La possibilité du monde.
Les territoires sont au cœur de la bifurcation politique dont nous avons besoin. Les investir comme lieu premier de la décision politique est essentiel. Parce que reconquérir du pouvoir sur nos vies et reprendre le contrôle sur ce dont dépend notre subsistance demande de remettre le monde à échelle humaine. J’ai déjà décrit ici les ravages d’une mondialisation dont le pillage sans limite des ressources naturelles et l’exploitation de la misère sont le carburant. Faire face à l’urgence écologique demande à la fois de générer une conscience commune planétaire et de s’atteler à re-territorialiser les enjeux politiques au plus près des habitantes et des habitants.
En pleine campagne des élections régionales, je veux donc dire dans cette note de blog, que cette élection est un rendez-vous majeur pour notre pays, et est bien loin de constituer une simple échéance qu’il s’agirait d’enjamber sans dégâts pour parvenir en bonne posture à la prochaine élection présidentielle.
C’est pourtant de cette manière que les amis d’Emmanuel Macron abordent les régionales, en se demandant seulement comment limiter la casse en attendant 2022. La tempête déclenchée au sein de LR par le soutien apporté à Renaud Muselier par LREM ne témoigne pas uniquement des habiletés tactiques macronistes, mais également de l’incapacité de la majorité en place à disposer d’assises territoriales suffisantes pour espérer figurer dignement dans ce scrutin. Même si finalement Sophie Cluzel conduira bien une liste LREM en PACA, la manœuvre était belle : elle a troublé le jeu chez l’adversaire, accentué les difficultés de la droite à définir une ligne et un leadership, perpétué le hold-up effectué par Emmanuel Macron sur l’hémisphère droit de notre paysage politique.
En avalant une partie de la droite Républicaine, Emmanuel Macron pousse celle-ci à se radicaliser, notamment sur le terrain identitaire. Ce petit jeu de triangulation à des conséquences durables sur notre République : le débat politique est comme empuanti des remugles nauséabonds de l’extrême droite, qui se trouve quasiment banalisée par la surenchère droitière engagée. En jouant ainsi les apprentis sorciers, les alchimistes de la macronie s’imaginent sans doute comme des génies disruptifs qui, de coups tactiques en coups tactiques, balisent la route de leur champion pour le rendez-vous présidentiel de l’année prochaine. En réalité, ils manient et mélangent les ingrédients qui risquent de rendre notre pays disponible à boire la plus amère des potions, celle de l’extrême-droite.
J’en reviens aux régionales : le pouvoir en place, quoi qu’il affirme, à un problème avec la question territoriale. Forgé dans des esprits germanopratins, le macronisme est né hors-sol. Depuis les origines il n’entretient de lien ni avec l’histoire ni avec la géographie. Les escapades d’Emmanuel Macron auprès de Philippe de Villiers ne témoignaient pas seulement d’une tentative de flirt réactionnaire, mais bel et bien d’une volonté de mise en scène d’une proximité avec une France qui au fond lui échappe.
Quand on fera le récit du macronisme, il conviendra de se souvenir de la visite au Puy du fou comme une dérisoire tentative de s’arrimer à une version fantasmée de l’identité française. Les coups de fils à Zemmour témoignent de la même démarche : quand Macron veut faire peuple, il discute avec les croisés de l’identitarisme. Il en va de même de ses liens avec le lobbyiste de la chasse, Thierry Coste, qui a réussi à faire croire au Président de la République que les chasses présidentielles et la chasse à courre étaient des marqueurs de la défense de la ruralité… Si ces fables et représentations fictionnelles de la France ont prise sur le chef de l’État, c’est qu’au fond il méconnait la longue histoire des brassages culturels qui fondent notre nation.
Comme de surcroit il ignore la question sociale, les manifestations des exaspérations d’une France oubliée, méprisée - et d’une certaine manière étrangère au monde tel que le conçoit et le perçoit Emmanuel Macron - comme on l’a vu lors du mouvement des gilets jaunes par exemple, sont incompréhensibles pour lui. Cette France-là n’est pas dans ses radars, il ne sait même pas que des gens y vivent. C’est une France, au mieux, par laquelle il passe, mais que jamais il ne comprend. D’une certaine manière Emmanuel Macron est un enfant du vide. Son opportunisme tactique lui permet de faire croire qu’il fait lui-même souffler les vents par lesquels il se trouve balloté, mais il n’est en réalité qu’un fétu de paille livré aux vents dominants. Jupiter a depuis longtemps capitulé devant Éole.
La déconnexion des enjeux locaux n’a pas été résolue par la nomination de Jean Castex au poste de Premier Ministre. Ce dernier confond d’ailleurs clientélisme et enjeux territoriaux, comme viennent de le démonter les annonces concernant une nouvelle LGV entre Bordeaux et Toulouse, au mépris des enjeux environnementaux. Coût de l’opération ? Près de 8 milliards…Une vraie logique d’aménagement du territoire aurait dû conduire à investir les sommes prévues au service des lignes du quotidien pour garantir le droit à la mobilité de toutes les populations plutôt que de faire gagner 13 minutes entre Bordeaux et Toulouse. Ne pas le comprendre est affligeant et augure mal de ce qu’il adviendrait de nos territoires si rien n’est fait pour stopper cette dérive.
Il en va de même des lieux communs dont nous afflige le « commissaire au plan », François Bayrou… Sa vision archaïque de l’aménagement est en réalité un déménagement du territoire. Chez le Bayrou-Castex, on continue à promouvoir la multiplication d’infrastructures dispendieuses et inutiles, quand elles ne sont pas carrément nuisibles. Leur modèle de développement est aussi dangereux qu’obsolète, notamment parce qu’il accentue le bannissement des territoires dit « périphériques » qui se trouvent relégués loin de la marche du monde. Pourtant, tous les territoires sont égaux en dignité. Et faire nation, ce n’est pas exclure du pays des pans entiers de la population.
La conjonction entre le déconfinement progressif, le sursaut économique à accomplir (basé selon nous sur la transition écologique) et les élections régionales crée un rendez-vous capital : l’avenir proche de notre pays se trouvera nécessairement engagé par les résultats de la confrontation en cours. Maudite soit la pandémie qui en plus d’avoir semé le deuil dans 100.000 de nos familles, de nous priver de la proximité et de l’étreinte de nos proches, de faire peser des menaces lourdes sur des milliers d’entreprises, de mettre à genoux les plus vulnérables, a de surcroit empêché un vrai débat démocratique sur les enjeux de nos territoires. On notera cependant que le gouvernement n’était pas pressé de faire vivre ce débat et se félicite au fond qu’il ait été jusqu’ici escamoté.
Dans quelques semaines pourtant les élections auront lieu. Nous devons y défendre une écologie de l’ancrage.
C’est-à-dire ? Ré enchanter le local pour engager enfin la transition écologique dans la justice sociale. Se battre non pas contre la ville, mais contre la métropolisation qui dénature les villes dans le même mouvement qu’elle tue les campagnes et détruit les écosystèmes. Préserver les terres agricoles, lutter contre les déserts médicaux, militer pour une relocalisation de l’activité. Créer des millions d’emplois en réorientant l’économie vers la satisfaction de nos besoins réels et la sauvegarde de l’environnement. Protéger la nature et les écosystèmes. Promouvoir le rôle des politiques culturelles locales qui irriguent nos territoires en garantissant la possibilité de créer le droit d’accès à la culture. Défendre des identités qui ne soient pas des herses mais des ponts. Voilà la feuille de route des écologistes. Elle dépasse les seuls enjeux immédiatement programmatiques pour embrasser au fond, des questions de civilisation.
Le poète portugais Miguel Torga écrivait : « L’universel, c’est le local moins les murs ». Cette maxime nous éclaire. A l’heure ou l’extrême droite tente une OPA sur l’écologie, j’affirme leur illégitimité totale à le faire. Tout nous oppose. Nous ne défendons pas une fétichisation de l’altérité, pas une ossification de l’identité, pas une fossilisation des territoires. S’ancrer, c’est résister à l’ordre injuste et destructeur du monde. Et non pas ajouter au malheur des peuples en se retranchant de notre devoir de solidarité envers l’espèce humaine. S’ancrer c’est plaider non pas la racine unique, mais le rhizome cher a Deleuze et Guattari. S’ancrer c’est atterrir avec Latour et penser une poétique de la relation avec Glissant.
L’ancrage doit demeurer un droit. Le droit à résider, à habiter, à faire souche si on le souhaite et où on le souhaite. L’ancrage n’est pas la désertion du monde mais bien le retour à la possibilité du monde.
Faire l’éloge de l’ancrage ? On m’objectera que la modernité c’est le mouvement, la possibilité de découverte. Certes. Mais découvrir n’est pas détruire. Le réel nous oblige.Notre mobilité dopée au carbone alourdit chaque jour davantage notre dette écologique, alors même que notre hospitalité diminue. Il convient de comprendre que notre mode de vie nécessite aujourd’hui une consommation de ressources qui dépasse largement les limites planétaires. On ne peut durablement s’affranchir de cette réalité en détournant cyniquement le regard des vérités qui dérangent. L’expansion continue de notre empreinte environnementale a un prix. Le nomadisme ludique d’une poignée se paye du déracinement de millions d’êtres expulsés de leur terres, arrachés à leur écosystème nourricier par la brutalité d’un système qui génère violences environnementales et sociales en pagaille.
Dans la mondialisation libérale, nous ne sommes pas tous et toutes mobiles pour les mêmes raisons. Les un.e.s voyagent quand les autres s’exilent. La double injustice vécue par les personnes en situation de migration contrainte est celle-ci : elles vivent sous le sceau de l’expulsion permanente. Chassées de leur terre d’origine, elle se voient refuser l’accès à un lieu de vie digne. La planète entière leur est inhospitalière. Leur droit à l’ancrage se voit bafoué. Si nul espace ne peut les accueillir, au fond elles sont sommées de disparaître. Pourtant, la vie de millions des personnes jetées sur des routes insécures par les famines, les guerres, la catastrophe climatique en cours, n’est pas une quantité négligeable. Le chaos du monde doit trouver un terme. Écrivant ces mots et achevant cette note, je pense au livre que Roberto Saviano publie ces jours-ci, « En mer pas de taxis ». Il témoigne des vies oubliées, et des morts qui jonchent la Méditerranée. L’Europe se tue elle-même en ignorant ces morts.
Et pourtant il nous faut refuser de désespérer. Face aux forces obscures, les écologistes sont debout, pour défendre un autre destin pour l’humanité que la régression barbare. Notre combat est planétaire. Les choses sont liées : céder quelque part c’est se préparer à perdre ailleurs. Gagner en un seul endroit, c’est allumer un foyer. Voilà pourquoi le vote vert aux élections régionales est déterminant. Dans des heures sombres ou prospèrent les semeurs de haine, il peut dessiner un chemin de clarté et ouvrir la perspective d’un horizon désirable.