Le temps de la clarté.

 Ce sont plutôt les sujets politiques « de fond » que je souhaite aborder sur ce blog et dans les billets du vendredi soir que je livre chaque semaine. L’ambition est d’essayer de ne pas s’inscrire dans l’écume de « l’actualisme » échevelé qui divertit de l’essentiel et contribue à brutaliser les débats et par conséquent à corrompre la qualité de la discussion démocratique. Une fois n’est donc pas coutume, je veux revenir ici sur la tactique post-électorale choisie par le parti socialiste.

 

La poussière a peine retombée, le premier secrétaire du parti socialiste, repu des régions conservées, a couru les matinales avec des éléments de langage ciselés pour vanter la vigueur retrouvée du parti qu’il dirige. Ce faisant, il ignore l’abstention record qui exprime le fait que les françaises et les français se détournent de plus en plus des forces politiques censées les représenter. Il fait également mine de ne pas remarquer qu’à l’exception des Verts, toutes les forces politiques présentes en 2015 et 2021 ont perdu des électrices et des électeurs… Grâce ce tour de passe-passe qui consiste à ne pas s’intéresser aux réalités arithmétiques de l’élection, il peut dès lors affirmer que le parti socialiste est la « force motrice » de la gauche. Il ajoute que les écologistes sont confrontés à une forme de plafond de verre les empêchant de remporter les élections. Pour parachever la mystification, nomme ce plafond de verre « plafond vert », comme si l’euphonie appuyait son affirmation. Je laisse aux spécialistes de la versification juger de la richesse ou de la pauvreté de la rime, et ne me prononcerai dans cette note de blog que sur celles des arguments. Souvent Faure varie : à chaque élection sa doctrine change. Il transforme ses tactiques successives en stratégie, sans souci de cohérence.

 

L’élégance n’étant pas la vertu la plus commune en politique, je ne gloserai guère sur l’empressement d’Olivier Faure à jeter l’opprobre sur ses supposés partenaires écologistes. Par ailleurs, l’attitude du premier secrétaire du PS n’a ici aucune réelle importance dans le sens où les marges de manœuvre personnelles dont il dispose ne pèseront pas tant sur le cours des évènements à venir. Elle est néanmoins révélatrice de la faiblesse d’un collectif politique à la ligne erratique. A la vérité, la décomposition de la social-démocratie est toujours en cours. Confronté à ce déclin inexorable et à la perte de sa centralité politique, le parti socialiste en est réduit à des zigzag politiques qui l’enfoncent dans la confusion. Ainsi, faut-il lire plus d’inquiétude que de solidité dans l’agressivité retrouvée du parti socialiste. De quoi est-il question ? La sociale démocratie déboussolée sourit de se voir encore vivante dans le miroir des régionales. À peine boitillante, elle rêve de caracoler en tête d’une union rafistolée à la hâte pour la présidentielle. Qu’importe si un tel attelage (celui-là même qui avait été proposé en 2017 avec le résultat que l’on sait) ne présente à ce jour aucune chance sérieuse de victoire. L’objectif réel, bien moins glorieux, est de tenter de sauver les meubles aux élections législatives. Objectif certes louable mais tout de même moins porteur quand on s’autoproclame « force motrice » …

 

Dans ce seul dessein, une candidature socialiste soutenue par un écologiste nous sera bientôt présentée comme la meilleure solution pour gagner : l’opération Hidalgo est en marche. On nous conjurera de rendre l’union possible en renonçant à notre identité. On nous tancera sur nos supposés problèmes avec la République. On nous gourmandera sur notre manque de crédibilité. Bref, on nous sommera de nous ranger derrière les socialistes. En vérité, ce procès en légitimité à même exister, instruit contre les écologistes par la Gauche traditionnelle, n’est pas nouveau. Les premiers socialistes marxistes taxaient jadis les fouriéristes de « socialistes utopiques » ou « romantiques » car ils interrogeaient, déjà, les limites de ce qui ne s’appelait pas encore « le productivisme » induit par la révolution industrielle. Un long chapelet de mépris et de moqueries de la part de la gauche traditionnelle a accompagné la marche des écologistes politiques. Je rappelle ces faits non par rancœur ou par dépit, mais pour dire que ces leçons sur la crédibilité ne sont pas nouvelles. Ce qui est nouveau, c’est que ceux qui prétendent les administrer ont perdu la leur. Et il convient de noter ici que cette perte de crédibilité de la social-démocratie n’est pas uniquement liée à des « trahisons » successives dans l’exercice du pouvoir, que ce soit sur la détermination à réguler le modèle économique dominant, la puissance de la finance et la rente ; sur l’abandon des classes populaires ; ou sur la désertion en rase campagne sur les questions sociales. Elle est surtout liée à l’obsolescence de sa matrice idéologique. L’acceptation du productivisme et du culte de la croissance aveugle ne constitue pas un gage de disponibilité à la modernité, mais une concession décisive au capitalisme mondialisé prédateur à la fois de la nature et des humains. 

 

Pour toutes ces raisons, qui reposent sur des arguments de fond, je veux donc dire ceci. L’union politique à construire ne peut être considérée comme une maison de redressement pour écologistes à rééduquer. Je l’ai écrit jadis, et je le répète : nous ne serons plus jamais les supplétifs de quiconque. Pour des raisons qui ne relèvent pas de l’orgueil, de l’égo, ou des « petites chapelles », comme on l’entend parfois dans la bouche de personnes qui ne retiennent de la politique que la lutte autour des enjeux de places ; mais pour une raison fondamentale : la crise écologique demande que soit appliquées des politiques écologistes.

 

Les ambiguïtés cachées dans le nouveau changement de pied rhétorique du Parti socialiste sont révélatrices de contradictions théoriques et politiques qui ne sont plus escamotables… On note ainsi que l’union réclamée avec solennité par le parti socialiste est une union à son seul profit. Il en parle, mais ne la pratique guère. 

 

La réalité c’est que le parti socialiste souffle le chaud de l’union dans les mots et le froid de la division dans les faits. Ses anciennes gloires Manuel Valls et Jean Paul Huchon ont tapé à bras raccourcis sur Julien Bayou présenté comme un danger, et lui ont préféré Valérie Pécresse. Épiphénomène ? En Bretagne, en Occitanie et en Nouvelle-Aquitaine, les socialistes ont préféré repousser la perspective d’une alliance avec les écologistes. Je ne lis pas ces choix comme émanant uniquement des baronnies locales, même si la perte de centralité intellectuelle et politique du Parti Socialiste encourage les aventures individuelles.  La concordance des choix locaux ne doit rien au hasard : ils traduisent la volonté de maintenir l’écologie dans une forme de minorité politique dès lors qu’elle choisit de ne pas accepter sa mise sous le boisseau. 

 

Il existe des débats politiques entre nos formations. Ils ne sont pas honteux et doivent avoir lieu sous la lanterne vigilante des citoyennes et des citoyens. Les passer sous silence est une forme de malhonnêteté vis-à-vis des électrices et des électeurs. Le temps des clarifications est venu. La primaire des écologistes à venir sera de ce point de vue une occasion de montrer au plus grand nombre la solidité de nos arguments et de nos candidates et candidats.

 

Chacun sait que l’union est un combat. Mais, décidément l’union de la gauche n’est pas le nôtre. Courir après cette perspective, c’est prendre le risque de devoir passer sous les fourches caudines de celles et ceux qui ne s’en réclament que pour restaurer l’ordre ancien où l’écologie ne serait tolérée que secondaire, décorative. L’union que nous devons construire est celle qui réunira une coalition dédiée à la transition écologique dans la justice sociale. Je plaide pour un bloc de la transition, réunissant celles et ceux qui considèrent que l’urgence écologique est cardinale. Voilà pour le fond.

 

Mais la politique est aussi une forme. Du point de vue symbolique, le retour au seul récit du clivage droite gauche, me semble inopérant. La droite et la gauche existent, même si la dérive de la social-démocratie en général, et du Parti Socialiste en particulier, a été ces dernières décennies l’émetteur principal des parasites brouillant les frontières entre deux traditions politiques supposément opposées mais qui ont fini par s’accorder sur beaucoup dans l’exercice de leurs pratiques de gouvernement. Le retour aux cosmogonies anciennes sécurise militantes et militants (et encore…) mais indiffère le pays. Nous devons proposer une autre manière de construire notre imaginaire politique. C’est un autre enjeu de la primaire des écologistes : donner à voir une nouvelle lecture symbolique du monde.

 Je conclus d’un mot. Ou plutôt deux. Il n’y a pas de raccourcis en politique : les victoires de demain ne se construisent que sur la clarté d’aujourd’hui. Pour convaincre, c’est la clarté qui rassemble et l’ambiguïté qui divise.

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