est le genre de limites que David Cormand pointait du doigt lors des discussions sur la nouvelle architecture de l’aide au développement. Enfin, créer de nouvelles dépendances énergétiques avec des pays tiers semble particulièrement malvenu alors que la priorité devrait être de développer une stratégie d’autonomie énergétique.

Il est donc à redouter que l’approche actuelle de la Commission européenne concernant l’hydrogène nous conduise aux mêmes impasses que le modèle actuel : recours au fossile et au nucléaire, dépendance à des pays tiers, prise en charge de nouvelles infrastructures coûteuses et non sélectives, mise en concurrence d’investissements avec des projets véritablement utiles pour la transition énergétique tels que les énergies renouvelables et la sobriété énergétique (isolation, transports publics, changement du modèle agricole, etc.).

Rappelons que l’hydrogène peut servir à stocker l’énergie produite à partir de renouvelables. Mais dans un premier temps, l’urgence est de démultiplier les capacités de production des ENR en Europe, pas de développer l’hydrogène renouvelable. L’hydrogène renouvelable est tellement difficile à obtenir et très coûteux à produire qu’il ne pourra tout simplement pas être gaspillé dans des usages comme le chauffage de nos maisons ou nos déplacements en voiture. Elle doit être produite uniquement dans le but de réduire les émissions des secteurs les plus difficiles à décarboner, comme l’acier par exemple, et à un niveau local.

Dans le domaine du transport, l’usage de l’hydrogène doit également être priorisé, sous réserve de faisabilité, pour remplacer l’usage des fossiles et pour les gros véhicules comme les camions. Dans le transport ferroviaire, pour éviter les fossiles sur les réseaux qui ne sont pas électrifiés.

Hélas, par ces nombreux manques et en l’absence de stratégie globale, le plan proposé par la Commission européenne pour sa Banque risque non seulement de rater la cible annoncée de la transition énergétique, mais aussi de nous faire encore perdre du temps et des moyens importants pour mener à bien un changement de modèle énergétique et industriel pourtant indispensable.

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