Ce qui nous incombe.

A l’instant où j’écris ces lignes, le vote pour la primaire des écologistes est en cours. Les chiffres de l’inscription à notre scrutin sont bons : ils sont le signe d’intérêt réel pour l’écologie politique. Combinés aux succès inédits des élections européennes, municipales et territoriales, à l’augmentation du nombre d’adhérents et sympathisants, à la fréquentation inédite de nos journées d’été, ils sont aussi le signe de l’affirmation de l’écologie politique comme une force en capacité de redessiner le paysage politique et ainsi incarner une alternatives aux offres politiques traditionnelles. On attendait de nous que nous prêtions le flanc à la caricature à laquelle les observateurs fainéants nous réduisent parfois, mais nous avons su tirer les leçons du passé.  Nous savons que le ridicule de nos divisions tuerait l’espoir. Cela ne signifie en rien, je m’empresse de l’écrire, que nous nous serions « assagis », comme on le concède avec condescendance à des enfants dont on trouve qu’ils se « tiendraient » mieux… L’écologie est par nature radicale dans le sens où elle interroge et remet en question en profondeur la « racine » des problème; les causes systémiques de nos misères et des impasses de notre civilisation. Mais cette radicalité se décline par un très grand pragmatisme dans les solutions que nous proposons. Car si le pragmatisme sans radicalité conduit aux renoncements - ceux-là même dont nous avons été témoins de la part de la gauche traditionnelle au pouvoir - la radicalité sans pragmatisme réduit à l’incantation, et donc à l’impuissance.

 

Le succès de notre primaire s’inscrit dans un processus de longue haleine, et vient saluer un travail d’enracinement de l’écologie politique.

Le temps où on nous tenait pour quantité négligeable n’est pas si éloigné :  il ne nous aura fallu qu’un quinquennat pour redresser notre situation politique.

 

Mais ayons la lucidité de voir que notre bonne santé actuelle s’inscrit dans une dynamique sociétale plus large, marquée par la prise de conscience écologique accélérée de pans entiers de la population. Nous incarnons donc une forme d’alternative à l’impasse des autres offres politiques qui demeurent sur le fond tétanisées par les changement à opérer. Le débouché politique que nous sommes en en responsabilité d’incarner et de porter nous oblige. Notre antériorité dans la compréhension de l’enjeu écologique comme déterminant politique des conflictualités, des injustices, des rapport de force et de domination ne nous donne aucun droit, seulement des devoirs. Le premier d’entre eux étant de nous montrer à la hauteur.

 

Que chacune et chacun des candidates et des candidats reçoive ici mes remerciements sincères, pour la bonne tenue des débats du premier tour. Non seulement nous avons démontré des convergences importantes et solides et su gérer des dissensus féconds qui éclairent les enjeux plutôt qu’ils ne les enferment - mais nous avons aussi fait la preuve qu’il était possible d’intéresser les citoyennes et les citoyens, ainsi que d’irriguer le débats public, au moyen de sujets de fond autrement plus essentiels que la logorrhée identitaire dont on nous abreuve habituellement.

Il était d’autant plus important que nous évitions les querelles inutiles, que les armes de nos adversaires sont déjà fourbies. Le glaive de leur mépris a depuis longtemps quitté le fourreau, prêt à nous pourfendre à la moindre défaillance. 

 L’effet de surprise des élections européennes puis des municipales est derrière nous : on nous considère désormais comme des challengers crédibles.  A ce stade cependant, la perspective de nous voir remporter l’élection présidentielle n’est pas une hypothèse retenue par celles et ceux qui commentent la vie politique. Qu’à cela ne tienne. Par nature, elles et ils ne savent analyser et voir que ce qu’ils connaissent déjà…J’invite donc mes camarades verts à ne pas indexer notre mobilisation sur le yo-yo des sondages et des éditos. La campagne commence à peine. La chimie électorale requiert déjà nos attentions, mais le précipité unique qui conditionne les déterminants du vote est loin d’être stabilisé. Il nous faudra donc allier patience, constance et détermination. 

 

Le paysage de la présidentielle n’est pas encore vraiment connu.

 

La décomposition de la social-démocratie n’en finit plus. Ne sachant plus comment ni par quel emballage recycler sa doctrine obsolète et son récit pour le rendre de nouveau attrayant… Exercice difficile car, sur le fond, la matrice idéologique dont est issue la Gauche traditionnelle est à bien des points de vue obsolète. Et sur la forme, le bilan des renoncements et des échecs de leurs derniers exercices du pouvoir n’a pas été fait. La réfection politique nécessaire pour aboutir à un aggiornamento imposerait un réel débat interne. Mais force est de constater que les forces issues de cette histoire politique ne semble pas en mesure d’assumer une telle remise en question.

 

De son côté, comme toujours dans son histoire, la droite se cherche un chef. Sa panne de leadership se conjugue à une panne du projet, qui à ce stade la prive de dynamique. Mais l’hémisphère droit est solide : électoralement, politiquement et culturellement. L’ensemble des concurrents au « départage » de la droite semblent vouloir rivaliser sur le terrain identitaire, notamment en multipliant les moulinets de matamore sur l’immigration quitte à sérieusement éroder le socle de valeurs sur lesquelles repose notre République. Même Michel Barnier, dont on avait pu observer avec considération le travail qu’il a pu mener au niveau européen, s’est laissé gagner par cette fièvre populiste-identitaire en proposant que la France remette en question ses engagements européens en matière de droits humains… Si pour l’heure « l’union des droites » ne semble pas avoir leur faveur stratégique, celle-ci se fait déjà dans leurs têtes… La droite de la droite a d’ores et déjà réussi à polariser les débats. Le microcosme médiatique donne pour l’heure beaucoup d’écho aux envies de candidature d’Éric Zemmour, amplifiant au passage le phénomène que celui-ci prétend incarner dans les urnes. 

 

Mais autant les habits de polémistes étaient taillés sur mesure pour lui, autant le costume de candidat semble déjà le gêner aux entournures. Celui qui prétend incarner une parole libre sur tous les sujets, devient subitement moins alerte et clair quand il s’agit de parler franchement de sa candidature. J’ai déjà souligné dans une note de blog, que le polémiste Zemmour était une manière de clown triste dans la vitrine de la maison Bolloré. Ses frustrations mélancoliques, sa jubilation décliniste, ses diatribes, ses emportements, ses outrances constituent autant de numéros attirant le chaland/spectateur dont le temps de cerveau disponible sera immédiatement transformé en espèces sonnantes et trébuchantes. L’emprise de Bolloré sur le paysage médiatique français est inquiétante: il s’apprête à gober Lagardère comme si de rien n’était.

A ce stade, il est temps de reparler de l’ardente nécessité de mettre en place un seuil anti-concentration dans les médias. J’espère que cette idée saura se frayer un chemin dans les programmes présidentiels.

On voit trop bien en effet quels monstres peuvent surgir si notre démocratie n’est pas capable de considérer cette mesure comme une urgence de salubrité publique. Zemmour est dangereux par le spectacle des passions tristes qu’il interprète comme une longue déploration . Bolloré est dangereux par le pouvoir d’influence indécent que lui confère sa puissance médiatico financière. Le duo Bollomour/zemmoré constitue un trumpisme bicéphale : l’un à l’argent, l’autre tient le micro. 

Il faut être lucide sur les enjeux véritables qui motivent ce compagnonnage et les investissements de Bolloré…L’essentiel des profits qui alimentent les moyens de sa voracité vis à vis des médias proviennent de l’empire néocolonial qu’il a bâti en Afrique… Comme souvent en politique, plusieurs points finissent par former une ligne dont on peut ainsi lire et comprendre la cohérence. Zemmour n’est évidemment pas le défenseur d’une France éternelle et souveraine. Il est simplement l’exécuteur des basses œuvres d’un affairiste qui spécule sur les incertitudes de l’époque pour conforter son empire. De ce point de vue, il n’est que l’un des rouages subalterne de la mécanique mondialiste et libérale qu’il prétend dénoncer…

 

A l’extrême droite toujours, Marine Le Pen, la plus ancienne dans le grade le plus élevé, se présente désormais en candidate des libertés, changeant de pied stratégique comme on change de chemise. On aurait tort de l’imaginer faible après l’échec des élections régionales : la charge subversive du discours frontiste n’est pas désamorcée. Il continue à se nourrir de la convergence de colères parfois opposées entre elles. Celles-ci étant d’autant plus forte que le pouvoir macroniste, par sa morgue et son mépris, n’a en rien apaisé les fractures du pays. Bien au contraire. La présence au second tour de la candidate du Rassemblement National est une hypothèse solide. C’est le fruit d’un long travail d’enracinement et aussi le résultat de la somme de petites et de grandes lâchetés qui ont vu nombre de dirigeants politiques cautionner le Rassemblement National en acceptant parfois l’agenda politique qu’il proposait, mais aussi en consentant à les laisser prescrire le champ de bataille du débat politique.

 

Car l’extrême droite rêve que le débat de cette présidentielle se déroule sur le terrain de l’identité pour mieux instiller le venin de leurs positions dans les esprits.

Ils parleront du grand remplacement ?  Alertons sur l’effondrement en cours, qui n’est pas celui de la nation France mais celui de la planète et de sa biodiversité. Ils nous sommeront de haïr les musulmans ? Répondons que nous chérissons assez la France, qui n’est pas ethnique ni religieuse mais citoyenne, pour ne pas craindre pour elle. Ils parleront de la souveraineté en berne ? Nous parlerons de la jeunesse en lutte pour sauver le climat… Ils se draperont dans les habits de la République? Nous rappellerons sur quelles valeurs celle-ci repose, qu’elle a toujours eu vocation à être la garante des conquêtes sociales et de nouveaux droits humains. Nous parlerons des services publics, des solidarités, des biens communs, de ce qui nous rassemble et nous fédère… Et ainsi de suite. 

 

Pied à pied, centimètre démocratique par centimètre démocratique je propose de reconquérir le terrain concédé à l’extrême droite non pas en se complaisant dans le rôle de « premiers opposants, mais en nous imposant comme celles et ceux qui insufflons un autre imaginaire dans cette campagne présidentielle. Ce n’est pas fuir le combat que de refuser de nous vautrer sur le tatami identitaire. Il faut résister, et résister encore à la pente glissante sur laquelle ils tentent d’engager notre peuple.

Sinon quoi ?  Consentir à l’innommable ? 

Envisager sereinement que les peurs qu’ils agitent constituent une manière acceptable de poser le débat ?  Prétendre, comme Emmanuel Macron, assécher les marécages qui les font prospérer en se roulant dans la boue de leurs arguments ? Non, non et non.

Ce n’est pas uniquement une question morale, même si cela suffirait à disqualifier la tentation du renoncement. Il est assurément stratégiquement inepte de penser qu’en acceptant la logique imposée par le Rassemblement National et ses contrefaçons, on a la moindre chance de le faire reculer. Il ne faut ni les copier, ni prétendre leur dérober le mistigri du populisme en rivalisant dans une inutile et dangereuse course aux décibels. Dans la campagne qui s’ouvre, les écologistes tenteront juste d’incarner un nouveau chemin. Nous sommes le parti de la planète, c’est à dire la force, qui par nature s’oppose aux délires xénophobes du Rassemblement National et de ses amis qui portent d’autres casaques mais défendent les mêmes idées.

Pour qui n’aurait pas compris que tout nous sépare, franchissons un instant le Rhin. En Allemagne, une formation d’extrême-droite a eu la délicate idée de placarder sur les murs une affiche dont le slogan était d’une limpidité glaçante : « pendez les verts. » Nous ne tirons aucune gloriole d’ être ainsi désignés car nous dénions à l’extrême droite le droit de désigner ses « meilleurs » adversaires… Cela serait leur accorder un bien trop important pouvoir. Nous avons juste la lucidité tranquille et déterminée, conscient.e.s d’être celles et ceux à qui il incombe de forger une perspective heureuse pour sortir des temps sombres que nous traversons. 

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