Compagnons.
Ces jours, est décédé Hubert Germain. Des 1038 compagnons de la libération, Il était le dernier encore en vie. Plus aucune décoration ne donnant droit à ce titre de compagnon de la libération n’a été attribuée depuis 1946. En écrivant ces mots, je mesure donc qu’ils ne font sens que pour de moins en moins de gens. Le temps qui passe efface et travestit jusqu’à la mémoire des temps. Elle ne doit pourtant pas faillir. C’est l’objet de ma note de blog.
Je n’ai ni la culture ni le talent de l’historien. Mais je sais que c’est le temps long qui nous a faits tels et telles que nous sommes aujourd’hui. A l’ère du triomphe de l’individualisme, il est bon de se rappeler que nous provenons d’une histoire commune. Tragique, meurtrière, glorieuse et honteuse parfois en même temps, elle a tissé notre pays et notre continent. « Les compagnons de la libération ». Le nom sonne à nos oreilles modernes comme la couverture d’un grimoire romanesque. Mais il ne s’agit ici ni de légendes ni de contes, mais d’êtres de chair et de sang qui donnèrent leur courage et souvent leur vie pour que d’autres la conservent, qui s’engagèrent pour la liberté et la justice parfois, pour une certaine idée de la France toujours.
C’est ainsi, les témoins de la Seconde Guerre mondiale s’éteignent. La mémoire se fossilise avant de se volatiliser. Je crains le jour ou la seconde guerre mondiale ne sera plus qu’un décor muséifié, ou les nouvelles génération se promèneront en toute ignorance. Je crains ce moment terrible, quand les victimes finissent par lasser, et où les choix et les drames affreux de notre histoire sont relativisés et n’agissent plus comme des repoussoirs qui alertent et dissuadent de s’engager sur les voix funestes. Oui je suis pessimiste, mais c’est la pente que je pressens. Et je prends ma part : ma génération a failli dans son devoir de mémoire et de transmission. Je ne sais ce que nous avons raté, mais au bout du compte, le résultat est sans appel.
Le mal, certes, n’est pas que Français. Partout en Europe l’oubli fait son travail de sape. Pour le pire. Les démagogues qui manipulent des passions tristes peuvent à nouveau en toute impudence déverser des flots de mensonges et de violence dans les esprits. Les dommages de leurs sinistres entreprises ne font plus peur. Le poison a changé de canal, alors on s’empresse de supposer qu’il a perdu en dangerosité. Mais la haine reste la haine, en 280 caractères ou inscrite dans d’odieux pamphlets, scandée à la radio ou éructant à la télévision. Et toujours, elle sait se frayer un chemin jusqu’à la part sombre que nous portons en nous-même. Les pulsions nihilistes qui constituent le carburant politique des démagogues ne sont pourtant jamais la réponse aux crises. Elles en sont le symptôme. Avec Gramsci, nous savons que c’est dans le clair-obscur entre un monde qui s’éteint et un autre qui peine à naître, que les monstres surgissent. Face aux incertitudes multiples de notre époque, la tentation du bouc émissaire revient comme une mauvaise et obsédante ritournelle. A nouveau, on invente à tour de bras des ennemis de l’intérieur, comme hier.
Le temps passe. Les rescapés de la Shoah, cette ignoble entreprise de destruction des juifs d’Europe, disparaissent les uns après les autres. Qui témoignera demain ? Nous voyons l’antisémitisme refleurir de plus belle, comme une baie de mauvaise augure, prête à disséminer de nouveau le fruit de sa germination aux quatre vents mauvais. Comme si nous n’avions rien appris, rien compris, ou plutôt tout oublié… Et, pendant ce temps, Zemmour peut réhabiliter Pétain, maquiller son dégoût de la France en amour de la patrie, concourir à la présidence de la République, en révisant à tour de bras notre histoire, feignant d’en expliquer les enseignements quand il ne fait que professer approximations et mensonges. Finalement il extrait de ces boniments ravageurs, un récit politique qui galvanise ses soutiens, qui au fond ne sont dupes de rien, mais trouvent là une issue à leurs rancœurs.
Éric Zemmour - et l’extrême-droite dans son ensemble - sont, encore une fois, l’éruption purulente d’un mal plus profond. Ils sont forts de nos faiblesses et prospèrent sur la crise du sens qui nous frappe. C’est bien l’absence d’une grande vision face aux périls qui nous menacent, qui leur permet d’imposer leur lecture frelatée du monde. Les politiques obsolètes qu’on nous inflige leur pavent une voie royale, au lieu de conjurer les maux qui accablent la planète et celles et ceux qui la peuplent.
Je reviens au début de cette note : le derniers des compagnons de la libération est mort. Huit décennies après le premier. Quasiment un siècle recouvre l’épopée de cette « garde républicaine » qui nous oblige. Une page se tourne. Saurons-nous y lire des vérités pour l’avenir ? Je ne parlerai jamais à la place des anciens. Ce serait prétentieux et vain tout à la fois. Mais qu’il me soit permis de dire que la fidélité à la France demande de tenir bon sur des valeurs qui ne supportent pas qu’on transige avec elles. Consentir à les trahir, conduit toujours à la catastrophe. Nous devons nous en souvenir. Compagnons, que la mémoire de vos luttes nous protège et nous éclaire quand l’obscurité, hier, aujourd’hui, toujours, menace.