Mettons les projets routiers en déroute (tribune)
Pour respecter ses engagements climatiques et garantir à tous des transports à faibles coûts, l’Etat français doit abandonner tout projet autoroutier et investir dans des mobilités vertes, alerte un collectif d’associations écologistes soutenu par des personnalités politiques et des chercheurs. David Cormand co-signe cette tribune.
Le réseau routier français est l’un des plus denses d’Europe. En vingt ans, entre 1998 et 2018, le nombre de kilomètres de routes a augmenté de 11,2 % tandis que le nombre de kilomètres de voies ferrées diminuait de 13 % dans notre pays. En 2018, selon les chiffres du ministère de la Transition écologique, le transport routier représentait 94 % des émissions de CO2 du secteur des transports. De fait, la France est également le 2e pays d’Europe qui transporte le plus de marchandises par camion au niveau national, et le 4e pays d’Europe pour le transport de marchandises par camion au niveau international.
Ces chiffres ne sont pas une fierté. Ils sont alarmants, et leur croissance annuelle est effarante au regard des enjeux environnementaux et climatiques actuels et de la catastrophe écologique à laquelle nous faisons déjà face.
Des projets autoroutiers obsolètes
Pourtant, malgré l’évidente nécessité de changer de chemin, aujourd’hui 55 projets routiers sont en cours et contestés en France, parmi lesquels sept autoroutes. Ces projets, souvent imaginés il y a plusieurs décennies, se basent sur une doctrine de développement des infrastructures de transport, au service d’un modèle économique, qui se révèle aujourd’hui obsolète. Le discours des porteurs de projet est uniforme, avec partout les mêmes arguments éculés, déclinés sans prendre en compte la réalité des populations locales ni leurs besoins ni les impacts globaux de cette doctrine de développement, ces axes ayant avant tout pour objectif de permettre à toujours plus de camions et de marchandises de circuler à travers la France et l’Europe.
La coalition la Déroute des routes demande que tous ces projets soient stoppés, et que leur intérêt soit ré-interrogé au regard des enjeux climatiques, sociaux, et environnementaux actuels, mais également des dépenses qu’ils engagent (13 milliards d’argent public pour les 55 projets étudiés par le quotidien Reporterre) et de l’ampleur critique de leurs impacts. L’importance de ces enjeux est partagée par le Conseil d’Etat, qui a inscrit comme liberté fondamentale le «droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé», et la protection de l’environnement comme valeur constitutionnelle.
L’hypocrisie étatique
Nous dénonçons un double discours de l’Etat, un «en même temps» irréalisable dans les faits. L’Etat affiche des objectifs ambitieux de baisse des émissions, une stratégie de préservation de la qualité de l’air et une utilisation rationnelle de l’énergie, de préservation des sols pour ensuite les détricoter ou les ignorer.
Nous ne sommes pas seul·e·s à faire le constat de cette hypocrisie, et à alerter les dirigeant·e·s. Le Conseil d’Etat a tiré la sonnette d’alarme à plusieurs reprises en condamnant l’Etat pour inaction climatique. L’Autorité environnementale considère que l’Etat n’a pas amorcé la transition écologique et parle, pour certains projets comme l’A69, d’études lacunaires et basées sur des mauvaises données.
A cela, il faut ajouter le constat des chercheurs et chercheuses qui parlent de modèles de trafic lacunaires, et qui mettent en exergue une notion d’utilité publique qui échoue à défendre les intérêts collectifs et dont il faut réformer les fondations. Les enquêtes publiques, «outils de l’intensification de l’exploitation de la nature», «permettent d’imposer le développement industriel et infrastructurel comme un bien en soi», selon Frédéric Graber, chargé de recherches au CNRS. Elles conduisent à des déclarations d’utilité publique vides de sens, qui permettent pourtant à l’Etat d’être dans le bon droit d’exproprier habitant·e·s et paysan·n·es pour bétonner des terres agricoles, et de détruire des espèces et milieux protégés.
Ces procédures d’autorité donnent lieu à des projets ayant des impacts négatifs importants sans les retombées bénéfiques annoncées. Les analyses de bilan et de suivi des projets déjà réalisés sont sans appel. Une fois réalisés, leurs impacts et leur coût sont souvent bien supérieurs à celui estimés dans les dossiers présentés (en moyenne 20 % pour l’investissement). Pour toutes ces raisons, la question de la légalité des projets, souvent invoquée par leurs défenseurs, nous semble être un argument fallacieux utilisé pour éviter de questionner leur légitimité au regard de leurs impacts et de leurs objectifs.
Les autoroutes, prétendument au service des populations selon les porteurs de projet, participent en réalité d’un modèle d’accaparement des terres au profit d’entreprises privées, condamnant à ce mode de déplacement coûteux les 80 % de Français·es pour lesquel·les la route reste le moyen de transport contraint. Le scandale des trop larges bénéfices des sociétés d’autoroutes mis en lumière par un rapport de l’Inspection générale des finances nous montre que les enjeux sont de taille pour le pays.
Des projets plus solidaires
Nous sommes de plus en plus nombreuses et nombreux à demander des politiques de déplacements urbains plus cohérentes qui permettraient de réduire les inégalités sociales qui se creusent dans l’accès à la mobilité, un développement des transports en commun, et des mobilités actives pour réduire la congestion de nos villes, qui ne sera possible qu’en réduisant le nombre de voitures qui y circulent.
Dans son troisième rapport, publié en février 2023, le Conseil d’orientation des infrastructures (COI) demande un renouveau dans la doctrine de développement des infrastructures de transport françaises en indiquant qu’ «un certain nombre des projets routiers examinés, conçus il y a parfois plusieurs décennies dans un contexte très différent, méritent vraisemblablement d’être revisités».
Dans ce rapport, la priorité est donnée à une planification pluriannuelle pour des «mobilités plus sobres, plus collectives, plus économes en énergie et en ressources minérales rares et moins émissives dans l’ensemble de leur cycle de vie» et une politique «associée à la maîtrise de l’urbanisation». Le rapport préconise également que les infrastructures déjà en place, vieillissantes, parfois de moins en moins sécurisantes, soient modernisées. Son scénario «planification écologique», «conduit à ne pas réaliser rapidement des projets structurants très attendus par certains, qu’il s’agisse de projets routiers ou autoroutiers».
Le COI demande enfin que les enjeux collectifs et des choix systémiques priment sur les effets de discours ou les décisions «au cas par cas». Des enveloppes et cadrages par mode de transport, doivent être fixés clairement lors des négociations à venir dans le cadre des volets mobilité des Contrats de plan Etat- région.
A la vue de tous ces éléments factuels, et que ce soit pour le climat, le bon usage des finances publiques, la biodiversité, la préservation des terres agricoles et de nos forêts, pour respecter la démocratie locale et les habitant·e·s : nous avons toutes et tous une bonne raison de nous opposer à ces projets routiers !
Les mobilisation historiques, inventives, et déterminées, des 22 et 23 avril sur le tracé du projet d’A69 Castres-Toulouse et des 5-6-7-8 mai à Léry, près de Rouen, contre l’A133-A134, renforcent notre conviction que la lutte contre ces projets est plus que jamais nécessaire. Fin avril, alors que la mobilisation battait son plein à Castres-Toulouse, un avis favorable était donné par le commissaire enquêteur à l’issue de l’enquête publique pour le contournement ouest de Nîmes, malgré l’opposition de l’Autorité environnementale dénonçant un dossier lacunaire et un projet risquant d’impacter des espèces et habitats menacés au niveau européen.
La pétition pour la proposition de moratoire sur les projets routiers a recueilli aujourd’hui plus de 10 000 signatures. Soulevons nous aux côtés des collectifs en lutte contre ces projets destructeurs, en signant et partageant la pétition, et en rejoignant partout les collectifs.
Mettons les routes en déroute !
La coalition La Déroute des routes rassemble, depuis janvier 2022, 49 collectifs (parmi lesquels Réseau action climat, Youth for Climate Paris, Alternatiba…) en lutte contre des projets routiers contestés comme l’A133-A144 en périphérie de Rouen ou l’A69 Castres-Toulouse.
Signataires : Mathilde Panot Députée, présidente du groupe LFI-Nupes à l’Assemblée nationale Cyrielle Chatelain Députée, présidente du groupe écologiste à l’Assemblée nationale Guillaume Gontard Sénateur, président du groupe écologiste au Sénat Thomas Dossus Sénateur Sylvain Carrière Député Mounir Satouri Député européen Raymonde Poncet Monge Sénatrice Hélène Ménou Adjointe au maire de Blois David Cormand Député européen Claude Gruffat Député européen Marie Pochon Députée de la Drôme Marie Toussaint Députée européenne Caroline Roose Députée européenne Guy Benarroche Sénateur Benoît Biteau Député européen Anthony Poulin Adjoint à la maire de Besançon Loïc Prud’homme Député LFI Catherine Couturier Députée de la Creuse Cécile Faure Membre du BE de Génération écologie Jacques Fernique Sénateur du Bas-Rhin Nathalie Oziol Députée de l’Hérault Andy Kerbrat Député de Loire-Atlantique Charlotte Leduc Députée de Moselle Karen Erodi Députée du Tarn Marianne Maximi Députée du Puy-de-Dôme Jean François Coulomme Député de la Savoie Christophe Bex Député de Haute-Garonne Maxime Laisney Député de Seine-et-Marne Pascale Martin Députée de la Dordogne Hadrien Clouet Député de Haute-Garonne Alma Dufour Députée de Seine-Maritime Alenka Doulin Conseillère municipale (CM) et métropolitaine de Montpellier Emmanuel Fernandes Député du Bas-Rhin Karin Fischer Conseillère régionale (CR) Centre-Val-de-Loire LFI Jean-François Bridet Vice-président région Centre-Val-de-Loire, chargé du vivant Simon Jamelin Conseiller départemental (CD) du Nord Marie Delattre Adjointe au maire de Douai Guillaume Hédouin CR Normandie Aurélie Traoré CM Caen… Liste complète ici
La tribune est à retrouver sur le site de Libération.