Police et République.

Qu’on me pardonne par avance la serpe de mes propos. J’écris ici encore pris par le flot des évènements qui, même s’ils se succèdent à une cadence rapprochée, doivent être ordonnés pour permettre à l’esprit de tirer les analyses qui nous permettent de dompter le réel. La manifestation des forces de l’ordre a fait couler beaucoup d’encre.


Y aller ? Ne pas y aller ? L’émotion qui s’est emparée des réseaux sociaux de l’hémisphère gauche témoigne à la fois de différences stratégiques et de divergences de fond. Pour ma part, je m’en tiens le plus souvent à des principes basiques : quand je ne suis pas en accord avec les mots d’ordre d’une manifestation, je n’y participe pas. Pour une raison simple : l’illusion que ma seule présence suffirait à modifier le sens du courant idéologique dominant d’une manifestation ne m’habite pas. Aussi, je reste dubitatif sur les stratégies qui consistent à considérer qu’en se jetant dans un fleuve, on a la moindre chance d’en détourner le cours. 

 

J‘ai par ailleurs expliqué dans une précédente note combien, d’après moi, céder sur le choix du champ de bataille auquel l’adversaire souhaite vous assigner constitue bien souvent une concession décisive. Or, une partie des revendications avancées par les organisateurs de la manifestation visaient à porter le fer non pas sur le légitime terrain des conditions de travail de la police, je vais y revenir, mais sur celui de la remise en question de valeurs fondamentales comme le principe de séparation des pouvoirs. Si j’ajoute à ça le choix symbolique de l’Assemblée Nationale, se trouvait renforcée l’idée d’un bras de fer au terme duquel, le pouvoir législatif semblait devoir se démettre devant la puissance policière… Ce à quoi selon moi, les responsables politiques ne peuvent souscrire. Bref, je ne souhaite pas m’étendre davantage sur l’opportunité de la présence ou non… Vous avez compris mon sentiment à ce propos.

 

Mais ne pas participer à la manifestation ne peut nous exonérer de regarder en face la douloureuse question du malaise de la police de notre pays. Je ne me résous pas, et personne ne peut le faire sans en mesurer les risques, à ce qu’une situation de rupture ne s’installe entre notre police et nous. Parce que le mariage entre la police et la République a ceci de particulier qu’il est condamné à chercher toujours le meilleur, s’il ne veut pas finir par ouvrir la route au pire. On a coutume de dire que le Ministre de l’Intérieur est le premier flic de France. L’expression ne me plait guère. Je préfère travailler à partir d’un axiome différent : nos forces de l’ordre doivent être les premiers républicains de France.


Mais l’idée Républicaine, désormais convoquée à tout bout de champ et utilisée à toutes les sauces, est un signifiant affaibli par la confusion du temps. La République a bon dos, quand dans une vertigineuse inversion des valeurs, elle est invoquée par celles et ceux-là même qui souhaitent remettre en question ses principes au nom de sa défense. Parce qu’elle est instrumentalisée pour justifier un agenda politique réactionnaire, elle devient souvent dans la bouche de celles et ceux qui l’invoquent avec la mâchoire serrée, et la solennité forcée, synonyme de régression des droits humains alors même qu’elle vise en théorie à les étendre. La République n’est pas la caricature que dessinent à l’encre violette de leurs haines et de leurs fantasmes de grand remplacement ses pseudos défenseurs.

La République est l’idée, à jamais moderne, qui consiste à faire avancer notre nation sous la bannière de l’émancipation collective et individuelle. Elle plonge ses racines dans l’idée que notre nation n’est pas ethnique mais citoyenne, c’est à dire fondée sur une philosophie commune bien davantage que sur les supposés liens du sang. La République est une promesse de permanence, mais ne saurait représenter une injonction à la fixité. 

 

Pour demeurer vivante, la République doit être le mouvement réel qui émancipe, davantage qu’un conservatisme qui gèle les privilèges et fige les imaginaires. La République n’est pas l’obsession de l’uniformité, mais le consentement pacifique à la diversité. Forgée par une histoire parfois tragique, elle est un équilibre délicat, chèrement acquis, qui pareillement se défie du fétichisme des différences et se méfie de la tyrannie de la similarité. Elle ne fait pas régner la discipline par le joug, mais invite à la loyauté au nom de valeurs partagées. Pour cette raison, elle ne saurait justifier la répression arbitraire, mais doit inspirer l’autorité au nom d’une légitimité morale. 

 

Vous me direz qu’on peut ne pas partager cette vision de la République ? Je le sais fort bien. La querelle dure depuis des siècles et est constitutive de notre identité politique démocratique. Je comprends que la droite et l’extrême-droite entreprennent une œuvre d’escamotage des valeurs originelles de notre République pour la travestir à leur profit politique en détournant le sens du combat républicain. Mais qu’ils revendiquent désormais ce monopole de la République qu’ils appelaient autrefois « la Gueuse » ne doit pas nous faire baisser les yeux. Nous devons assumer notre vision politique. 

Notre police doit être authentiquement républicaine. Hors de ce cadre point de salut. La politique de maintien de l’ordre doit d’abord être la morale républicaine en action. Voilà pourquoi l’exemplarité des policiers nous importe. Celles et ceux qui combattent le crime et nous protègent des délits ne peuvent être pris en flagrant délit de contredire les vertus qu’ils défendent. Sinon c’est tout l’édifice qui s’effondre. Le problème est que dans la crise que nous traversons, c’est par la tête que le poisson pourrit. Je précise ma pensée : la crise de la police est d’abord une crise de la République. C’est parce que celle-ci offre de moins en moins un cadre de valeurs structurantes et une doctrine opérationnelle, que la police souffre tant.


La colère de la police se nourrit d’une crise du sens et d’un sentiment d’abandon. Crise du sens ? La République n’est plus cardinale, c’est une idée vide pour les agents et les agentes de police confrontés au quotidien à la dureté d’un métier auquel on demande d’absorber toutes les secousses du pays. La politique du chiffre ne fonde pas une mission : elle incarcère la police dans un horizon d’absurdité où on lui demande de vider la mer avec une petite cuillère. Sentiment d’abandon ? Les discours pleuvent mais les budgets ne suivent pas. On s’en parle des heures supplémentaires non payées, de l’équipement vétuste, des locaux délabrés, du recrutement au rabais, de la formation bancale ?
Ou alors on continue à taire les suicides des fonctionnaires de police, leur détresse, et celle de leurs familles, la peur, le mépris ? La misère en milieu policier est un secret de polichinelle qu’aucune posture martiale ne saurait dissimuler. Et cette misère devrait faire honte à celles et ceux qui l’ont laissée s’installer. Personnellement, elle me fait peur. Parce que le cocktail de colère et d’humiliation auquel s’abreuvent un nombre grandissant de fonctionnaires de police est de nature à saper les fondations même de l’institution policière.


La crise de la police est grave, profonde et lourde de menaces pour notre pays. Revenons aux fondamentaux. Nous autres citoyens et citoyennes, renonçons à l’exercice de la violence, même légitime, pour en laisser le monopole à l’État qui doit n’en faire usage qu’en dernier recours, de manière proportionnée, avec parcimonie et modération et a en charge de nous protéger. La police et l’armée sont les deux institutions qui tiennent ce rôle. Schématiquement, la première avec pour objet d’assurer la tranquillité publique, la seconde ayant pour mission de nous défendre face à des ennemis extérieurs. Les traditions libertaires contestent d’ailleurs ce monopole de la violence par l’État et professent que le monopole de la violence s’exerce toujours au détriment du peuple. Je ne les rejoins pas sur ce point, précisément parce que pour moi, la police Républicaine a pour mission de protéger le peuple de l’arbitraire et partant de là, de lui garantir la jouissance de ses droits fondamentaux. Je veux rappeler ici un fait assez simple. La Police républicaine est originaire d’une volonté de Gauche, contre la Droite. C’est la Révolution qui a fait de la police non plus le bras armé des intérêts de la noblesse et de la bourgeoisie, mais la garante de la protection de l’ensemble des citoyennes et des citoyens. Face à l’injustice de la Loi du plus fort au service des puissants, la police républicaine est le bras armé de l’État au service de la justice, nourrie des principes de notre constitution et rendue au nom du peuple français. C’est pour cette raison qu’il faut avoir un haut niveau d’exigence et de respect vis à vis de la police et des principes dont elle tire sa légitimité.


Nous connaissons notre histoire. Et gardons en mémoire le rôle détestable joué par la police sous Vichy ou pendant la guerre d’Algérie, pour n’évoquer que deux sinistres périodes. Notre police a ses heures sombres. Mais je veux dire ceci : c’est d’abord le commandement qui est en faute quand des ordres scélérats sont donnés. Quand les politiques se déshonorent en salissant les mains de notre police, je refuse que les lampistes trinquent seuls sans que ne soient mises en cause les autorités responsables. Je ne peux achever ma note de blog sans parler des violences policières. Toujours, les enquêtes doivent suivre leurs cours. Chaque agent impliqué doit être puni et relevé de ses fonctions. Mais qu’on me suive bien. Et qu’on réponde à ces questions. D’où vient cette culture de l’impunité ? Qui arme le bras de ceux qui dérapent ? Qui sème le doute dans les esprits ? Qui échoue à dénouer les tensions sociales qui fracturent notre pays autrement que par la répression ? Qui choisit de laisser dégénérer des fonctionnements toxiques en les couvrant et donc en les encourageant ?


Comment se taire quand notre pays choisit d’organiser le face-à-face entre le prolétariat policier abandonné à son sort, et la jeunesse des quartiers populaires assignée à résidence ? Voir Monsieur Darmanin se pavaner dans la manifestation des policiers était de ce point de vue obscène. Voilà pourquoi à défaut de partager les revendications des policiers, je partage les sifflets qu’ils adressèrent à l’hôte de Beauvau.


 Pour conclure, je n’ignore pas que depuis bien longtemps, les écologistes sont sommés de faire un « aggiornamento » sur le sujet de la sécurité et de la police. Je n’intériorise pas, pour ma part, la condescendance de cette mise en demeure. La Gauche traditionnelle y a parfois cédé, se fourvoyant dans des surenchères qui ont fissuré ses fondamentaux tout en désarçonnant ses soutiens. Nous ne sommes pas impressionnés par les oukases de ceux qui ont depuis longtemps abandonné la police tout en multipliant les effets de manches sécuritaires. Je n’entends pas donner de leçons, mais sur ce sujet, je refuse également que nous en recevions.  J’invite donc mes camarades qui seraient tentés de céder, à rester eux-mêmes et à garder la tête froide. Quand on accepte de perdre son âme pour gagner quelques suffrages, on finit en général par tout perdre.

 

Nous ne sommes pas du bois dont on fait les marionnettes. Les écologistes ont depuis toujours, été d’une cohérence absolue sur le respect des principes fondamentaux de notre République.  Nous n’avons jamais varié et j’entends qu’il en soit encore ainsi. Toujours nous avons tenu, ne cédant en rien, ni à la facilité, ni aux modes ou à l’air du temps.  Même sous la mitraille de la culpabilisation ou face à l’empire de l’émotion légitime qui étreignait notre nation.  Nous avons par exemple combattu les projets de déchéance de nationalité ou les propositions de faire entrer dans le droit commun les dispositions relevant de l’état d’urgence.  Le rappeler, et demander que les écologistes demeurent fidèles à cette orientation politique, ce n’est pas une question de discipline de parti, mais bien une question de conscience des dangers qui nous guettent. 

 

Je veux redire ici qu’il n’existe pas de chemin pour une police Républicaine qui passerait par le consentement à l’abandon des principes de l’État de droit, sous prétexte de garantir la sécurité.

 

La refondation républicaine de la police ne doit pas puiser son inspiration dans les marais fétides de la régression identitaire et répressive qu’espèrent depuis toujours les réactionnaires. La solution est dans la source qui l’a vu naitre. Une seule boussole doit nous guider. Celle des valeurs qui demeurent cardinales plus de deux siècles après que nous ayons choisi d’en faire notre devise : la liberté, l’égalité et la fraternité. »

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