Ce que nous sommes.

Cette note écrite entre les deux tours de notre primaire peut difficilement parler d’autre chose. La mémoire permet de tirer des leçons de l’expérience. En l’occurrence le souvenir des primaires précédentes nous instruit. Nous devons nous garder d’utiliser contre l’un ou l’autre des candidats des arguments qui feront demain le miel de nos adversaires. Ainsi, Celles et ceux d’entre nous, qui voulant discréditer Sandrine Rousseau l’attaquent sur sa personnalité commettent une double faute : premièrement ils dépolitisent les enjeux du débat de second tour en le réduisant à un affrontement de caractères, et deuxièmement ils salissent injustement Sandrine Rousseau d’une boue qui nous atteint toutes et tous.

 

Là encore, retenons les enseignements de notre déjà longue histoire. Nous sommes un collectif politique, et donc au fond, nous sommes logé.e.s à la même enseigne. Le discrédit des un.e.s ne fera pas le bonheur des autres. Je le dis donc avec fermeté :  respectons-nous. Le débat doit porter sur l’orientation politique. Ouvrir la boite de Pandore des vilénies ne pourra que nous affaiblir et ajouter de l’eau au moulin de nos ennemis.

 

Regardons le hargne qui se déverse : la parole libre de Sandrine Rousseau constitue visiblement une offense qui attise tous les feux réactionnaires. Nous redisons avec force que les flèches qui lui sont destinées, nous les prenons aussi pour nous.  Insulter Sandrine Rousseau, c’est nous agresser toutes et tous.

 

Nous ne laisserons jamais qui que ce soit décerner des diplômes de « bons » ou de « mauvais » écologistes. Nos combats solidaires proviennent de trajectoires politiques et personnelles différentes, mais ils nous unissent dans un creuset dans lequel est forgé un alliage que je souhaite indestructible. C’est la condition de nos victoires à venir.

 

D’ailleurs, c’est le message qu’ont adressé les plus de 122 000 inscrit.e.s de notre primaire au premier tour. La quasi-égalité entre les 4 candidatures arrivées en tête nous enseignent que notre doxa politique commune est composée d’affluents à la fois différents et équilibrés qui convergent en un même fleuve. Et c’est cette diversité qui, en vérité depuis l’origine, a construit la doctrine du paradigme écologiste. Nous sommes tout à la fois. A commencer par l’exigence de remise en question du productivisme de Droite et de gauche qui impose de ralentir et de réviser nos conceptions de production et de consommation en même temps que de revoir notre relation au vivant. C’est la décroissance et le clivage que proposait Delphine Batho, inspirée par Bruno Latour, entre les « terriens » et les « destructeurs ». L’écologie politique est dans le même temps porteuse de la volonté de combattre sans relâche les discriminations qui entravent l’accomplissement de l’égalité dans une société juste, comme l’a martelé Sandrine Rousseau. Cette volonté implique la remise en question du patriarcat,  et plus largement d’assumer de regarder en plus des inégalités de classes, toutes celles qui s’y surajoutent, liées au genre, à l’orientation sexuelle, à la couleur de peau, à l’origine, et j’en passe…  Nous sommes aussi le mouvement politique refondateur qui, posant le leadership de l’écologie politique comme nouveau paradigme, a vocation à rassembler les courants politiques émancipateurs issues de la Gauche traditionnelle. Cette position était défendue par Éric Piolle. Enfin, la proposition de Yannick Jadot d’une écologie à vocation majoritaire qui doit affronter ce que cela implique en termes de posture pour se montrer capable de gouverner aux yeux du plus grand nombre, met l’accent sur la nécessité de rassembler.

Les primaires, par nature, tendent les positions et poussent à cultiver le narcissisme des petites différences.  Et je ne nie pas que des débats existent entre nous, sur les priorités, l’intensité, le rythme des réformes à mener.  Pour autant les quatre propositions portées au premier tour sont-elles antagonistes? Je ne le pense pas. Sont-elles « irréconciliables »? encore moins. On peut être les 4 à la fois… Et c’est même en réalité ce que nous sommes. Car toutes ces propositions ne sont pas nouvelles… La décroissance n’a pas été inventée par Delphine Batho. L’éco-féminisme ne l’a pas été par Sandrine Rousseau. "L’arc humaniste », avec d’autres termes, a déjà été proposé avant qu’Éric Piolle ne le fasse et la volonté de rendre l’écologie majoritaire n’est pas née avec Yannick Jadot… Nous sommes le fruit d’une longue histoire qui arme notre pensée et notre culture commune. Dans cela réside notre force collective. Personne ne peut prétendre être drapé du saint suaire de la « vraie écologie ». La "pierre philosophale" que constituait hier le culte interne de la différentiation artificielle entre écologistes doit être définitivement abandonnée.  Elle a trop souvent transformé l’or de la singularité et de la clairvoyance de nos propositions en plomb électoral et politique. Pour le coup, oui, les temps ont changé… Revenir au sur-jeu des divergences (peut-être devrais-je écrire « sur-je ») constituerait une régression coupable dont ni la société ni nous-même ne pouvons-nous permettre. 

 

Le clivage ancien - trop souvent, au passage, analysé de manière superficielle - entre « fundi » et « réalo » est à mon sens désormais obsolète. Car il y a 40 ans, il pouvait y avoir débat entre d’une coté les « fundi », considérant que l’urgence est déjà là et que l’intransigeance doctrinale et stratégique est de mise; et les « réalo » qui défendaient une politique des petits pas dans un environnement politique encore largement inconscient de la crise écologique, et ce d’autant plus qu’il y avait encore « du temps » pour agir progressivement. Aujourd’hui, l’urgence est là. Être « réalistes », « pragmatiques », c’est agir vite et fort, de manière « radicale ». D’une certaine manière, l’urgence écologique impose que les « fundis » soient devenus « réalos »; et les « réalos » soient devenus « fundis ». L’écologie politique n’a plus pour mission exclusive de lancer l’alerte ou de seulement « imposer des sujets dans le débat »… Ils y sont déjà. Notre rôle et de convaincre de notre capacité à apporter des solutions. Voilà où nous en sommes aujourd’hui. Et les « solutions » que nous portons, ne sauraient, sous prétexte d’acceptabilité, être cuisinées à l’eau tiède. Nous devons, c’est juste de le dire, nous garder de singer les même renoncements de la Gauche social-démocrate lorsqu’elle accéda au pouvoir jadis.  N’oublions pas ce que fut l’erreur des socialistes : Ils ont cru raisonnable de s’excuser d’être socialistes pour paraître raisonnables. Nous ne nous excuserons jamais d’être écologistes, car c'est ce que la raison impose.

 

Alors que faire ? La préservation du capital de l’écologie politique que nous avons toutes et tous contribué à construire, implique de rechercher ce qui nous unit. Travaillons au dépassement nécessaire des sous-groupes écologistes existants, dans la perspective de 2022.  Il faut engager ce travail de manière dynamique, avec l'ensemble de celles et ceux qui se sont tourné vers nous aujourd'hui à cette primaire et qui se tourneront vers nous demain dans les urnes. 

 Voilà pourquoi nous devons redoubler d’honnêteté et de rigueur intellectuelle.

  Cela m’amène à réfuter un argument porté par Sandrine Rousseau et une partie de ses soutiens. Yannick Jadot serait le représentant de l’écologie de gouvernement, « qui a échoué depuis vingt ans… »

 

Je ne peux laisser prospérer cet argument, car il n’attaque pas uniquement Yannick, mais sape en profondeur les efforts collectifs qui furent les nôtres pour clarifier la ligne de l’écologie politique. L’idée même d’une écologie au pouvoir depuis 20 ans est une fable dangereuse.

Car de quoi parle t’on quand on parle d’écologie de gouvernement qui échoue depuis 20 ans ? je n’ose imaginer que l’on qualifie ainsi les politiques menées par des majorités politiques qui ne se sont jamais réclamées de l’écologie, l’ont parfois combattu avec virulence, et lui ont en tout cas toujours tournée le dos. Pour ne parler que des dernières présidences, je refuse de considérer que Nicolas Sarkozy, François hollande et Emmanuel Macron aient mené des politiques écologistes.  Nous avons combattu le premier, quitté le gouvernement du second, et nous dénonçons le greenwashing permanent du troisième. Ce serait donc leur faire un grand cadeau de considérer qu’ils représentent une quelconque écologie de gouvernement. Nous ne sommes pas comptables de leurs choix funestes, de leurs mensonges, et de leur procrastination permanente.

 

Comme je ne peux pas penser que quiconque trace de bonne foi un signe égal entre les présidents susnommés et la proposition politique portée par Yannick Jadot, je ne comprends donc pas ce que vise au juste la dénonciation de l’écologie de gouvernement.

 

Veut-on ici critiquer la présence par le passé d’écologistes au gouvernement ? Le débat est légitime et nous l’avons souvent mené.  Pour ma part je ne renie rien de notre histoire commune : les tentatives de participation gouvernementale d’hier fondent ma position d’aujourd’hui. Il me semble qu’elle est largement partagée dans le mouvement que j’ai eu l’honneur de diriger, comme dans le corps électoral de la primaire. Je la résume d’une formule que j’aime à utiliser car elle a le mérite de dire les choses clairement : nous ne serons plus jamais les supplétifs de quiconque.

 

Ni d’une sociale démocratie qui faute d’avoir fait son aggiornamento rêve d’utiliser l’écologie comme une bouée de sauvetage, ni d’un quelconque pôle de la radicalité qui nous accusant de mollesse pillerait notre patrimoine politique dans le même temps où nous serions accusés de trahison.

 

Ce qu’il faut défendre c’est la singularité du projet écologiste, et son caractère indissoluble dans les traditions politiques précédentes. Cela n’empêche pas les alliances visant à constituer des majorités politique pour gouverner, mais elles doivent se faire dans la clarté et avec la fierté d’être ce que nous sommes.

 

Fustiger l’écologie de gouvernement, c’est entretenir la confusion et donner du grain à moudre à celles et ceux qui, nouveaux convertis de l’écologie, prétendent nous donner des leçons de pureté, et ne manqueront de le faire pendant la campagne.

 

Nous ne sommes pas sortis de la domination des socialistes pour devenir la chambre d’enregistrement des ambitions de la France insoumise. Jean Luc Mélenchon, qui hier qualifiait le gouvernement Jospin dont il était membre de « plus à gauche au monde » a peut-être tiré les leçons de sa longue appartenance au parti socialiste. Cela ne le dédouane pas et ne l’autorise pas à délivrer de brevets de radicalité écologique aux uns et aux autres. La ficelle est un peu grosse. Nous autres, écologistes, sommes souverains : c’est à nous, et à nous seul.e.s qu’il revient de décider de notre destinée. Pour ma part j’invite mes amis et mes amies écologistes engagé.e.s dans cette primaire à ne souffrir d’aucun complexe : le paradigme écologiste constitue bel et bien la colonne vertébrale autour duquel peuvent se rassembler tous les affluents porteurs d’une volonté de transformation profonde du modèle qui nous mène dans le mur. Je ne sais qui remportera la primaire. Ce que je sais en revanche, c’est que nous avons vocation; tôt ou tard, à gouverner ensemble. Si les mots ont un sens, l’écologie de gouvernement reste à construire : il ne tient qu’à nous de lui donner ses lettres de noblesse en remportant cette élection présidentielle puis en mettant en œuvre une politique écologiste digne de ce nom. Enterrer la possibilité d’une écologie de gouvernement sous les cendres du renoncement supposé, avant même que nous n’ayons gouverné, c’est mener l’espoir au tombeau.  Et nous n’en avons pas le droit. 

 

Je n’ai pas souhaité exprimer publiquement mon choix. On pourra y voir une coquetterie nombriliste. ( Après tout, personne n’est parfait). Mais c’est aussi une manière de ne pas sédimenter des positions transitoires. De ce point de vue, je remercie les deux « quart de finaliste » éliminé.e.s de la primaire de ne pas avoir indiqué leur vote de second tour. Car le plus important est qu’il nous appartiendra de mener campagne ensemble.

 

Je finis d’une phrase. Il y a bien des chemins qui mènent à l’écologie. Elle peut constituer aujourd’hui le débouché politique des grandes aspirations et combats de notre temps. A condition de tenir et de respecter tous les bouts de ces cheminement singuliers dont il serait vain de vouloir hiérarchiser les légitimités. Ils forment la trame d’une même étoffe que l’on nomme écologie politique.Le drapeau vert que nous portons est tissé de mille luttes. Elles se valent toutes, et fondent ce que nous sommes.

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