Le monde, l’Europe, la guerre.
La conjonction des crises fait turbuler le monde. L'Afrique souffre comme jamais, ployant sous le poids des famines, des conflits armés, de la crise climatique, de la prédation occidentale, des dictatures gérontocratiques qui écrasent une jeunesse à l'avenir confisqué. L'Amérique latine se cherche une issue: parfois les gauches s'éveillent mais malheureusement sans parvenir à s'émanciper des logiques extractivistes, souvent les pires droites épousent la cause du populisme autoritaire couplé au libéralisme ultra. Les États-Unis sont une démocratie malade, sur laquelle plane la menace encore vive du trumpisme. L'isolationnisme qui y sévit désormais ne nous protège pas du cauchemar américain. L'American way of life est source de grands dommages pour le climat planétaire. Et si l’impérialisme de l’état US en rabat, les méga-multinationales que sont les GAFAM étendent elles leur empire sur nos vies comme aucune entreprise n’avait été en mesure de le faire jusqu’ici… La Chine est le pays avancé de ce nouveau capitalisme de surveillance qui permet de resserrer encore l’étreinte du régime sur le pays, à l'occasion de la pandémie planétaire, qui partout a fait reculer les droits élémentaires et frappé plus durement les plus pauvres.
A vrai dire, le tour d'horizon n'est pas complet, mais cette note de blog ne serait pas assez longue pour dresser la liste exhaustive des maux qui nous accablent. Mais avant que de parler de nos alentours immédiats, je voulais qu'un instant nous embrassions du regard le monde. Parce que nous ne sommes pas son nombril. Et que l'indifférence qui le plus souvent accueille les guerres et conflits qui se déroulent en d'autres lieux et que nous peinons parfois à identifier sur la planisphère, mériteraient, tout autant que la présente guerre, de faire la une de l'actualité. Dans nos médias, le fracas des vies brisées est assourdi quand il vient de loin? Mais la planète est petite. Notre indifférence ne s'explique pas par la géographie mais par l'histoire. L’Occident a pris pour habitude de considérer que les vies d'ailleurs ne comptaient guère. C'est ainsi: le pillage systématique a longtemps constitué notre relation au reste du monde. Et il demeure encore beaucoup de cet état de fait qui a contribué à nous conditionner jusqu'à tenir pour acceptable ce qui devrait éveiller en nous une révolte absolue, comme par exemple le sort qui est fait aux réfugiés africains ou arabes. Ce deux poids deux mesures est innaceptable. Le monde et la conscience que nous en avons doivent changer. Désormais, l'unité écologique d'un monde en crise nous force à considérer l'unité du genre humain. Alors, que faire?
En Europe, c'est la guerre. Pas sur le territoire de notre pays, mais à quelques heures d'avion. En ces temps troublés abondent les comparaisons avec des référents historiques dont le souvenir est convoqué pour nous permettre d'analyser ce que nous vivons.
Pourtant chacun sent bien que l'inédit l'emporte sur la répétition de séquences déjà vécues. En quelques semaines, la guerre en Ukraine est venue bousculer l'Union Européenne comme jamais auparavant. Nous voila sommés de tenir des débats de fond dans l'urgence. Non pas qu'il n'aient pas été, pour la plupart engagés avant, mais ils prennent une autre dimension voire un autre sens, à la lueur tragique des combats en cours. En premier lieu, la guerre nous rappelle que l'Union Européenne a été construite pour garantir la paix, sur un continent couturé de cicatrices et déchiré par des haines anciennes dont la matrice jamais refermée délivre encore son flot de risques. A l'est, rien de nouveau: les mémoires européennes recèlent bien des poisons.
La paix est aussi menacée par l'oubli que par l'exacerbation du souvenir. A la vérité, il nous faudra dégager l'avenir de la prison du passé, pour lui permettre d'exister. Mais sans travail permanent sur notre Histoire commune, sans la construction lente et patiente d'un dialogue confrontant les perspectives, l'Europe tardera à se constituer. Le spectre des guerres régionales passées habite la guerre en Ukraine. Toutes les confrontations, les dominations, les soumissions d'une histoire complexe remontent à la surface. Une géopolitique du ressentiment existe, que nous aurions grand tort de négliger.
Voila pourquoi notre vigilance doit être grande à l'égard des populistes qui partout sur notre continent manipulent l'histoire pour y puiser le carburant de leur essor. L'Europe vit un moment de vérité, qui nous oblige à dire clairement ce que nous voulons. L'urgence commande d'abord d'engager enfin la sortie de notre dépendance aux fossiles. Les écologistes le réclament depuis longtemps pour des raisons liées à l'indispensable décarbonation de notre modèle énergétique. Chacun peut désormais constater que si la dépendance au carbone est un enjeu climatique et social, c’est également une question de souveraineté et de sécurité. Car si la géopolitique du ressentiment nourrit les haines qui motive les guerres, la géopolitique des fossiles constitue également un moteur puissant des conflictualités qui couvent. Les conséquences des retards dangereux pris en matière de choix d'un nouveau modèle énergétique doivent faire réfléchir. C'est vers la sobriété juste et les renouvelables qu'il faut désormais massivement se tourner. L'indépendance européenne sera grandement indexée sur notre capacité à répondre aux enjeux écologiques. De ce point de vue, vouloir se réfugier dans le nucléaire est un contresens qui nous fera perdre le temps que ses partisans prétendent nous faire gagner: les coûts faramineux engagés pour la construction de nouveaux réacteurs amputent d'autant notre capacité d'investissement dans les renouvelables. J'ajoute que les combats autour de Tchernobyl nous rappellent à quel point nous sommes vulnérables aux risques nucléaires. Le déploiement d’infrastructures nucléaires dans un monde instable et dans un contexte de chaos est d'une inconséquence sidérante.
Élargissons le propos. En cascade, toutes les questions fondamentales pour notre destinée commune se posent. Le vrai débat sur l'avenir de l'Europe, c'est maintenant. Quel approfondissement? Quel élargissement? Quel devenir pour les pays de l'est qui candidatent à l'Union? Quelles perspectives pour les pays qui ne le font pas? Que fera la Pologne qui joue un rôle clef dans la période? Quel rôle pour le couple Franco-allemand? Comment rééquilibrer l'Europe vers son sud? Quelle Europe de la défense? Quel rapport avec la Turquie? Chacune de ces questions est éminemment politique. La manière de les formuler est déjà en elle-même parfois objet de débats. Une chose est certaine à ce stade. La rétractation morbide dont sont porteurs les ennemis de la construction européenne n'est pas une issue. Elle aggraverait toutes les crises et ajouterait à l'engrenage guerrier comme elle l’a toujours fait. Nous avons besoin de bâtir un pôle capable de tenir bon dans la tourmente. Pour nous qui ne voulons subir ni la loi des uns, ni la vindicte des autres, la volonté d'un « non-alignement » qui ne soit pas un consentement à l'arbitraire porte un nom: l’Union Européenne. C'est le terrain sur lequel nous choisissons de faire prospérer notre combat. Quoi d’autre dans la mutation du monde? L’isolement magnifique de la France au nom de sa souveraineté d'antan, telle que nous le vendent les marchands de nostalgie reviendrait à acter son déclin et signerait in fine sa soumission. Le chemin de la vraie souveraineté et de la paix durable est celui qui nous permet de reprendre le contrôle sur ce dont dépend notre subsistance. Et donc nous libère des dépendances que nous avons à tort consenti aux puissances qui souhaiteraient nous soumettre. Ce chemin, c’est celui de la construction européenne. Car oui, décidément oui, l'Europe est l’échelon qui peut nous conférer une masse critique suffisante à l’accomplissement de ce dessein. Nulle autre voie que celle-ci ne permettra, sur notre continent et dans notre relation au reste du monde, la construction d'un nouvel équilibre basé sur une logique de coopération et de modération.