Quand la pollution fleurit sur les côtes normandes
Fin août, les plages de plusieurs communes de la Côte Fleurie, notamment de Deauville et de Trouville-sur-Mer ont dû être fermées à la baignade en raison du dépassement des seuils autorisés pour une bactérie, l’Escherichia coli ou E. coli.
Si le nom de cette bactérie ne vous dit rien, peut-être vous souvenez-vous que c'est elle qui a été incriminée dans les difficultés de Paris 2024 à tenir les répétitions et compétitions de natation dans la Seine.
Les principaux symptômes d’une contamination à cette bactérie se manifestent sous forme de douleurs abdominales et de diarrhées. Dans certains cas elles sont accompagnées de vomissements et de fièvres. Pour les cas les plus rares elles peuvent déboucher sur un syndrome hémolytique et urémique (SHU) potentiellement grave pour les âges extrêmes de la vie. L’institut Pasteur recense 160 infections sévères par an en France.
Ce phénomène n'est ni exceptionnel ni spécifique aux plages normandes (ou à la Seine). C'est une pollution récurrente qui survient lors des épisodes pluvieux. Les débordements des centres de traitement des eaux usées et le lessivage des fermes usines se déversent alors dans les rivières et les fleuves qui débouchent à leur tour sur nos plages.
Je suis assez choqué de constater l’indifférence des autorités face à la recrudescence des pollutions présentées régulièrement comme bénignes voire « dans la nature des choses ». Elles se réfugient souvent derrière les moyens importants consacrés à la politique de l'eau. Rien que pour la Métropole de Rouen, 50 millions d’euros par an. À l'échelle de la France, ce sont environ 6 milliards qui sont investis chaque année.
Mais pour l'essentiel, ces sommes servent à rénover, à grande peine, un réseau hors d'âge.
Ce ne sont pourtant pas les cadres juridiques ni les politiques publiques, qu'elles soient européennes ou nationales, qui manquent.
Pionnière, l'Europe a pris dès 1980 une première directive visant à rationaliser les exigences nationales en matière de qualité de l'eau. Depuis, les exigences et les initiatives n'ont cessé de se multiplier pour préserver la ressource en eau avec une Directive-cadre sur l'eau en 2000 renforcée par pas moins de sept autres directives !
À cette date, la France est loin d'être le bon élève de la classe puisqu'elle est condamnée successivement en 2001 et en 2002 par la Cour de justice de l'Union européenne pour non-respect des directives européennes en matière de lutte contre la pollution.
Un premier virage a été impulsé en 2001 par Dominique Voynet, alors Ministre de l'Aménagement du territoire et de l'Environnement, qui débouchera sur une Loi de référence en 2006, la Loi sur l’eau et les milieux aquatiques (LEMA) visant à permettre « un bon état écologique des eaux en 2015 ».
Nous sommes en 2024...
Loin de moi l'idée de prétendre que rien n’a été fait. On est cependant, au regard du nombre de directives européennes, de lois nationales et de milliards investis, en droit de se demander pourquoi on ne parvient pas à mieux préserver la qualité de l'eau.
À mon sens il s'agit d'un problème de doctrine : l'eau est-elle un « commun » qui — à ce titre — doit être préservé, au bénéfice de notre environnement et de notre santé, ou bien est-elle une ressource à exploiter, au profit d’intérêts économiques ?
En France, on connaît la position des derniers gouvernements : l’eau est une variable économique à exploiter, jusqu'à l'absurde, comme l'illustre le foisonnement des projets de méga-bassines.
Une illustration en chiffre de la répartition des usages en France de l'eau. Trente et un (31,5) milliards de m3 sont prélevés chaque année. La moitié est utilisée pour le refroidissement des centrales nucléaires et thermiques. L'autre moitié se répartit en trois parts à peu près égales : 5,7 milliards pour l'agriculture et l'industrie, 5,2 pour alimenter les canaux et 5,3 pour l'eau potable.
Autrement dit, les usages domestiques ne représentent qu'un sixième des prélèvements globaux d'eau.
Depuis la Loi Barnier de 1995 (oui oui, ce Barnier là…), il y a un double « principe » sur lequel est censé reposer le financement du traitement de l’eau : « l’eau paye l’eau » et le « principe pollueur-payeur »…
Mais la réalité est toute autre.
Aujourd’hui, 82% des recettes sont directement ou indirectement prises en charge par les usagers particuliers. Soit via leur facture d’eau, soit via les collectivités locales qui versent une redevance pour les prélèvements qu’elles opèrent pour distribuer l’eau aux usagers.
Dix pour cent (10%) des recettes proviennent des industriels et des activités économiques hors agriculture.
Un peu plus de 5% pour l’agriculture, l’essentiel de ces 5% étant pris en charge par les distributeurs de produits phyto-sanitaires…
Le reste est payé par les fédérations de chasse et de pêche.
Ces chiffres sont éloquents.
Dans notre modèle de « gestion » de l’eau, ce sont les citoyens-usagers et l’environnement qui sont les dindons de la farce.
L’eau n’est pas une marchandise. Elle n’est pas une variable économique à exploiter et à jeter.
Les cours d’eau sont les veines de la Terre.
Pour les Jeux olympiques, un effort considérable a été fait pour rendre la Seine « baignable ».
Cette vielle promesse ne doit pas se réduire à un symbole lié à un événement exceptionnel.
Se donner les moyens de préserver la qualité de l’eau est un projet politique global vital qui lie environnement, santé, biodiversité et social.
En Normandie comme ailleurs, l’eau doit être synonyme de vie, pas d’E. coli.