Parlement Européen: scènes de la bataille du climat.

Je ne tiens pas ici la chronique de mes états d'âme. Mais au regard de ce que nous venons de vivre cette semaine au parlement mon humeur n’est pas à la rigolade. Le rejet d'une bonne partie de ce qu'on appelle le « paquet climat » européen n'est pas un évènement négligeable. C'est un nouveau signe de notre incapacité collective à prendre la mesure de la crise écologique en cours. Nous continuons à refuser de changer de modèle, alors même que rapport du Giec après rapport du Giec, les préconisations radicales s'accumulent.

A contrario, la bonne nouvelle, car il y en a quand même une, c'est que le consensus de l'inaction vient de se briser. Attention spoiler : pour la première fois depuis longtemps, les socialistes européens ont décidé de suivre les écologistes dans leur refus d'une ambition écologique réduite à la portion congrue. Et par la même occasion ont cessé de se plier au diktat du puissant groupe conservateur PPE, épaulé par les libéraux de Renew (groupe dans lequel siègent les parlementaires européens LREM). C’est un fait majeur, qui annonce peut-être que la tectonique des plaques politiques peut à nouveau être favorable à la préservation du climat.

Que s'est-il passé ?

Le paquet de mesures présenté l'été dernier par la Commission européenne devait permettre à l’Union européenne de diminuer ses émissions de gaz à effet de serre de 55% en 2030, et de parvenir à la neutralité carbone d'ici à 2050. Au total, ce « paquet » compte 14 mesures. Mais seules huit ont été soumises à l'approbation du Parlement européen ce mercredi. Rappelons que cet objectif à 2030 de 55% de baisse est déjà inférieur à ce qu’il faudrait faire pour respecter les objectifs de l’Accord de Paris. C’est pourquoi les Verts avaient proposé plutôt 65% ou 60%. Las, la coalition du statu quo avait déjà habillé en Vert un compromis boiteux. Nous n'étions pas dupes, mais nous nous étions cependant disposés à l’acter, pariant sur le fait que ce premier élan n’était qu’un objectif mais que ce qui importait le plus serait les dispositions précises et concrètes qui allaient suivre.

Mercredi, Pascal Canfin, président LREM de la Commission environnement au Parlement européen, vantait déjà le mauvais accord passé avec le PPE qui revoyait pourtant à la baisse le compromis validé au sein de sa propre commission. Tout à son obsession de se faire passer pour le grand ordonnateur des avancées écologiques au Parlement, il vendait alors la peau de l'ours avant que le vote soit acquis.

Or, les textes clefs qui prévoyaient la réforme du marché carbone européen (ETS), le mécanisme d'ajustement des émissions carbone aux frontières (CBAM) et le fonds social pour le climat, ont été renvoyés en commission après que le premier d’entre eux ait été rejeté par le Parlement. A juste titre. Les écologistes que nous sommes et les socialistes et démocrates de l'alliance S&D qui nous ont suivis, ont en effet refusé de voter un texte vidé de sa substance.

Dans cette affaire peu glorieuse, la duplicité du groupe de droite PPE tout comme la naïveté coupable et le manque de cohésion du groupe libéral Renew a été centrale. En s’appuyant sur une alliance privilégiée avec la partie droite de l’hémicycle, Renew s’est mis dans les mains des conservateurs qui eux, n’ont pas hésité à s’appuyer sur les deux Groupes d’extrême-droite ainsi que sur une partie des libéraux pour détricoter par des amendements successifs l’un des textes majeurs de la stratégie européenne pour la décarbonation de notre économie et la transition écologique.

Ainsi, alors que, pour mémoire, l’objectif d’une baisse de 55% des rejets de CO2 doit être réalisé en 2030, la coalition anti-climat des Droites européennes repoussait la fin des quotas gratuits pour les entreprises les plus polluantes à… 2034. Ce renoncement emblématique, parmi d’autres, rend impossible l’argumentaire habituellement déclamé sur tous les tons: « Dans la vie il faut savoir faire des concessions. Ne soyez pas si radicaux. Il vaut mieux un petit pas en avant que pas d'avancée du tout. » Et cela pour une raison simple : la nature ne négocie pas.

Soit les conditions nécessaires au maintien des conditions de vie sur terre (telles que les scientifiques les exposent) sont réunies, soit non, et nous courons à la catastrophe.

Dès lors, les tergiversations politiciennes ne peuvent modifier les données factuelles qui sont désormais connues. Une feuille de route planétaire s'impose, et elle est planétaire: ce que nous devons faire, c’est mettre en œuvre les conditions d'une bifurcation de grande ampleur, respectant les limites planétaires et la justice sociale.

Mais une fois encore, après le fiasco de cette opération de greenwashing à laquelle se sont livré les tenants du statu quo, il s’est agi de faire peser sur les Verts le poids de cet échec. Ce n’est pas nouveau. Depuis des années on tente de faire peser sur les écologistes la responsabilité de l'inaction avec une invraisemblable inversion de la charge de la preuve. L’injonction est la suivante: nous autres, écologistes, devrions cesser de revendiquer des mesures réellement efficaces pour permettre, avec le sourire, l'adoption de mesurettes. On nous conjure de devenir raisonnables c'est à dire d'adhérer à la déraison des pseudos « sachants ». Leur tour de passe-passe est connu et vise à s’arroger les vertus du réalisme pour mieux escamoter les conséquences dramatiques de leur renoncement.

Nous refusons de consentir à l'abandon de nos exigences, parce que nous savons qu'en matière d'écologie, le « mieux que rien » a fini par devenir « pire que tout ». De la même manière que « l’écologie plus tard », c’est « l’écologie trop tard ».

Le théâtre d’ombres autour des enjeux écologiques ne peut se résumer à un concours d’éloquence. 

Si le piteux épisode de cette semaine peut avoir une utilité, c’est qu’il donne enfin à voir aux citoyennes et aux citoyens de l'Europe qui se tient debout dans les institutions pour obtenir les avancées, et qui organise au contraire les redditions. Mais rêvons un peu. Maintenant que les projecteurs sont braqués sur eux, peut-être que les conservateurs et les libéraux vont cesser leur pas de deux avec l’extrême-droite au Parlement européen et ainsi réaliser qu’aucune cuillère n’est assez longue lorsque l’on dîne avec le diable.

Ils peuvent donc encore tirer les leçons de leur capilotade et en finir avec leur sinistre stratégie du mariage des contraires : on ne peut pas en même temps prétendre agir pour le climat et passer des alliances dont le centre de gravité est anti-écologique. Pas plus qu'on ne peut en même temps faire plaisir aux lobbies des fossiles et sortir du carbone. De la même manière, on ne peut se dire pro-européen et copiner, au gré des nécessités avec ses ennemis mortels.

La bataille parlementaire ne fait que commencer. Nous savons que la cohérence est la clef de la réussite, alors nous ne bougerons pas d'un pouce de la route que nous avons choisi de prendre: celle d’une Europe entièrement au service de la défense des générations futures, de la planète, et de l'intérêt général du genre humain.

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