La forêt sous la menace de l’incendie
Nous avons toutes et tous été frappé•es par la violence des incendies qui ont ravagé l’agglomération de Los Angeles avec son terrible bilan de dizaines de mort•es, de milliers de maisons détruites et de dizaines de milliers de déplacé•es.
Si le départ du feu semble être d'origine humaine, c’est bien les conséquences du dérèglement climatique qui ont été le facteur aggravant qui a décuplé la puissance de l’incendie : sécheresse des sols, déficit des réserves d'eau, chaleur, puissance exceptionnelle des vents, abondance d'espèces invasives inflammables non défrichées.
La météo normande semble bien éloignée de celle du Sud de la Californie. Et à dire vrai, nous ne sommes guère habitué•es à devoir redouter de telles catastrophes de feu. Pourtant, en Normandie, nous aurions tort de nous sentir à l'abri.
Déjà le 22 août 2022 le département de l'Eure connaissait un important incendie dans la forêt de Montfort avec 72 hectares détruits.
Et malheureusement ce n'est pas un sinistre isolé, c'est toute la Normandie qui est concernée si on en croit les services de l’État (DREAL) qui ont publié un rapport sur les « prédispositions [de la Normandie] au risque estival de feu de forêt et de végétation ».
J'ai été stupéfait par l'ampleur des changements révélés par l'atlas des services de l’État que je trouve préoccupant.
Si pendant les deux premières décennies de notre siècle, on ne connaissait en Normandie que quelques dizaines de feux d'espaces naturels on a comptabilisé en 2022 : 1.212 feux, 600 fois plus !
Que nous dit ce rapport ?
Tout d'abord que selon les prévisions de Météo France, les régions qui jusqu'à présent n'étaient pas ou peu confrontées à la problématique des feux de forêt, comme la Normandie, le sont maintenant avec le réchauffement climatique.
Ensuite que la Normandie n'est pas très forestière puis qu’avec ses 420.000 ha (37% de chênes et 18% de hêtres) son taux de boisement est de 14% contre 30% en moyenne en France.
On observe également des disparités très fortes entre départements avec l'Eure qui a un taux de boisement de 20% et la Manche qui n'est qu'à 5%.
Comme partout ailleurs la forêt privée (293.000 ha) est extrêmement morcelée, avec ses 30.000 propriétaires privés de plus de 1ha, ce qui complique les politiques de prévention d’incendies.
Si l'essentiel de la forêt normande est exposé à un risque faible (80%), 14% est exposé à un risque modéré / moyen, et 6% à un risque fort voire très fort. Là aussi on observe des variations importantes entre les départements puisque le risque fort ou très fort est à 11% dans l'Eure, soit le double de la moyenne régionale.
Si les pourcentages ne sont pas forcément parlants, il faut mesurer que les 6% exposés à un risque fort représentent plus de 25.000 ha, soit l’équivalent d’un tiers de la superficie de la métropole de Rouen.
À l'horizon 2050, les probabilités d'incendie vont s’accroître très significativement avec un risque de déclenchement de feu réel (Indice IFM) sur une période de 1 à 2 mois sur l'essentiel de la Normandie !
Autant dire qu'il n'y aura plus d’été tranquille.
Alors que faire ?
Avant toute chose il faut renforcer les moyens de prévention contre les incendies, à l'échelle française mais également européenne (mutualisation de flottes d'avions). C'est à dire l'inverse de la politique du gouvernement qui n'a cessé de réduire les moyens en faveur de la forêt, en particulier ceux de l'ONF (l'Office National des Forêts).
En complément, il faut adapter la forêt aux nouvelles conditions météorologiques en replantant des essences mieux adaptées.
Nous devons également limiter les interventions humaines en forêt qui la fragilisent. Plus on multiplie les activités économiques et de loisir, plus on accroît les risques de départ d'incendies.
Je ne prône pas de transformer toute la forêt en sanctuaire. Il faut en revanche cesser de la considérer comme une ressource à la main et à la disposition de l'Homme.
Il est par ailleurs indispensable de préserver la ressource en eau. Les périodes de sécheresse aggravent les risques d'incendies. Nous pouvons limiter les risques en réduisant nos prélèvements d'origines agricoles et industrielles, la part de nos usages domestiques étant dérisoires par rapport à ceux à usage économique. Cela nécessite de trouver des solutions avec les agriculteurs et les agricultrices qui sont déjà en première ligne face aux conséquences du dérèglement climatique et qui doivent donc être accompagné•es et soutenu•es dans l’évolution de leurs pratiques et de leurs cultures vers des productions moins consommatrices d’eau.
Enfin, bien sûr, réduire nos émissions de gaz à effet de serre qui sont à l'origine des dérèglements climatiques.
À l'échelle européenne il faut sortir de l'immobilisme, voire de la tentation de la régression écologique.
Si dans la précédente mandature Ursula von der Leyen semblait se soucier de l'environnement au travers du paquet législatif du Pacte Vert (Green Deal), cela ne semble hélas ne plus être le cas dans la nouvelle. Je constate de nombreux reculs, le dernier en date étant le report d'un an de l’application du nouveau règlement sur la déforestation.
Madame Ursula von der Leyen – avec le soutien du principal groupe politique de Droite (PPE) - semble plus soucieuse de trouver des arrangements avec l'extrême droite. Avec des conséquences sur des politiques anti-migrant•es, la tentative de passage en force sur le projet de libre-échange avec le Mercosur sans mandat du Parlement ni des États, et enfin sur l’ensemble des politiques écologiques européennes devenues désormais des cibles. L’extrême-Droite ne s’y trompe d’ailleurs pas puisque Jordan Bardella vient de proposer un pacte avec le PPE pour détruire le pacte Vert…
Il n'y a pas quand France que la Démocratie est malade et que l’enjeu écologique est en train d’être sacrifié en même temps que l’habitabilité de notre planète et de nos régions.