La blessure la plus proche du soleil
Le second tour des régionales se présente sous des habits différents selon les régions. Dans nombre de régions le rassemblement s’est opéré de telle manière qu’une dynamique s’est enclenchée. J’observe donc avec d’autant plus de tristesse et inquiétude l’attitude de certains barons socialistes qui ont choisi de tourner le dos aux écologistes dans des régions hautement symboliques. Je ne m’attarde pas sur le fait politique constitué par ce choix stratégique mais nos mémoires ne sont pas faites de sable. Nous y reviendrons donc. D’autant plus que celui-ci implique de mon point de vue des conséquences décisives pour les temps qui viennent.
Pour l’heure, c’est une fuite autour de la prochaine livraison d’un rapport du GIEC que je veux ici mettre en lumière. Parce que cette somme scientifique et les recommandations qui y sont attachées devraient éclairer les enjeux du vote à venir. L’humanité est en danger. Je ne sais le dire dans des mots plus simples. Je ne sais d’ailleurs si les mots permettent d’approcher la réalité des dangers qui nous guettent, ou si notre esprit commun, rétif à toute alerte, a définitivement choisi de s’enfoncer dans les eaux profondes du déni. C’est possible, à en croire le déferlement de discours de banalisation sur certaines chaines dites « d’information », de la part de journalistes qui se disent « scientifiques », de la part d’éditorialistes secondés par des lobbyistes en tout genre. On peut imaginer que la route demeure encore bien longue, et comprendre que le risque de régression existe.
Mais pour les écologistes que nous sommes, le pire n’est pas certain. Au contraire l’engagement qui nous anime puise à la certitude que nous pouvons réorienter la marche de nos sociétés, pour enrayer la catastrophe écologique en cours et abolir les injustices sociales multiples qui en sont le carburant invisible.
Raison pour laquelle nous réclamons des politiques publiques volontaristes qui partent du réel, c’est-à-dire de la crise environnementale et sociale profonde portée par notre modèle de développement.
Le fait est que nous ne sommes pas entendus. Nous ne pouvons donc plus nous contenter du rôle de vigie : nous devons tenir le gouvernail. Soyons honnêtes, il nous a fallu du temps pour opérer la mue qui transforme des lanceurs d’alerte sincères en responsables politiques crédibles. Mais jamais nous n’avons relâché ni nos efforts de pédagogie pour expliquer la complexité de notre projet, ni notre mobilisation militante pour freiner la course vers l’abîme dans laquelle nous ont entrainé des siècles d’obstination productiviste.
Au Parlement Européen, nous ne cessons de plaider pour un changement radical de logique et de système. Et nous avons vu que sur la Loi Climat ou sur la Politique Agricole Commune, le « Green Deal » annoncé demeure dans les faits sans lendemain. Sur la Loi Climat, le rythme présenté comme une victoire ou une « avancée » est en deçà de ce qu’il est nécessaire de faire pour que la planète demeure habitable. Sur la PAC, la Cour des comptes européenne vient de sortir un rapport qui démontre que les émissions de gaz à effet de serre dues à l’agriculture continuent d’augmenter depuis 2010. C’est pourtant sur le même modèle des PAC précédente que la nouvelle a été adoptée… malgré l’opposition unanime de l’ensemble du Groupe Vert au Parlement européen.
La majorité politique qui se dégage en Europe ne nous aide guère à faire avancer les causes qui sont les nôtres et nous devons le plus souvent nous contenter de compromis boiteux, dans le carcan d’institutions européennes cadenassées par le conformisme. Mais chaque combat est important. Chaque amendement compte. Chaque rapport allant dans notre sens nous offre de nouveaux arguments et de nouvelles opportunités de convaincre. Écrivant ceci, je ne me fais pas le défenseur de la politique des petits pas : nous avons besoin d’avancer à vive allure vers une refonte globale de notre appréhension de l’économie, de notre rapport au vivant, de nos modes de production et de consommation.
Mais comprenons bien ce qui se joue aujourd’hui : le débat n’oppose pas l’immobilisme et le mouvement, mais bel et bien des forces contraires qui tirent dans des directions opposées. Tout le débat sur les plans de relance illustre bien la tentation post-covid de repartir de plus belle dans la recherche désespérée de la croissance alors que la situation demanderait de décélérer et de bifurquer vers un autre modèle. C’est vrai à l’échelle européenne, comme à l’échelle nationale.
La complication en France, est que le clivage droite gauche qui a structuré la vie politique française depuis tant de décennies ne suffit pas à structurer la nouvelle carte des affrontements en cours. Comme s’ajoutent en plus les tiraillements identitaires du pays qui ressemble de plus en plus à une cocotte-minute, la question écologique a du mal à émerger comme étant la question clef.
C’est ici que j’en reviens au rapport du GIEC : la côte d’alerte est dépassée et l’ampleur des changements à engager est telle que le vertige peut nous saisir. Mais loin de demeurer tétanisés, nous devons construire les outils du sursaut. Notre génie ne peut plus être mis au service de notre destruction mais bel et bien au service de la préservation de notre espèce, et donc également de toutes les autres. Encore faut-il le comprendre.
Nous autres écologistes avons donc un devoir d’élucidation du monde. Nous ne sommes pas là pour donner des leçons mais pour trouver les arguments qui permettent à chacune et chacun d’être frappé en son for intérieur par l’évidence écologique. Parfois nous sommes incapables de faire autre chose que ressasser nos propres discours, et parfois, l’intuition nous permet de toucher la raison ou la sensibilité de nos contemporains. C’est un travail qui ne connait pas de répit. Une cause qui ne supporte pas le dépit.
Savez-vous ce que René Char appelait « la blessure la plus rapprochée du soleil » ? La lucidité. C’est elle qui doit guider nos pas jusque dans les bureaux de vote dimanche, et éclairer notre chemin dans les mois qui viennent.