Incendie Bolloré à Rouen: en finir avec l'impunité des industriels
Il y a deux ans, le 16 janvier 2023 vers 16h50, un incendie se déclarait dans un stock de 12.250 batteries usagées de la société Blue Solutions, filiale du groupe Bolloré, à Grand-Couronne dans l’agglomération rouennaise.
Rapidement, le sinistre prend de l'ampleur et s'étend aux cellules voisines contenant des pneus (70.000), des palettes et des textiles, autant de combustibles alimentant le foyer.
Dans un premier temps, la réaction du Préfet en charge de l'époque, Monsieur Pierre-André Durand, m'a stupéfaite. Il avait en effet considéré que cet accident industriel relevait de la responsabilité de la Maire de Grand Couronne sous prétexte que la réglementation de ce stockage n'était soumise qu'à « enregistrement »…
Au passage, ce réflexe pavlovien du rejet de la responsabilité en dit beaucoup sur la reddition de l’État et de ses services par rapport aux industriels ainsi que sur la décharge que l’État opère en direction des collectivités locales.
Mais, au vu de l'ampleur du sinistre, le Préfet n’a pu faire autrement que se résigner à reprendre la main.
C'était le minimum puisque l'incendie a nécessité l'intervention de 137 pompiers et de 60 engins pour le circonscrire le lendemain à 6 heures du matin, puis l'éteindre le 23 janvier 2023 en fin de journée, soit une semaine après le début de l’accident!
Comme trop souvent avec ce Préfet, les déclarations du représentant de l’État se sont voulues rassurantes. Très vite la préfecture a communiqué sur l'absence de risques pour la population, justifiant ainsi l'absence de mesure de confinement.
Au-delà du lithium sur lequel je vais revenir, toute personne ayant été une fois à proximité d'un pneu qui brûle peut légitimement s'interroger sur l'absence de nocivité d'un incendie de 70.000 pneus !
Mais malheureusement, les conséquences ne se limitent pas à la pollution de l'air. Elles concernent également la nappe phréatique.
En effet, il s'est rapidement avéré que la dalle sur laquelle reposait l'entrepôt n’était pas étanche et que, par effet de ruissellement, le lithium contenu dans les batteries détruites (toujours présente sur site) se retrouvait dans la nappe phréatique.
Après tergiversation, une barrière hydraulique est installée en juillet 2023 (6 mois après le sinistre!) pour contenir la pollution sur le site et limiter l'impact sur la nappe.
On peut déjà s’étrangler devant l’inertie de la réaction des autorités publiques.
Mais c'est sans commune mesure avec le cynisme des industriels.
En effet, plutôt que de chercher à tirer les leçons de cette catastrophe, ces derniers étaient surtout préoccupés à se dédouaner de toute responsabilité.
Pour ce qui est de tirer les leçons, j'indiquerais juste qu'il y a eu une reprise d'incendie à partir des restes de batteries toujours présents sur le site le 15 novembre 2023.
Mais surtout, que lors d'un contrôle inopiné de la DREAL d'un autre site de Bolloré le 16 novembre, ils ont constaté pas moins de 7 non conformités sur la lutte contre - je vous le donne en mille - les incendies. Et pour faire bonne mesure, la DREAL a constaté la présence de 1.152 fûts de produits stockés sans déclaration préalable.
Autant dire que Bolloré n'a tenu aucune leçon de l'incendie du 16 janvier 2023 et que l’État a eu besoin d'une reprise d'incendie pour déclencher des visites inopinées.
Dans quelle autre domaine, nous tolérerions un tel laxisme et une telle zone de non droit ayant des conséquences aussi directe sur notre sécurité ?
Mais revenons au sens des responsabilités des industriels dans cette affaire.
L'histoire est complexe et explique en partie l'imbroglio actuel.
On a tout d'abord le groupe Bolloré dont deux de ses filiales sont concernées.
La société qui est propriétaire des batteries, Blue Solutions et la société qui louait l’entrepôt pour le compte de Blue Solutions: Bolloré Logistics.
Il faut ajouter le propriétaire du bâtiment, Highway France Logistics 8 et le gestionnaire du site sur lequel est implanté le bâtiment, la société Valgo, en délicatesse avec l’État pour enfouissement illégal de déchets, divulgué par le média indépendant d'investigation Le Poulpe.
Ce qu’il faut retenir, c'est que cette organisation en poupées russes est particulièrement habile pour diluer la responsabilité des parties prenantes, et que par conséquence aucun d'entre eux ne se considère en charge de la gestion des conséquences de l’incendie.
Résultat, le 28 octobre 2024, la société Valgo qui gère le site a retiré la barrière hydraulique car elle n'était plus payée par le propriétaire du bâtiment pour la maintenir…
L’État n'est pas resté sans réagir et a mis en demeure le propriétaire de prendre les mesures nécessaires pour nettoyer et protéger le site en lui donnant jusqu'au 28 février pour se conformer.
En clair, au mieux la nappe phréatique aura été exposée 4 mois supplémentaire à la pollution au lithium, au pire bien davantage si le propriétaire refuse d'obéir à l’État.
Cette hypothèse n'est pas à écarter car un précédant arrêté de l’État a été attaqué en justice, malheureusement avec succès, par les sociétés du Groupes Bolloré.
Elles contestaient la classification des batteries responsables de l'incendie en « déchets »… Car le fait de les qualifier ainsi justifiait des mesures de sécurité plus importantes et un classement réglementaire différent du bâtiment.
Visiblement le juge des référés a été convaincu par l'argument des sociétés du groupe Bolloré faisant valoir que leurs batteries n'étaient pas des « déchets » puisque Blue Solutions avait été indemnisée par son assureur à hauteur de 15 millions d'euros. Par ailleurs le juge a reproché à l’État de demander aux industriels des délais trop courts (sic) pour se conformer…
Je reste plus que dubitatif face à ce raisonnement puisque de nombreux déchets continuent à avoir une valeur marchande dans la filière du recyclage et que les batteries stockées dans l'entrepôt devaient impérativement faire l'objet d'une remise en état avant de pouvoir être réutilisées. par conséquence, je vois mal comment les considérées comme autre chose que des « déchets »…
Mais bref. La décision de justice est celle-ci.
Hélas, la morale de cette histoire est que pour une fois que l’État avait fait preuve d'autorité, les industriels se retrouvent confortés dans leur sentiment d'impunité et c’est la nappe phréatique, c’est à dire notre patrimoine commun, qui en fait les frais.
La situation actuelle me met en colère car au final le propriétaire des batteries et de l'entrepôt ont été indemnisés par leurs assureurs quand ni les préjudices envers l'environnement, ni les riverains éventuellement exposés aux pollutions ne sont pris en considération.
Par ailleurs le groupe Bolloré aura réalisé en 2023 un chiffre d'affaire de 13,7 milliards € pour un résultat net de 566 millions €.
Dans cette affaire, les populations et l'environnement sont une nouvelle fois les variables d'ajustement d’un « modèle économique » prédateur est injuste.
Pour sortir de cette logique de destruction, et que Bolloré cesse, en plus de nous polluer la tête avec ses médias, de nous polluer notre air et notre eau, il faut non seulement adopter des législations qui suppriment les failles réglementaires dans lesquelles les industriels se faufilent, mais aussi que l’État recrute massivement des inspectrices et des inspecteurs pour multiplier les contrôles puis poursuive systématiquement les industriels qui se comportent comme des voyous.
Ce serait justice pour les entreprises qui jouent le jeu de la transition et qui respectent l’environnement.
Car aujourd’hui, la quasi impunité dont bénéficie actuellement les brebis galeuses risque non seulement de provoquer de nouvelles catastrophes dommageables pour notre environnement et notre santé, mais aussi de décourager les bons élèves de la transition écologique qui pâtissent de la concurrence déloyale de ceux qui contournent les règles.