Coupe du monde 2022 : « Ce n'est pas le football qui intéresse le Qatar »

Pour Actu.fr, David Cormand, eurodéputé Europe Ecologie-Les Verts, a accepté de livrer son point de vue sur l'organisation du Mondial au Qatar. Corruption, écologie, droits humains, géopolitique… Pour lui, c'est une aberration à tous les points : « le choix du Qatar, c’est la démonstration extrême de l’absurdité, du grotesque de la situation dans laquelle on est ». Il affiche aussi sa volonté de ne pas culpabiliser les Français et plus globalement les fans qui voudraient regarder les matchs.

Actu : Qu'est-ce que vous pensez de cette Coupe du monde ? 

David Cormand : Nous sommes très éloignés des valeurs du sport dans cette affaire. Bien sûr, il y a des gens qui marquent des buts. Mais on a l'impression que le foot est devenu un alibi pour d'autres sujets qui n'ont rien à voir avec le sport lui-même : la publicité, le sponsoring...

Un aspect très important à saisir, c'est le soft power géopolitique. L'un des moyens utilisés par le Qatar pour peser politiquement et avoir une influence géopolitique, c'est le foot. D'où l'achat du PSG. Certes, aujourd'hui, c'est un club de football. Mais c'est avant tout le Parc des Princes et ses loges, où le pouvoir Qatari reçoit, discute...

Des personnalités politiques, des hommes d'affaires s'y rendent. La déclinaison de ça, c'est d'organiser la CDM au Qatar. C'est une façon pour ce pays de rayonner géopolitiquement, avec les questions que cela soulève. 

En sachant, en plus, que ce sont des pays qui fournissent de l'énergie fossile dont nous avons besoin. Il y a beaucoup de choses entremêlées qui dépassent le sport. 

Le choix du Qatar, c'est la démonstration extrême de l'absurdité, du grotesque de la situation dans laquelle on est.

Pourquoi, dans ce cas, on ne boycotte pas le Paris-Saint-Germain (le Qatar est propriétaire majoritaire du club de la capitale NDLR) ?

D.C. : C’est un vrai sujet. Pour moi, l’implication du Qatar en tant qu’État dans le PSG, c’est une vraie opération de soft power. Ce n'est pas le football qui les intéresse.

C'est étendre leur influence géopolitique, mais aussi d'affaires en Europe. Ils s'en moquent du foot.

Je pense que l’on fait preuve de faiblesse et de naïveté par rapport à cela.

Qui faut-il blâmer dans ce cas ?

D.C. : Les coupables, ce n'est pas le Qatar. C'est nous, Occidentaux, qui sommes les commanditaires. En termes de morale, d'éthique, de rapport au monde, de rapport à notre humanité, à l'état de la planète, cette Coupe du monde est une aberration. La question sportive est devenue dérisoire quand on met en perspective tous les éléments cités.

Il y a à la fois un aveuglement, un cynisme, une cupidité, une corruption et tout cela est complètement contraire à ce que nous sommes censés vendre dans un événement sportif. On est très loin de "l'essentiel, c'est de participer"...

On est au bout d'un système, d'un modèle. C'est pathétique et écœurant. 

Quel regard portez-vous sur le rôle qu'aurait pu jouer la France dans l'attribution de cette compétition ?

D.C. : Cela fait des mois, sinon des années, qu'un certain nombre d'informations tendent à démontrer que l'attribution de cette Coupe du monde s'est faite par de la corruption. C'est aussi simple que cela.

Nicolas Sarkozy a, a minima, joué les entremetteurs dans cette affaire. La justice établira s'il y a relation de cause à effet avec les grosses sommes d'argent reçues pendant ces périodes par des personnalités de la FIFA comme Platini.

Comment vous expliquez, à l’heure où l’écologie est primordiale, que le Qatar puisse obtenir l’attribution de grands événements sportifs ? 

D.C. : Le moyen immédiat, c'est par la corruption. De plus, la FIFA et la FFF, tous ces trucs-là devraient être dissous. C'est un ramassis de gens qui se laissent corrompre et qui ne sont pas du tout au service du sport. Il faudrait un comité sportif, non lucratif, international. Là, c’est scandaleux que ces gens-là puissent se faire graisser la patte. 

C’est pour cela qu’il faut insister sur l’aspect géopolitique : ce sont des pays dont nous sommes dépendants. On a organisé la Coupe du monde et les Jeux Olympiques en Russie, il n'y a pas si longtemps, car ce sont des pays auxquels on ne peut pas dire non.

C’est comme dans "Le Parrain" : c’est "je vous fais une offre que vous ne pouvez pas refuser". Ils graissent la patte pour faciliter les choses, mais fondamentalement, l’Occident est dépendant des matières premières, les énergies fossiles que ces pays nous vendent. Donc c’est ça aussi qui se joue. C’est l’une des expressions de notre soumission liée à la dépendance que nous avons des matières premières que nous fournissent ces pays. Ce n'est pas pour développer le goût du football là-bas.

Là, c'est n'importe quoi : on explique aux gens qu'il faut qu'ils mettent des cols roulés et faire attention à l'énergie pendant qu'on va faire jouer des gens au foot dans des stades climatisés au milieu du désert. S'il y avait besoin d'une démonstration d'à quel point notre monde se précipite en courant vers le chaos, je pense qu'il n'y aurait pas mieux. 

Et tout cela, c'est sans parler de l'aspect des droits humains. Nous avons toléré, nous, des démocraties - au prix de notre corruption et de notre volonté de ne pas entrer en bisbille avec des pays qui nous fournissent - la mort de 6 500 esclaves. C'est une régression civilisationnelle absolument hallucinante.

« Le choix du Qatar, c’est la démonstration extrême de l’absurdité, du grotesque de la situation dans laquelle on est »
— David Cormand, eurodéputé Europe Ecologie-Les Verts, auprès d'actu.fr

Est-ce qu'il faudrait boycotter alors ? 

D.C. : Si l'on pouvait faire plonger l'audimat, ce serait pas mal. Si moins de gens regardent ce genre d'événement, il y aura moins d'intérêt à corrompre pour l'organiser.

Il faut surtout en parler, en fait. Cela doit être l’occasion de discuter avec l’opinion sur ce qu’il y a derrière le foot. Au-delà du match.

Si l’on devait boycotter, cela serait plutôt les marques qui sponsorisent l'événement. Il y a tout un tas de grandes marques qui font de la pub à la Coupe du monde. Il y a un sujet à dire : "vous devriez avoir honte d’y associer votre image”. Ce serait plus porteur. 

Je trouve ça normal que les villes ne diffusent pas les matchs sur les écrans géants, mais je n’ai pas envie d'embêter les gens. Certains peuvent être d’accord avec tout ce que l’on vient de dire et quand même avoir envie de regarder les matchs. Je n’ai pas envie de faire le donneur de leçons.

Le plus important, c’est de comprendre de quoi cette Coupe du monde est le nom. C’est quoi la géopolitique derrière ? C’est quoi les relations de dépendance et d’influence économiques sous-jacentes ?

Qu'est-ce qu'il faut faire dans ce cas ? 

D.C. : Il faut vider l’intérêt à financer ces événements. C'est choquant quand on y pense : il y a tout un tas de boîtes qui vont mettre leur logo dans des stades où 6 500 personnes sont mortes. Et elles vont le faire pour se faire une belle image ! C’est aberrant.

Comme ils font cela pour faire de la publicité, ce qui serait bien, c’est une sorte de contrecoup. Dire "vous avez cru donner une bonne image de vous en finançant ce truc. Pour la peine, nous, on ne veut plus rien avoir à faire avec vous".

Un peu comme les marques qui sont produites en Chine dans les zones où il y a des Ouïghours, où c’est de l’esclavage. Il faut faire du "name and shame". 

« C’est comme dans Le Parrain : c’est « je vous fais une offre que vous ne pouvez pas refuser » »
— David Cormand, eurodéputé Europe Ecologie-Les Verts, auprès d'actu.fr

Qu’avez-vous fait à votre niveau de député européen ? Est-ce qu’il y a eu des initiatives ?

D.C. :  On n'a pas de pouvoir direct sur les fédérations sportives, ni de pouvoir diplomatique direct, ni de compétences sur le sport. On peut faire des déclarations de principes, il y a dû en avoir. On a beaucoup de pouvoir sur d’autres choses, mais pas là-dessus. Ni sur les choix d’attribution de ces événements d'ailleurs.

Et au niveau officiel, que faut-il faire ?

D.C. : Politiquement, aucune personnalité ne doit se rendre au Qatar. Ça, c'est clair. Ce serait une forme de caution. Que le pouvoir actuel n'est pas responsable de l’attribution de la Coupe du monde, c’est un fait.

Cela va être très intéressant à observer puisqu’avec la crise en Ukraine à cause de l’agression russe, on est en train de faire la manche auprès d’un certain nombre de pays producteurs pour avoir le pétrole et le gaz qui venait de Russie et que l’on n'a plus.

Ils vont mettre la pression : “vous avez besoin de notre gaz, si vous nous boycottez, il ne faudra pas demander les baisses de livraison russes.” 

Est-ce que l'exposition pourrait améliorer, ne serait-ce qu'un peu, les conditions de travail au Qatar ? 

D.C. : Je ne crois pas. Je pense que ce que l'on se dit pour se donner bonne conscience.

Je ne vois pas comment on peut déduire que la mort de 6500 personnes pour fabriquer des stades de foot ait pu faire progresser les droits humains.

Je crois que ça a plus augmenté notre niveau de corruption que ça a amélioré les droits humains là-bas. Ce n'est pas nous qui avons infusé des pratiques plus éthiques. C’est nous qui avons accepté d’être encore plus corrompus dans cette situation.

Le régime qatari tel qu’il est, il sort renforcé, pas affaibli. Ce n'est pas lui qui a cédé quelque chose, c’est nous. 


Propos recueillis par Maxime T’SJOEN et Martin LEDUC. A lire sur actu.fr.

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