Entre les lignes.
Les paroles s’envolent, mais les écrits restent. La forme épistolaire choisie par le Président de la République pour annoncer sa candidature aurait donc pu, aurait donc dû, avoir le mérite d’éclairer le débat public, en fixant clairement les grandes lignes du mandat à venir. Il n’en est rien. La missive du candidat enfin déclaré entretient le flou sur ce qu’il propose. Tout le talent de plume de ses communicants a été mobilisé pour, avec force de formules creuses, élever un écran de fumée devant les yeux de nos concitoyennes et concitoyens. « On ne sort de l’ambiguïté qu’à son détriment », disait le Cardinal de Retz. Mais quand on est Président, y rester, c’est toujours s’y maintenir aux dépens du peuple qu’on entend gouverner. L’habileté n’est pas interdite me direz-vous ? Je vous répondrai alors que l’honnêteté ne l’est pas davantage, et qu’à force de prendre les vices pour des vertus, on détériore considérablement les termes du débat démocratique.
Au demeurant ce n’est pas d’habileté qu’il s’agit, mais bel et bien de la dissimulation des véritables visées politiques du macronisme par dissolution permanente du sens des mots. En ce sens la lettre d’Emmanuel Macron n’est pas un évènement, à peine une étape de plus dans l’effacement du politique derrière la communication. Il utilise une forme noble et ancienne au service d’un mal terriblement actuel. Il se voulait disciple de Ricœur et n’est que l’enfant des années Séguéla. Le candidat Macron est le publicitaire de lui-même, le propagandiste de sa bonne étoile bien davantage que le porteur d’une vision pour notre pays.
Pour trouver dans ce texte autre chose que des mots-clés déjà usés pendant le quinquennat, il faut en noter les absences, en débusquer les silences, mettre en lumière les zones qu’il laisse à dessein dans l’ombre commode des non-dits. Ce texte parle davantage par ses béances que par la litanie des éléments de langage qu’il déroule comme on jette un voile sur une vérité dérangeante. Il s’ouvre par un rappel du fracas du monde, mais c’est pour mieux camper Macron en capitaine des crises. Esquisse-t-il l’ombre d’un regret ? Non. Il réinvente le récit d’un passé à peine passé, et déjà réécrit. Le « en même temps », croit-on comprendre, restera sa boussole. Il dénonce la montée des inégalités mais ne nous dit rien de ce qu’il a fait pour la combattre. Il ne parle d’écologie que pour mieux justifier son attachement au nucléaire, justifie les baisses d’impôts par la nécessité productive alors même qu’il serait bien en peine de démontrer en quoi la disparition de l’ISF a amélioré la situation du pays, et ainsi de suite… En 2017, Macron avait fait le choix d’une campagne sans programme. En 2022, il tente d’imposer une réélection sans campagne. On dit que la chance sourit aux audacieux, parfois la fortune sourit aux cyniques. Emmanuel Macron, dans sa stratégie d’évitement de la confrontation démocratique, est servi par l’actualité brûlante du retour de la guerre sur notre continent. Il tente d’imposer sa candidature comme allant de soi, comme si la crise ne pouvait engendrer qu'une seule réponse : celle de l'orthodoxie.
Et c’est là un autre visage du macronisme : l’hyper-pouvoir qui accouche d’une hypo-politique. Car, la concentration du pouvoir que revendique Macron est inversement proportionnelle à sa volonté de changement du cours des choses. Le nouveau monde d’Emmanuel Macron est celui, si j’ose dire, de la fuite en avant dans le statu quo. Le mouvement permanent qu'il revendique est une course immobile. Rien, au fond, ne doit changer. Le modèle actuel, pourtant porteur de tant de souffrances et de destructions, doit demeurer immuable. Quitte à consentir à tous les renoncements sur les droits sociaux, les services publics, la transition écologique, autant de sujets sacrifiés sur l’autel de la doxa néo-libérale. La nature profonde de son « quoi qu’il en coûte », c'est le maintien de l'ordre établi. Dans les crises, Emmanuel Macron puise toujours la justification de la continuation d'un système obsolescent qui génère chaque jour plus de dégâts. L’argument d’autorité qui habille la contrainte qu’il souhaite nous imposer dans ce qu’il reste de la campagne présidentielle, est qu'il serait le détenteur du monopole de la raison contre tous les autres. « A part moi, qui d'autre? » Paradoxalement, il banalise sa candidature en la présentant comme allant de soi, pour lui donner un éclat sans pareil. Il considère sa réélection comme une formalité, quasi par « tacite reconduction ». Celui qui hier théorisait sur la nostalgie monarchiste des Françaises et des Français, tente aujourd’hui de se glisser dans les habits d’un président de droit divin.
Ce n’est pas seulement un problème. C’est un danger. En escamotant les possibilités d’explicitation pédagogiques des divergences de visions qui doivent pourtant caractériser une élection présidentielle, le président en exercice, organise les conditions futures d’une exacerbation permanente des conflits. Déjà, son mépris et sa violence de classe ont été le détonateur d’un mouvement des Gilets jaunes dont les origines sont multiples mais dont la politique macroniste a été le catalyseur. En tentant de plier le match sans le jouer, et en misant sur la montée de l’extrême-droite pour organiser le face-à-face qu’il pense lui être le plus favorable, Emmanuel Macron risque de déclencher des forces que nul ne pourra juguler. Nous devons donc tout faire pour que le débat politique des quarante jours qui nous séparent de la présidentielle nous permette de délibérer de l’avenir de la France, de l’Europe et de la planète. Contre les fausses évidences de la lettre de candidature d’Emmanuel Macron, contre la simplification à outrance qui est son carburant, contre la confiscation de l’avenir qui est son corollaire, nous devons trouver le chemin qui permet de forger une alternative.
Rien n’est moins simple. Mais nous persistons. J’en reviens à la lettre de candidature, plus éloquente au final, qu’il n’y paraît. Parce que les textes, disent toujours plus que ce que leurs auteurs pensent leur faire signifier. Ici, entre les lignes de la lettre du candidat Macron, suintent l’autosatisfaction de celui qui pense que nul autre n’aurait fait mieux que lui, l’indifférence à la condition des plus humbles, la complicité avec les tenants de la domination et, au-delà du tout, l’absence de volonté d’engager les changements systémiques nécessaire à la bifurcation qu’il faut conduire pour échapper à la conjonction des crises.
Dans les béances d'un courrier visant à cadenasser définitivement les possibles, apparaît en creux une autre vérité. Celle des alternatives qu’Emmanuel Macron méprise parce qu'il les méconnaît et dont il est incapable de parler, puisqu'il refuse de les envisager. La lettre d'Emmanuel Macron est l'antithèse de ce qui nous guide, à savoir la conscience de l'urgence d'agir pour que le souhaitable soit possible, pour que futur soit désirable, et pour que nous transformions nos espoirs en victoire.