“Ecologie de production”…Et autres mirages

Cette note de blog est longue. Je m’en excuse, mais elle sera la dernière avant quelques temps. J’en profite donc pour souhaiter un bel été à mes lectrices et mes lecteurs. Notre rendez-vous hebdomadaire reprendra bientôt. 

 

A quelques heures d’opérer une coupure salutaire pour quelques semaines, je viens ce soir à mon clavier avec à l’esprit la longue déclaration du chef de l’État sur les annonces relatives à la situation sanitaire. Plus que jamais, cette intervention s’inscrit dans une stratégie de lancement de sa séquence présidentielle. On est en droit de s’interroger sur la manière dont le chef de l’État exerce et instrumentalise le pouvoir qui lui a été délégué au service de la mise en scène permanente de lui-même. La France, notre Histoire, nos drames, nos peurs, nos vies, ne semblent être pour lui que des décors destinés à le mettre en valeur.  Il rêve d’un pays Potemkine, où chaque allée de carton-pâte n’existerait que pour servir d’écrin à ses soliloqueries. Triste époque, où notre rôle de citoyennes et de citoyens semble réduit à tendre au Président un miroir pour flatter sa vanité.

 

Un cap est passé : il ne s’agit plus désormais de nous convaincre, mais uniquement de nous contraindre. Comme nous sommes des « gaulois réfractaires », nous méritons d'être mis au pas par les salutaires coups de mentons et de bâtons du Président pour nous faire vacciner. Peu importe ses errances et ses mensonges manifestes d’hier. Désormais il prétend être le seul juge des enjeux sanitaires. Macron-Tout-Puissant sait de quoi il parle, et sait comment régler les problèmes qui se posent à la nation. Comme il suffit de « traverser la rue » pour trouver un emploi, les droits des chômeurs sont fragilisés. Comme notre pays a besoin des « premiers de cordés », les plus riches ont glané les profits comme jamais pendant l’une des crises les plus brutales de ces dernières décennies. 

 

Hier, on maniait la pommade des fausses illusions comme autant de berceuses. Aujourd’hui, la promesse initiale d’un nouveau monde politique, plus horizontal se traduit finalement par l’infantilisation permanente du peuple. Macron-Tout-Puissant alterne condescendance humiliante qui se veut pédagogique, et autoritarisme brutal qui se voudrait régalien. Mais dans cette maltraitance permanente (et en particulier des plus fragiles), il y a une logique et une continuité sur laquelle j’alerte : celle de nous faire accepter toujours davantage de restrictions de libertés au nom de notre soi-disant sécurité. La sédimentation des lois d’exceptions est en train de faire muter notre démocratie. Les valeurs fondamentales longuement ciselées pour ériger les principes concrets d’un état de droit sont peu à peu entaillées, grignotées sous prétexte de circonstances exceptionnelles. Mais le propre d’une démocratie est de tenir - structurellement - sur ses valeurs. Les circonstances, même dramatiques, doivent contribuer à renforcer ces fondamentaux, jamais à les affaiblir ou à les relativiser. 

 

Cette stratégie de l’instrumentalisation des traumatismes collectifs pour faire reculer des principes fondamentaux est connue. Elle s’appelle « la stratégie du choc ». Et l’on sait que ceux et celles qui s’y adonnent nourrissent des objectifs qui sont généralement forts éloignés de ceux qu’ils admettent. La crise sanitaire est douloureuse. Elle nous a fait vivre dans de nombreuses familles des deuils cruels. Cette crise a généré des stress, des craintes mais aussi des aggravations de précarité qui mettront du temps à être résorbées, si tant est qu’elles le soient un jour. Cette crise a révélé aussi les manquements des pouvoirs successifs qui ont fauté sur au moins deux des missions fondamentales des politiques : l’anticipation et la garantie des moyens de la cohésion sociale. Et pourtant, la grande majorité des françaises et des français a été exemplaire. Obéissant à des consignes changeantes et souvent incompréhensibles. Consentant aux restrictions de libertés de déplacement et aux conséquences des fermetures des écoles par exemples. Solidaire, lorsqu’il s’agissait de s’entraider pour suppléer les carence de l’État. Fraternelle, malgré les longs mois de privation et de tensions.

 

Le pays et nous autres méritions bien mieux que d’être une nouvelle fois dressés les uns contre les autres, mis en accusation et menacés de punitions si nous n’obtempérons pas d’avantage. Les vaccins ? Il en fallait et il en faut plus, plus accessibles, partout, sans contraintes administratives.  

 

Mais nous devons comprendre que la pandémie n’a pas annulé d’un coup de baguette magique les inégalités sociales de santé. Si on prend la peine de regarder une carte des taux de vaccination et qu’on la compare à une carte de la pauvreté, on constate que les pauvres se sont moins faits vacciner que les plus riches - ils ont été par ailleurs les plus touchés par l’épidémie. Pas parce que les pauvres sont idiots et complotistes. Alors pourquoi ? Pour des raisons multiples qui ont notamment à voir avec la fabrication des inégalités et avec le recul des préoccupations sur la santé des plus démunis. De longue date, l’accès aux soins des plus fragiles a été fragilisé, puisque les services publics ont reculé dans les territoires où elles et ils vivent. Lorsqu’on a déjà plein de difficultés, cela fait bien longtemps qu’on nous a appris que notre santé ne vaut pas grand-chose. 

La crise en général, et la question de l’accès aux vaccins en particulier, soulignent les carences de l’État en révélant les conséquences qui étaient jusqu’à maintenant éloignées de nos yeux. Au lieu d’en prendre la mesure, le Président a une nouvelle fois choisi de stigmatiser celles et ceux « qui ne sont rien » en les désignant à la vindicte. La santé est notre bien le plus précieux, c’est vrai. Mais il faudra demain avoir la mémoire longue pour promouvoir une politique de santé publique autrement plus ambitieuse et solidaire.

 

Ce soir, j’ai également à l’esprit les images de Belgique, du Luxembourg et d’Allemagne où les phénomènes météorologiques extrêmes ont donné à voir leurs funestes conséquences. Or, ces phénomène ne relèvent pas de « catastrophes naturelles », elles sont les effets directs, prévisibles, connus, documentés, de notre modèle dit « de développement ». Après les « dômes de chaleurs », qui se transforment en dômes de feux, d’il y a quelques semaines, voici désormais les déluges qui s’abattent sur nous, plus fréquents, plus violents, plus mortels. Tout invite donc à rompre avec la ligne de mort que suit actuellement notre civilisation. 

 

La Commission européenne a fait des annonces le 14 juillet qui ont été accueillies avec circonspection par celles et ceux qui mesurent l’importance de la bifurcation à entreprendre… Car derrière quelques annonces emblématiques, et nécessaires, toujours les mêmes logiques : pas de rupture nette  de notre modèle (remplacer les moteurs à explosion par des moteurs électriques ne règle en rien l’aberration d’assumer la généralisation de l’usage de véhicules pesant 1,5 à 2 tonnes pour transporter la plupart du temps une personne qui pèse de 60 à 80 kilos en moyenne…) ; et toujours le coût des changements va peser sur les « captifs » du modèle actuel quand les plus riches vont être exemptés d’efforts.

 

J’en reviens au Président Macron, qui nous a gratifié d’un nouvel oxymore, déclinaison du « et en même temps » originel… « L’écologie de production ». Curieux concept qui résume l’impasse théorique et pratique dans laquelle se trouve la majorité présidentielle, contrainte d’inventer des concepts creux pour mimer l’action écologiste. « L’écologie de production » n’est qu’une nouvelle trouvaille indigente pour différer encore les changements inéluctables. Nous avons besoin, à la fois pour des raisons écologiques, sociales et démocratique, de sortir l’économie de la logique productiviste. C’est même ici que réside le grand enjeu de notre civilisation. 

 

L’obsession de la production est une maladie qui est en train de condamner l’habitabilité de notre planète du fait des nuisances qu’elle entraine et des matières premières qu’elle nécessite. Par ailleurs, le nouvel âge capitaliste ne garantit même plus que cette « production » génère des emplois. Et encore moins des emplois de « qualité ». Le terme « écologie de production » se veut être une synthèse dynamique, elle constitue au contraire la trace langagière d’une pensée morte qui souhaiterait concilier l’inconciliable.

 

Ici se dévoile le mirage d’une écologie qui ne remettrait rien en question des ressorts, du modèle,  et des infrastructures qui nous mènent au chaos.

 

Pourtant, on nous somme d’avaler notre soupe sans mot dire. Les ingrédients de la pitance qu’on prétend nous faire absorber sont connus : comme on gave les oies avec un entonnoir, le pouvoir macroniste tente de verser dans nos esprits l’évidence selon laquelle l’enjeu des temps à venir se limiterait à l’affrontement annoncé entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen. J’ai déjà longuement décrit les mécanismes de prestidigitation par lesquels les macronistes pensent pouvoir sidérer l’opinion. Je ne dirais donc qu’une chose : il me semble sentir que le pays renâcle de plus en plus à se voir imposer le match retour de 2017.

 

A ce stade me direz-vous, les sondages disent pourtant autre chose. Le Président des rentiers et la rentière qui se rêve Présidente caracolent en haut des courbes sondagières. Mais je demande à mes amis, et en particulier aux écologistes de ne pas s’abreuver à la gourde du désespoir : rien n’est joué.

 

La France se cherche. Dans l’incertitude, on verra d’abord champignonner les personnalités providentielles. Bientôt, on ne parlera que de ça.  On glosera comme à l’habitude sur les chances respectives des impétrantes et des impétrants, qui se pareront de leurs plus belles plumes pour attirer notre attention, avant de disparaître pour la plupart, comme lors du Tour de France, avec les premiers cols un peu compliqués à gravir. Mais si la rentrée marquera l’entrée dans une phase d’exacerbation des confrontations politiques, aimantées par l’élection présidentielle d’avril 2022, je veux dire ici qu’il faut considérer les législatives qui suivront avec la plus grande attention.

 

La majorité qui sortira des urnes est au moins aussi importante que le nom de la prochaine personne qui sera locataire de l’Élysée. L’ampleur des changements à conduire demande autre chose que de remettre nos destins dans les mains d’une seule ou d’un seul. Je n’ignore ni la Constitution et les pouvoirs qu’elle accorde au Président de la République, ni la puissance de notre inconscient monarchique, ni même la force des us et habitudes qui couturent l’âme de notre peuple politique. Mais je ne peux que souhaiter un sursaut collectif pour que notre démocratie se reprenne.

 

L’abstention a depuis longtemps dépassé la côte d’alerte. Le système désormais tourne de plus en plus en vase clos. Rien de bon ne sortira de cet isolement grandissant de la « classe » politique. Il faut donc se saisir des élections à venir pour inverser le cours des choses.  La prochaine Assemblée nationale doit être capable de peser sur les décisions qui engagent l’avenir du pays en étant représentative des courants qui traversent notre peuple. 

 

De ce point de vue la décision d’Emmanuel Macron, comme tant d’autres avant lui, de renoncer à la proportionnelle promise n’est pas seulement opportuniste. Elle est grave et pèse sur notre avenir commun, en alimentant le décalage entre la pays et sa représentation. La crise politique que nous traversons n’est pas née du macronisme, mais elle s’est aggravée à mesure que le jupitérisme du nouveau pouvoir s’étendait.

 

Nous sortons d’une période où les pouvoirs du parlement ont semblé rétrécir, non pas sous les effets d’une quelconque réforme constitutionnelle, mais bel et bien sous l’effet de la méthode de gouvernement choisie par le pouvoir en place. La pandémie a pavé le chemin de l’état d’urgence permanent. Dans ces mois où l’inédit a soumis nos vies intimes et sociales à rude épreuve, la nécessité de délibération collective aurait pu constituer une boussole permanente. Au contraire, elle a été considérée comme accessoire. C’est une faute grave.  

 

Je fais court : si les écologistes veulent jouer un rôle majeur dans les mois qui viennent, ils doivent, en sus de la transition écologique dont ils sont les seuls garants crédibles, être porteurs d’un espoir de rénovation démocratique profonde. Le premier signe de cette volonté de démocratisation sera démontré par notre capacité à proposer aux françaises et aux français un pacte majoritaire dont le cœur battant ne sera pas la concentration des pouvoirs mais bel et bien la capacité à refaire du parlement le centre de gravité de notre vie démocratique.  

 

C’est la condition pour dissiper les mirages sur lesquels prospère le pouvoir actuel.

A la veille de la trêve estivale, je demande donc aux candidates et candidats à l’élection présidentielle de ne pas uniquement nous proposer des postures, mais bel et bien de nous dire quelle majorité politique et sociale pourra se dégager pour mener les changements que l’Histoire, la planète et le vivant demandent de concert.

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