L’Europe, plus que jamais.
Le député européen que je suis devenu arrive à mi mandat. Hier novice, je connais désormais mieux les institutions comme les enjeux dont elles ont la charge. J'ai pu mesurer la place parfois dérisoire accordée au parlement, et constater, affligé, que nous menons le plus souvent bataille dans des configurations où notre défaite parait scellée d'avance. Devons-nous désespérer de l'Europe? A cette question, ma réponse est non. Au contraire, les limites de l’Europe actuelle décuplent ma volonté de la changer, et me font paradoxalement l’aimer encore d’avantage. C'est que je mesure sa fragilité. Je vois bien que son extraordinaire potentiel est entravé par les responsables politiques qui sabotent méthodiquement l'Europe, par leurs choix politiques qui tournent le dos à l'intérêt général de notre continent. Tout partisan sincère de l'idée européenne doit s'efforcer de distinguer l’idéal que représente l’Union Européenne de cette construction inachevée qu’elle demeure encore. Mais la construction d'une autre Europe ne partira d'une table rase. Il nous faut patiemment construire un nouveau rapport de force. Dans cet ordre d'idées, la pédagogie joue un rôle fondamental : non pas pour forcer le consentement à des règles camisoles mais pour attiser le refus de l'opacité et la volonté de réappropriation politique.
Ce préambule résume mon état d'esprit, mais indique aussi que les lignes qui suivent ne sont pas marquées du sceau de la naïveté.
Ces derniers jours, deux moments politiques importants se sont déroulés à Strasbourg.
Le premier évènement fut l’élection d’une nouvelle Présidence du Parlement européen et d’un nouveau bureau de ce Parlement. Le discours d’Emmanuel Macron devant le Parlement européen à l’occasion de la présidence française de l’Union, constitue le second moment fort de la période. Le calendrier nous a ainsi offert des moments de clarification politique dont la visibilité doit nous réjouir. D'ordinaire les tractations qui se déroulent dans les arcanes bruxelloises passent quasiment inaperçues. Les pratiques institutionnelles et technocratiques de l’Union européenne sont en partie conçues pour que les décisions qui sont prises le soient à l’ombre des dédales qu’elle organise. Certes, le peuple européen n’est ni sourd, ni aveugle, ni stupide. Mais si le sens général nous parvient bel et bien et n’échappe à personne, il est difficile de comprendre en détail ce qui se passe. Tout comme les vampires détestent la lumière, les fossoyeurs de l’idéal européen détestent que leurs petits jeux et éléments de communication soient dévoilés. Alors dévoilons.
Donc, le Président Macron venait parler devant le parlement européen. Rappelons que cet exercice n’est pas commun en France. Notre constitution l’empêche. C’est là une anomalie française qui fait que le véritable chef de l’exécutif de notre pays n’est pas interpellable dans l’enceinte de l’Assemblée nationale par les parlementaires. Il n’en va pas de même au niveau européen et c’est heureux. Oui, si les institutions européennes sont généralement opaques et rétives aux controverses et débats politiques, le Parlement européen est un endroit où la technostructure n’a pas encore étendu toute sa capacité de dépolitisation. Il est évident qu’Emmanuel Macron concevait son apparition devant le Parlement comme un exercice de communication auquel il est habitué en France, avec la déférence à laquelle il a droit habituellement. Pour lui, l’enceinte du Parlement européen n’avait vocation à n’être qu’un écrin propice à la mise en scène de sa personne et de sa prétendue stature européenne pour servir de tremplin à sa nouvelle candidature.
Rappelons que, contrairement à nombre d’autres chefs d’États dans la même situation par le passé, c’est Emmanuel Macron qui a décidé de maintenir la présidence française de l’Union européenne en même temps que la campagne présidentielle. Décaler la présidence française de l’union au 1er juillet 2022 pour qu’elle coïncide avec le début de la prise de fonction de la majorité politique qui sera élue en France en avril pour la Présidence de la République et en juin pour l’Assemblée nationale était possible. Mais Emmanuel Macron a préféré faire de cette présidence française de l’union européenne un élément de campagne électorale plutôt qu’un moment de construction européenne. Je n’ai pas le temps ni la place ici d’entrer dans les détails de ce qu’il y avait d’essentiel à faire avancer, quand on est un fédéraliste européen, dans ce momentum si particulier pour l’Europe: fiscalité juste, droits humains, bifurcation énergétique, etc etc… Ce n’est pas le choix qui a été fait.
Mais ce moment qui était calibré pour qu’Emmanuel Macron fasse de son discours aux représentantes et représentants des citoyennes et citoyens européens un élément de son entrée en campagne « en majesté » ne s’est pas passé comme prévu. Il a été légitimement mis devant ses contradictions, notamment par Yannick Jadot qui a justement dénoncé l'écart entre les mots et les actes d'Emmanuel Macron. Ce président vante une transition écologique, mais construit des alliances avec Orban et consorts pour imposer le couple infernal Gaz et nucléaire, alors qu’il faudrait encourager celui de la sobriété et des énergies renouvelables. Il prétend être le champion de l’humanisme mais maltraite les migrants à Calais et ailleurs avec une inhumanité qui nous fait honte. Il prétend défendre l’innovation et les forces vives mais fait obstacle à une fiscalité juste qui combat la rente. Emmanuel Macron n’est pas ce qu’il dit être. Et il ne fait pas ce qu’il prétend devoir être mis en œuvre. C’est bien le rôle d’un parlement de lever ces contradictions face à un exécutif. Cela s’appelle la Démocratie. C'est légitime aux yeux du plus grand nombre.
Mais pas pour les amis d’Emmanuel Macron, qui dénoncent le crime de lèse-majesté qui a consisté à dire ses 4 vérités à Emmanuel Macron. Pour eux faire du parlement européen un lieu de débat et de controverse politique est désormais malvenu. Pour notre part, nous assumons pleinement de faire du parlement européen le cadre d’une démocratie vivante et en mouvement. Nous assumons qu’elle soit le théâtre de joutes politiques sur le fond afin d’éclairer le peuple européen sur les différences de perspectives possibles pour notre continent et pour nos pays.
Les journalistes européens, eux aussi ont fait l’amère expérience de la conception démocratique macroniste quand il ont réalisé que « le point presse » avec Emmanuel Macron ne serait qu’une simple déclaration, sans possibilité de poser des questions. Drôle de conception de la démocratie européenne.
J'en viens à l’autre événement de la semaine qui s’est déroulé la veille de ce débat. Comme je l’indiquais, le bureau du Parlement européen était renouvelé à l’occasion du mi-mandat. Le président sortant, le socialiste David Sassoli avait été élu en 2019 pour deux ans et demi. Et cette nouvelle élection programmée n’est pas liée à son décès très récent qui a profondément attristé celles et ceux qui avaient eux l’occasion de le connaitre et de travailler avec lui. L’accord de mandature qui lie la Droite européenne (PPE), les socialistes européens (SD) et les libéraux auprès desquels siège LREM (Renew), s’étaient mis d’accord en 2019 sur la répartition des postes et sur une ligne politique qui était, en gros, celle du statu quo qu’entretiennent ensemble depuis des décennies la coalition PPE-SD.
Emmanuel Macron, affirme depuis 2017 qu’il est le champion du « nouveau monde » et d’un renouvellement politique. A l'échelle européenne, il est le partisan actif du maintien des équilibres et des forces en présence au Parlement et dans les institutions européennes. Ses grand discours ne servent qu'à dissimuler le conservatisme de son positionnement. Coté pile, Emmanuel Macron n’a cessé de prétendre mener la lutte contre les démocraties illibérales. Il entend incarner à lui seul, le fer de lance du combat des démocrates contre les populistes. Les paroles sont ronflantes. Mais, côté face, la réalité des actes posés par les amis européens d'Emmanuel Macron dit autre chose: la vérité froide du cynisme avec lequel il n'hésite pas à pactiser avec ceux qu'ils prétend combattre. C’est ainsi que le Groupe Renew, présidé par l’un des proches conseillers d’Emmanuel Macron, Stéphane Séjourné, a soutenu la Maltaise Roberta Metsola, membre du Groupe PPE, et opposée à l’IVG à la présidence du Parlement. Mais ce n’est pas tout, le groupe Renew a choisi de soutenir et a obtenu l’élection à l’une des vice-présidences d’un candidat du groupe ECR dans lequel siège les néo-fascistes italiens de Fratelli italia. Le candidat letton en question, élu avec les voix de Renew, est issu d’un Parti qui défile chaque année, le 16 mars pour des commémorations en l'honneur de la légion lettone, une unité Waffen-SS pendant la seconde guerre mondiale.
J'entends déjà les dénégations habituelles dans ce genre de situation quand il convient de masquer aux yeux du plus grand nombre les turpitudes qui contredisent les postures de matamore affichées en France. "C'est plus compliqué que ça, en Europe les choses sont différentes." Sérieusement? La situation est différente? L'extrême droite, infréquentable en France serait-elle moins vénéneuse à l'échelle européenne? Pas un instant. Mais surtout, dans son prétendu combat contre les démocraties illibérales, c'est précisément à l'échelle européenne qu'Emmanuel Macron prétend porter le fer. Or que fait le président français? Il n'hésite pas à participer de la banalisation de fait de l'extrême droite européenne en s'adonnant au bric à brac des échanges et des réciprocités qui permettent à chacun de se servir en postes.
Préférer un candidat d’extrême-droite à un écologiste, ou une candidate défavorable à l’IVG à une sociale-démocrate ou une écologiste, est signifiant politiquement.
Il faut donc comprendre qu'il ne s'agit pas là, pour Emmanuel Macron et ses amis, uniquement de céder aux traditions en cours, mais bel et bien au fond d'adopter une souplesse bien plus grande que supposée vis-à-vis de l'extrême droite. Ce qui se passe en ce moment n'est donc pas une simple anecdote mais bel et bien une stratégie politique élaborée à dessein. Macron ne subit pas le contexte de montée en puissance des illibéraux, il en est le co-créateur, l’accélérateur. Car en vérité, la coalition politique dont les LREM européens ont été à la fois les architectes et les idiots utiles est une coalition illibérale qui réuni les libéraux et les nationalistes. L’apprenti sorcier qui prétend combattre la bête immonde à Paris alimente son auge et lui fabrique sont nid à Bruxelles.
Realpolitik? Faillite morale et stratégie grandement hasardeuse. Emmanuel Macron joue avec des forces telluriques qu'il ne maitrise pas. En France, on a vu où nous a mené cette mansuétude à l'égard de certaines franges de la droite extrême: Emmanuel Macron a flatté Philippe De Villiers qui s'en est trouvé ragaillardi dans ses délires identitaires, et encouragé Éric Zemmour, en en faisant un interlocuteur crédible dans des échanges dont on se demande encore quel but ils pouvaient servir si ce n'était de gonfler d'orgueil le polémiste pour favoriser sa mue en candidat. En Europe, au delà de l'élection de cette semaine, Emmanuel Macron n'a pas hésité à monter une coalition du conservatisme énergétique avec les illibéraux. Il s'agissait pour lui de sauver à tout prix le nucléaire Français en le maquillant en énergie verte, au prix de son soutien au gaz. Un tel deal, entrave de fait la bifurcation énergétique en faveur des renouvelables dont notre continent a besoin pour assumer ses responsabilités en matière de lutte contre le dérèglement climatique. Et encore une fois, Yannick Jadot a donc eu raison de le qualifier de président de l'inaction climatique, confirmant au passage le verdict de l'affaire du siècle. Il est aussi le président qui, se prétendant rempart, est devenu tremplin des extrémistes identitaires et autres nationaux populistes. Renew Europe a ainsi clairement choisi de s’appuyer sur le PPE et une partie de l’extrême droite européenne pour construire une coalition politique au Parlement.
Que les socialistes aient prêté main forte à cette opération laisse le cœur au bord des lèvres et en dit long sur leur affaissement intellectuel. A l'heure de gouverner au niveau européen, les socialistes partagent la même triste boussole que les libéraux et se tournent de concert vers la droite et une partie de l’extrême droite, ou du moins laisse faire… Cette capitulation en rase campagne des forces politiques installées vis à vis de ceux qui spéculent sur l'effondrement des valeurs humanistes a un sens politique qu’il faut regarder en face. Le temps est venu de redresser la tête. L'Europe vaut mieux que ce salmigondis qui finit par retourner les estomacs les moins sensibles. Le sursaut ne viendra pas de telles combinaisons, mais bel et bien du refus net et sans atermoiements des alliances contre nature avec les forces de la haine. L'Europe n'est pas un pédiluve ou tout serait permis. Elle est la scène sur laquelle se joue en partie l'avenir de la planète. Renoncer ici, c'est se préparer à perdre partout. Les valeurs européennes méritent donc de ne pas être souillées dans les eaux saumâtres de la compromission avec les semeurs de haine qui désormais resurgissent. Nous sommes dans un moment décisif où la mémoire doit nous rappeler où mènent les périls lorsqu’ils ne sont pas appréhendés avec courage. Plus que jamais nous avons besoin de porter une Europe démocratique ancrée à des valeurs sures qui nous protègent et préparent l’avenir. Voilà ce à quoi entendent contribuer les écologistes.