Défendre les fleurs et les petits oiseaux

Je reprends cette semaine la conversation engagée avec celles et ceux qui me lisent. Pour qui ne comprendrait pas l’intérêt de la primaire des écologistes en cours, le congrès de l’UICN qui s’achève à Marseille est un bon marqueur pour comprendre le caractère historique de la période que nous vivons. Chaque moment compte. Chaque choix, chaque voix détermine le chemin suivi et le rythme adopté. On aurait tort de séparer la question de la présidentielle à venir des sujets discutés à Marseille : seule une volonté politique déterminée et la mise en place urgente de politiques publiques d’une ampleur et d’une radicalité inédites peut permettre d’endiguer l’effondrement du vivant en cours. Il est temps que la question de la nature entre dans le débat public au niveau ou elle doit être portée. Hier, parler de la nature suffisait à vous disqualifier en vous faisant passer pour un naïf.

 

Je veux d’abord dire en tant qu’écologiste désormais un peu ancien, que j’ai longtemps entendu que l’écologie politique n’était pas pleinement politique et donc pleinement légitime pour concourir à l’exercice du pouvoir car elle ne se préoccuperait que « des petites fleurs et des petits oiseaux »… Pour tout vous avouer, hier comme aujourd’hui, je n’ai jamais vraiment compris en quoi cette formule qui se voulait absolument péjorative était politiquement disqualifiante. Oui, l’écologie est le parti des petites fleurs et des petits oiseaux, des montagnes et des forêts, des ruisseaux et des marais, des océans et des prairies, des vers de terre et des séquoias, des tourbières et des rivières autant que des humains… Voilà même ce qui nous distingue des autres traditions politiques: nous envisageons l’action politique non pas à partir du seul point de vue humain, mais à partir de celui de l’ensemble du vivant. 

 

L’anthropocentrisme que nous révoquons est le père de l’anthropocène dont nous déplorons les conséquences.  L’écologie postule qu’il ne peut y avoir de projet politique, au sens premier du terme, c’est à dire de projet qui conçoit sérieusement la vie de la cité, sans une prise en compte de ce qui conditionne la survie de l’humanité, à savoir une planète demeurant hospitalière à la vie. Or, pour que la vie terrestre dans son ensemble, dont le sort conditionne le nôtre, continue de se frayer un chemin, la vie sauvage, les écosystèmes, les continuités biologiques doivent demeurer prolifiques. C’est cette abondance de vie qui permet la préservation de celle-ci. En revanche, la raréfaction est annonciatrice de grands périls. Elle est signe d’un effondrement en cours avec la sixième extinction d’espèces que nous traversons actuellement, directement imputable aux activités humaines des seulement 6 ou 7 dernières décennies. Or les causes et les conséquences de cette situation sont largement méconnues, niées ou moquées par les dirigeants aujourd’hui en charge des responsabilités politiques.

 

Les enjeux auxquels l’humanité est confrontée sont donc colossaux, et rien n’indique que nous serons capables d’y faire face. La question de la préservation de la biodiversité est planétaire, et dépasse largement les frontières de notre pays et les combinaisons stratégiques qui se déploient pour décider de l’issue de la bataille électorale à venir, me direz-vous à raison. Mais qui ne voit que la prochaine présidence de la République aura à prendre des décisions historiques pour le climat et la biodiversité? En matière d’écologie, l’heure du trop tard se rapproche. Les mesures à prendre ne peuvent plus attendre. Le coup d’esbroufe permanent, qui fut la règle du quinquennat qui s’achève, ne règle rien et empire tout. Parce que le décalage entre les mots et les faits constitue une garantie de surplace, voir un passeport assuré pour la régression. Voilà pourquoi les écologistes doivent triompher lors de la prochaine présidentielle.  Mes notes de blog de la saison qui s’ouvre, seront, vous vous en doutez, largement consacrées à cette échéance. Ce qui doit nous guider, c’est bien la conscience de l’urgence qui désormais interdit toute procrastination, et ne permet raisonnablement aucune tiédeur.   

 

Revenons au congrès de l’UICN. A l’heure où j’écris ces lignes, les recommandations finales de l’UICN n’ont pas été adoptées. Dix-neuf motions étaient en discussion, mais je ne veux pas ici renter dans les détails de celles-ci. Le sentiment global, c’est qu’une nouvelle fois, le sursaut espéré n’adviendra pas. Malgré les chiffres, les images, les alarmes,  la rigueur des démonstrations et la vigueur des protestations. 

Les constats sont accablants, presque démobilisateurs. Beaucoup de voix se font d’ailleurs entendre pour dire que désormais, on ne peut guère attendre d’avancées dans les grands messes où se disputent essentiellement, de la part des dirigeants politiques qui y participent, des concours d’éloquence. Pourtant jamais la nécessité d’un multilatéralisme environnemental n’a été aussi prégnante. Les enjeux géopolitiques s’expriment d’ailleurs avec une acuité nouvelle. Nombre de pays, à raison, refusent que la contrainte environnementale ne débouche sur une nouvel âge des logiques de domination occidentales, sous couvert de protection de l’environnement. La généalogie d’un naturalisme occidental à l’exotisme ravageur qui a cheminé avec les conquêtes coloniales est de plus en plus documentée. La connaissance de cette histoire nous montre le chemin à suivre : l’écologie ne doit pas se faire sans les populations concernées, et notamment celles qui vivent dans ou à proximité de zones à protéger. Une fois de plus les questions sociales et environnementales se trouvent imbriquées de manière indémêlable.   Qui veut protéger la biodiversité ne peut donc faire l’impasse sur la nécessité de faire advenir une mutation globale de notre système. Et face à l’état de crise avancée de notre biodiversité, aucun pays ne peut soustraire ses efforts du combat commun que nous devons mener car il engage notre survie. 

 

La France doit donc prendre ses responsabilités. Elles sont grandes, à la hauteur de la place que nous prétendons occuper dans la marche des affaires du monde. En Europe, nous pourrions et devrions jouer un rôle d’entrainement, en étant à la pointe du combat pour la biodiversité. Ce n’est aujourd’hui pas le cas. Pourtant, une fois de plus, le Président Macron a endossé les habits d’un maitre du discours pour appeler à la mobilisation. Malheureusement, il est permis de douter de son engagement à agir réellement, tant tout son mandat aura été nimbé d’illusions environnementales. Lors de son intervention de la semaine dernière, le président de la République français a renvoyé à la présidence européenne de la France pour faire avancer la cause de la protection de la nature, qu’il s’agisse des pesticides de la déforestation, la lutte contre l’artificialisation des terres et la pollution des océans. 

 

On retrouve la une constante de la politique Macronienne : toujours différer le temps de l’action. Je précise ma pensée : en tant qu’écologiste, je sais que l’action doit être globale et engagée dans une vision planétaire. En tant que parlementaire européen, je n’ignore rien de la complexité et des rapports de force qui existent au niveau européen. Mais en tant que citoyen français, j’ai vu trop souvent Emmanuel Macron tenir des discours à géométrie variable, oublieux à Bruxelles de ce qu’il disait à Paris et vice versa. La vigilance s’impose donc. Ainsi, le plaidoyer d’Emmanuel Macron à l’UICN en faveur de la protection des océans serait plus convaincant si les aspects budgétaires entraient en concordance avec le discours présidentiel. Pour bien protéger ses aires marines, la France devrait mettre sur la table entre 250 et 300 millions. On en est loin. L’argent manque ? Non c’est la volonté qui fait défaut. Preuve en est, les industries pétrolières bénéficient d’exonération fiscales à hauteur de 7 milliards.

 

Il est temps d’entrer dans la saison des clartés. L’écologie continue à gagner en visibilité. Mais franchement, nous attendons désormais autre chose. Ou plus exactement, nous n’attendons pas. En écologistes décidé.e.s à peser sur le cours de l’histoire, nous agissons à tous les échelons pour que les choses changent réellement. Voilà pourquoi nous concourrons à la présidentielle avec cette fois l’ambition de l’emporter. Mais voilà pourquoi également, nous ne limitons pas notre engagement à la bataille électorale : nous nous tenons aux côtés des scientifiques qui alertent, aux côtés des ONG qui se mobilisent pour arracher les mesures nécessaires au maintien de la biodiversité, aux côtés de toute conscience qui s’éveille aux enjeux de la préservation du vivant. Nous tentons de faire avancer des idées neuves, comme celle d’accorder des droits à la nature, que ma collègue eurodéputée Marie Toussaint porte avec d’autres depuis longtemps déjà. Il me souvient de nos mobilisations de jadis contre le canal Rhin/Rhône, projet absurde et destructeur. En réclamant désormais des droits juridiques et politiques pour des fleuves comme le Rhône ou le Tavignano en Corse, il s’agit de créer les conditions d’une entrée du vivant dans les catégories communément admises de l’intérêt général. En d’autres termes la défense des fleuves n’enlève rien aux humains, elle leur permet au contraire de bénéficier enfin de la défense d’un droit qui devrait être inaliénable : celui de vivre dans un environnement sain. Nous défendons sur tous les fronts un nouvel humanisme : celui, qui se réensouchant dans notre histoire naturelle, fonde un nouvel horizon humain basé sur l’harmonie avec le reste du vivant. 

 

L’écologie est politique. Elle n’en doit pas moins demeurer une sagesse, si elle veut apporter au monde les fruits nouveaux d’une convergence entre droits humains et droits de la nature encore à construire. 

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