Obsolète

J’emprunte le titre de cette note de blog à une chanson de MC Solaar, qui figure sur l’excellent « Prose combat », enfin réédité ces jours-ci. Ce qui me permet de vous en recommander l’écoute. 

J’en viens à mon sujet du jour. Peut être aurais-je pu commenter ici les résultats de notre primaire. Mais j’ai un secret bien plus important à livrer : le capitalisme est formidable. Si si, je vous assure. Encore plus quand il porte de baskets et prend des airs de surfer californien pour paraître cool. Prenez Apple. C’est au nom de l’ « innovation » dont ils s’estiment être les seuls dépositaires, qu’ils s’opposent de nouveau ces jours-ci à la perspective de mise en place d’un chargeur unique en Europe. Ils se présentent en quelque sorte en chevaliers blancs de l’innovation libre et non faussée. La vérité est fort différente. Le fond de l’affaire est d’abord une question de gros sous : ils veulent continuer à pouvoir vendre leurs chargeurs différents pour maximiser ainsi leurs profits. C’est leur droit de le vouloir. Mais c’est notre devoir de nous opposer à leurs desseins. Car il se trouve que nous avons reçu mandat, entre autres choses, de protéger les citoyennes et les citoyens des abus des multinationales, et de préserver l’environnement. 

 

En l’occurrence notre mission passe ici par la défense d’un chargeur unique pour réduire l’impact environnemental du numérique. On me permettra d’énoncer un truisme pour résumer l’enjeu : un chargeur unique évite de multiplier les achats. Point à la ligne. Pourtant, pour qui a suivi les épisodes précédent, le débat sur le chargeur unique est long comme un jour sans fin. Chaque centimètre gagné est le fruit d’interminables discussions. Mais quand la défense du pouvoir d’achat et celui de la planète se tiennent du même côté de la barricade, ce qui est le plus souvent le cas lorsque l’on regarde le fond des choses, le rôle des écologistes est de faire la pédagogie des propositions qui permettent de défendre les deux d’un même mouvement.

Derrière l’arbre du chargeur universel, se cache la forêt de la  « société de consumation ». De quoi est-il question ? Les géants économiques ont construit leur domination sur un modèle extractiviste qui épuise les ressources et invisibilise les externalités matérielles de son fonctionnement. Leur prospérité s’est adossée à des mythes mensongers : la possibilité d’une croissance infinie dans un monde fini, l’abondance inépuisable, et le ruissellement des richesses qui permettrait un partage équitable des fruits de l’exploitation du monde. La réalité est loin de ces promesses intenables. Leur modèle consume la terre.

Si j’en reviens à l’Europe, le « marché intérieur » européen est un incroyable générateur de gaspillage de matières premières, de chômage à l’intérieur de nos frontières, d’exploitation à l’extérieur et de dépenses inutiles pour les consommatrices et les consommateurs de notre continent.

Nous devons passer d’une société de surconsommation à une société de modération. C’est ce que j’ai appelé la sobriété juste. L’enjeu n’est pas mince. Car il ne concerne pas seulement la question environnementale, mais bien l’ensemble de notre organisation productive, économique et sociale. Prenons l’emploi : l’économie de la réparabilité et du ré-emploi non seulement évite des millions de tonnes de déchets et de CO2 tout en préservant les ressources, mais générerait de surcroît des milliers d’emplois non délocalisables. Par ailleurs le basculement vers ce modèle ferait faire des économies aux ménages en leur donnant la possibilité de réparer plutôt de racheter. Quelques chiffres : chaque année, 28 millions d’appareils électroménagers tombent en panne. Seulement 5 millions sont réparés, dont la moitié sont sous garantie… Cela signifie que 23 millions sont jetés et remplacés par du neuf. Il n’y a aujourd’hui que 5000 réparateurs d’électroménager. Il en faudrait 23 000 pour répondre aux besoins… Le fossé entre les besoins et l’offre en la matière est donc conséquent. J’ajoute que le chiffre d’affaire de l’électroménager pèse 8 milliards d’euros par an en France. Le marché du reconditionné ne représente lui que 80 millions d’euros. Soit 1%… C’est fou.

Le gisement d’emplois, de pouvoir d’achat, d’économie de ressources et de réduction de déchets est à notre portée. C’est bel et bien une question de volonté. Il suffit de légiférer et d’accompagner cette évolution avec pour seul impact sur notre confort l’amélioration de notre qualité de vie. Pourquoi diable alors ne pas enclencher les cliquets de la roue du changement positif ? Le blocage vient des positions installées de forces économiques qui ont intérêt à ce que rien ne change. Nous devons impérativement faire pivoter le modèle, sans quoi, il nous amènera à notre perte. Armé de la compréhension de ce phénomène, c’est dans cet état d’esprit que je portais il y a maintenant près d’un an, en novembre 2020, une résolution portant notamment sur la réparation et le réemploi, et sur le rôle que l’Union Européenne doit jouer en la matière. Il s’agissait en clair, de défendre un droit à la réparation. Nous défendions le fameux chargeur unique et un étiquetage des produits en fonction de leur durabilité. Il est temps en effet de sortir de la spirale folle de la production toujours plus grande de déchets en cessant de promouvoir une culture de la gabegie permanente.

 Or, le capitalisme « cool » dont je parlais au début de cette note de blog n’a de cesse de fabriquer et d’entretenir notre désir de posséder toujours davantage de biens matériels. Il manipule nos affects, perfectionnant sans arrêt ses technologies de surveillance et de marketing pour mieux nous tenir. Nous sommes libres de nous soustraire à ces pulsions consommatoires induites me direz-vous. Et vous auriez tort, précisément. En premier lieu parce que nos addictions constituent une véritable laisse, et qui est plus courte que nous ne le pensons. Mais surtout, le capitalisme, lucide sur le fait que le discours publicitaire seul n’est pas suffisant pour nous faire acheter régulièrement de nouveaux produits, mise de surcroît sur l’obsolescence rapide des objets vendus. 

Sur ce sujet, nous avons donc proposé un amendement pour qu’on parle d’obsolescence prématurée et non plus uniquement (même si l’enjeu reste majeur) d’obsolescence programmée. Dans les faits, cette dernière est compliquée à démontrer pour le consommateur car cela veut dire prouver la volonté du constructeur de réduire délibérément la durée de vie d’un objet.

Avec l’obsolescence « prématurée », la charge de la preuve n’incomberait plus au consommateur, mais au constructeur. Par exemple, si la durée de vie d’un téléphone est estimée à cinq ans et qu’il dure moins longtemps, ce sera au constructeur de prouver qu’il n’a pas eu de démarche dans la fabrication de l’appareil pour qu’il dure moins longtemps.

Nous exigeons également que l’obsolescence prématurée soit ajoutée à la liste des pratiques commerciales déloyales et donc interdites. C’est ainsi que l’Europe jouera son rôle. Mais face à la force des lobbies, et aux milliards dont disposent les GAFAM, je mesure chaque jour davantage combien la lutte que nous engageons a quelque chose de vertigineux. Pourtant l’urgence est là… 

Voilà pourquoi vous trouverez si souvent sous ma plume, semaine après semaine, des appels à l’unité des écologistes. La tâche que nous devons accomplir est si grande, notre vision du monde si singulière, que je refuse de nous voir réduire en guenilles la possibilité de notre réussite. Un mot sur notre primaire donc ? Oui. Elle a livré son résultat. Refaire le match ne sert à rien d’autre qu’à réduire nos chances futures. C’est désormais le temps de la campagne. C’est-à-dire celui où, plus que jamais, les égos doivent s’estomper au service de de notre cause commune. Cette règle d’or vaut pour chacun et chacune des candidats et des candidates de notre primaire. Nous devons faire corps. Le rôle historique de l’écologie politique est d’autant plus vital au moment où les autres paradigmes politiques, dépourvus face aux enjeux des temps présents et de ceux qui viennent, ont démontré… leur obsolescence.

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